À quoi rêvait donc cette curieuse qui avait soif d’inspiration et d’intensité? Au moment de lui écrire, elle assistait à un congrès à Washington, à quelques jets de pierre de la Maison-Blanche. Elle me répondit deux jours plus tard.
Magnéto Serge.
The Man, Part One : Peace Orchestra.
Elle énonça un programme de vie limpide. Le feu de ses mots mordit aussitôt la chair fraîche de ma conscience tranquille comme une révolution :
« Je suis définitivement à la recherche… Quoi chercher? L’émotion, la perte de contrôle absolue, la complicité, l’extase… l’adrénaline, vivre à cent milles à l’heure, assouvir mes impulsions intenables, je ne sais trop, Monsieur! »
Dès sa première réponse, elle me plut par sa vivacité.
La curiosité donne faim
Gravure : John Tenniel.
La quarantaine solaire, la féminité pleine lunaire, elle ne connaissait rien aux jeux érotiques de pouvoir, disait-elle. Elle avait besoin d’un guide, d’enseignements. D’un bon conseiller en orientation.
Dire que nos échanges épistolaires émoustillaient cette femme serait un euphémisme. Tout ce qui l’attirait la terrifiait; tout ce qui la terrifiait l’attirait.
Elle avait soif, elle me donnait faim.
On l’eût prise pour une fusée ayant quitté l’atmosphère terrestre sans attendre la confirmation du centre spatial. Chacune des lettres que je recevais d’elle, candide et sauvage, devenait le nouveau chapitre d’un manifeste du don de soi. À faire pâlir d’envie toutes les Thérèse de la villa voisine.
Elle n’était pas dans la recherche d’effets stylistiques comme le font tant de pisseuses. Elle disait, sans fioritures.
« Ce que je sais, c’est qu’une emprise, physique et mentale, me perdre dans mon abysse intérieur, révéler les profondeurs de mon âme… tout cela m’attire, m’excite… »
Son réel prénom
Je riais d’appétit. Les ombres chinoises me suggéraient un menu copieux composé de plats nippons délicats et exigeants. Je me rappelai ma prédilection pour les baguettes, même si je préfère manger avec les doigts…
Je voulus savoir son prénom. Pas savoir ce qu’elle faisait dans la vie, où elle habitait, la marque de sa voiture, son nombre d’amis ou l’heure à laquelle elle se couchait, si elle dormait en petites culottes ou vêtue d’une robe de silice.
Non.
Mademoiselle comment déjà? Elle m’offrit le nom de cette pauvre fille tombée dans le terrier d’un lapin excentrique. Je devinai bien qu’elle ne se prénommait pas Aliss… (Il faudra bien que je lise un jour cette histoire tordue. Il y fourmille tant de personnages insolites que je connais déjà par leur p’tit nom.)
Pourquoi lui demander son réel prénom? Je cherchais le moyen le plus sûr de me rendre à son être. Je voulais ancrer les aiguilles de notre rapport de pouvoir dans le réel. Sous sa peau. Dans sa réalité. Que nous puissions vivre nos folies les plus bergères tout en gardant pied…
Je pressentais qu’elle avait un beau prénom.
Je ne fus pas déçu.
Les objets dans le miroir sont plus près qu’ils ne paraissent
La psychologie du cheval réserve des surprises.
En me dévoilant son identité de tous les jours, une porte s’ouvrit. Des territoires nouveaux apparaissaient dans notre champ de vision. Un coup de tonnerre retentit. La réalité prenait le pas sur la fiction.
Elle constatait que c’était sérieux. Que j’étais sérieux. Je respectais sa personne, son propos, sa démarche, ses besoins d’être entendue, comprise, reconnue.
La fusée passa en seconde vitesse.
Elle voyait dans son miroir la clarté de ses désirs et la noirceur de ses pensées les plus intimes. Les objets dans le miroir sont plus près qu’ils ne paraissent, dit l’adage. Elle se sentait aussi bienheureuse qu’effrayée par cette proximité nouvelle, la chienne au cul et le sexe bien enveloppé, au chaud, humide. Très humide. J’étais là pour la rassurer, la guider, m’assurer de son équilibre. Avec l’intention tacite de lui mettre la main au cul, au moment opportun.
Je le savais. Elle le savait. Nos conjoints respectifs le savaient.
Elle devint de plus en plus attirée par la volonté ferme et taquine de Monsieur… son souffle… ses mots qui la grisent prodigieusement à la perspective d’être prise… possédée… utilisée… veillant aux priorités du maître comme une ombre qui suit la silhouette au pas… Ou est-ce le tableau du cavalier et sa monture?
Avec ces mots, cette dernière phrase, sans m’en douter le moindre du monde, je venais de déclencher une série de secousses sismiques et sensuelles dans le coeur d’une petite fille… une petite fille amoureuse des chevaux.
