J’aime beaucoup la radio, ce n’est pas un secret. Les sons aussi, d’ailleurs. Le mystère de la voix, le plaisir qui passe par le sens de l’ouïe… J’ai toujours pensé que les pornos doublés ne méritaient pas d’être vus tant ils sont pénibles à entendre… Du coup quand « Hear I Come« , création sonore orgasmique de Baptiste Marie, est arrivé jusqu’à mes oreilles, j’ai eu envie d’en savoir plus sur son créateur et sur ses intentions jouissives. Et moi qui aime les jeux de mots, le subtil mélange entre « Here I come » (« Me voici ») et « Hear me come » (« Entends-moi jouir ») n’en invitait que plus à la découverte.
Cet échange a commencé il y a quelques semaines, et s’est poursuivi après les attentats de vendredi. Alors qu’on a plus que jamais besoin d’énergie positive, de joie solaire et de faire jouir un Paris qui a trop pleuré, je trouve que cet échange est d’actualité. Alors un conseil : mettez un casque, cliquez sur play, et laissez-vous aller pendant la lecture…
« Hear I come » est-il votre carte visite d’ingénieur du son?
« Hear I come! » n’est pas ma carte de visite, mais plutôt un projet personnel que j’ai particulièrement envie de porter aux oreilles de tout-un-chacun. Dans mes projets de création sonore, qu’ils soient réfléchis à l’échelle d’une webradio, comme ma collaboration avec le Frigo (mon émission « Le Son De… » par exemple), ou qu’ils soient des projets plus personnels que je muris et fais germer de mon côté, je me retrouve souvent à les diffuser, les présenter aux oreilles d’un groupe bien défini, de personnes habituées de mon travail, de la création radiophonique. Disons que c’est un peu la particularité de la création sonore : elle n’arrive souvent qu’aux oreilles des personnes qui vont faire la démarche d’aller en écouter, et ne bénéficie pas d’une exposition plus large comme peut en faire preuve la création plastique ou vidéo contemporaine. Ma démarche avec ce projet a été d’essayer d’atteindre un maximum d’oreilles, de montrer que le plaisir pouvait être porté aux oreilles de tous, qu’il pouvait résonner dans n’importe quel espace, être à la fois multiple et appréhendable par tout le monde. Et c’est dans cette volonté là que j’en ai fait si ce n’est une carte de visite temporaire, un acte sonore que je suis allé défendre sur plusieurs fronts.
Vous avez dit avoir lancé ce projet un soir de déprime politique. Votre première idée d’action politique, c’était du bruit de sexe dans la rue? Cela tendrait à prouver que le sexe est très politique…
Je persiste à dire que ma première volonté a été de faire résonner du plaisir dans les rues et non d’aller afficher des sexualités chargées de leurs propres revendications politiques. Face à l’austérité d’une situation politique, face à la dureté de certaines positions de partis, face au puritanisme rétrograde et nauséabond de certaines revendications j’avais envie de dire : « stop, la question sexuelle est avant tout celle de la revendication du plaisir, de son propre plaisir, avant d’être une question de genre, d’orientation sexuelle, etc. » Ensuite il s’agit évidemment d’un acte politique qui propose à la sexualité de réintégrer la rue, le quotidien à travers un autre média que celui des mots, via les sons. Un son est à la fois moins revendicateur, moins juge, moins unilatéral qu’un mot, mais il est aussi plus envahissant et plus intime car plus sensoriel. On peut ne pas être d’accord avec un mot, peut-on l’être avec un son ? On peut détourner la tête d’un mot, peut-on le faire avec un son ?
Vous dites aussi « Je ne voulais pas parler de la sexualité ». Pourtant même sans mots, votre enregistrement en fait parler.
« Hear I come! » parle intrinsèquement de sexualité oui, mais pas de manière si directe je crois. En allant enregistrer des hommes et des femmes dans leur plaisir sexuel, il est difficile de ne pas parler de sexualité ni de genre. Pourtant les enregistrements sont centrés autour du plaisir que prennent ces personnes là, et jamais de la manière dont ils en prennent ou de leur sexe, leur identité. De même, on n’entend jamais deux personnes prendre en même temps du plaisir, ils s’enchainent parfois de manière très rythmée, d’autres fois de manière plus langoureuse. Disons qu’il me semblait important de faire quelque chose qui s’éloigne le plus des codes de la sexualité pour que tout-un-chacun puisse se retrouver dans quelque chose de beaucoup plus simple qu’est le plaisir. Et je crois que j’y suis arrivé à ma manière. La plupart des gens qui m’ont parlé de leur réaction à l’écoute d’ « Hear I come! » pensaient préalablement être gênés par la sexualité implicite du projet, mais se sont finalement retrouvés charmés par la douceur de sa composition centrée autour du plaisir.
Ce ne sont que des enregistrements de sexe en solo, ou il y a eu des enregistrements de relations? Vous en savez plus sur ce qui s’est passé au moment des enregistrements?
Chaque enregistrement est centré autour d’une unique personne prenant du plaisir. La manière dont les personnes prennent du plaisir fait par contre parfois appel à un autre partenaire… Il y a eu, disons-le de manière plus directe, deux cas de figure : une personne acceptant de se masturber devant un micro ou une personne acceptant de se faire prendre en main / en bouche dans la même situation. A chaque cas, le micro était centré sur la voix de la personne, et si une personne l’accompagnait dans son plaisir, elle se devait d’être la plus discrète possible. Parce que j’ai pris le temps d’en parler avec chacun des participants, je sais dans laquelle de ces deux situations ils ont choisi de s’enregistrer. Et je n’en dirais pas plus…
Avez-vous mis à exécution votre projet de diffusions sauvages dans la rue? Quelles étaient les réactions des passants? Vous observiez discrètement ou vous vous affichiez?
Les diffusions sauvages dans la rue sont encore en préparation. Il faut non seulement que je réunisse un groupe de personnes ayant envie de m’accompagner dans ces déambulations, mais