Quand la pouliche trouve son cavalier
Après quelques échanges nourris, je réalisai que la petite fille amoureuse des chevaux était en fait une pouliche aussi fougueuse que craintive.
Elle offrit à ma volonté la totale gestion de sa libido. Elle consentit à ce que je dispose d’elle, en privé comme en public, pour mes besoins intimes et mes désirs sexuels les plus particuliers, au moment venu.
La situation était spéciale : elle ne m’avait encore jamais vu. Ni en photo, ni en personne. Je ne l’avais jamais vue. Ni en photo, ni en personne.
C’était il y a quatre ans.
La naissance d’une soumise
Une carte de la sexualité humaine, par Franklin Veaux.
Depuis tout ce temps, de nombreuses expéditions furent menées, y compris durant la sixième saison chère aux Atikamekw. Passionnantes, éprouvantes, parfois chaotiques au milieu des intempéries, ces équipées m’ont permis de cartographier cette femme de coeur et de corps, de manière toujours plus précise. De son Nord à son Sud, d’Ouest en Est.
Mon intuition masculine initiale fut la bonne : ce continent féminin, que j’ai baptisé alezane, est particulièrement riche en perversions. Les matières premières abondent : la curiosité, le désir, l’érotisme farouche, la candeur, l’énergie, les capacités, la folie, la loyauté, des fantasmes puissants, le miel de ses yeux, la soie de ses cuisses…
Elle est franchement douée pour la danse de la beauté, cette femme.
Elle n’en croit évidemment rien. Ce qui la flatte d’autant.
Le bouleversement n’est jamais bien loin. Ce qui pourrait s’expliquer par la découverte de gisements importants de restriction, d’abandon, de douleur, d’humiliation et d’une panoplie de jeux de confiance extrêmes dont plusieurs demeurent encore en friche, vierges et attirants.
On aperçoit sur un nombre impressionnant de témoignages photographiques une femme se transformant en bête, contrainte, bousculée, fouettée, attachée, fessée, marquée, cajolée, avalée, exténuée, apaisée, en orbite autour de son soleil, prise et reprise par son Maître devant l’époux ou en son absence, en compagnie d’invités, de complices, en public ou en privé…
Autant de peaux différentes qui prémunissent du froid ou du chaud. Tièdes s’abstenir.
La novice extrême est devenue l’esclave sexuelle de son Maître qui l’a mise au monde et lui a donné plus qu’un nom : il lui a donné une identité. Une place. Sa place.
Les territoires intimes d’une femme
Horsetown in Vain, Kid Loco.
À son invitation ou à ma demande expresse, je laboure ses terres, sème mes envies perverses et sarcle les siennes, irrigue ses champs vers la rivière. Les récoltes sont généreuses. La nature est bien faite.
Différentes espèces vivent dans les territoires psychiques et physiques de cette femme. Les journaux de bord font de nombreuses mentions de la pouliche fougueuse. On y croise aussi la zébrette chorégraphe, une lapine hilare, une chienne au talent rare, un chaton qui fait rrr, une abeille qui fait bzz, une girafe insouciante, une louve de confiance, une marmotte vraiment gossante, une marsupilami rieuse, et même une dragonne serpentar…
Parfois, je n’ai plus le choix, je dois sortir la cage si je ne veux être enseveli par tant d’amour et de fureur animale.
Je peux alors mieux observer à travers la grille cette femme singulière et plurielle, cette jeune épouse aux strates géologiques étonnantes, ses climats, les vents qui la traversent, sa faune et sa flore, les costumes, les coutumes, et plus particulièrement les pratiques intimes et sexuelles, à distance ou sur le terrain, en labo, de visu, in-vivo…
Quand tout reste à inventer
Lorsqu’il mesure la distance parcourue et les épreuves affrontées, quand il observe les effets positifs de la relation de pouvoir érotique sur sa soumise et lui-même, le Maître est enchanté par celle qui peut être fière de ses accomplissements.
Les acquis sont nombreux et significatifs du lien qui unit cette soumise de marbre de Félines à son Cavalier.
Il n’y a qu’à penser à la parole libérée, cette zone de paix intérieure atteinte non sans efforts, la confiance renforcée par l’expérience, l’expérience renforcée par la confiance, la capacité d’écoute, ce puits de douceur, l’atteinte si aisée du lâcher-prise et répétée du subspace, l’apprivoisement de la douleur consentie, le contrôle d’orgasme et la découverte de niveaux d’intensité de jouissance dont les cris impudiques énervent les oiseaux et font sourire les mammifères marins qui n’en dorment plus.
Et le sentiment que tout reste à inventer.
Comme ce fut le cas, treize jours après le premier contact.
L’article À la conquête d’un continent appelé « soumise » est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.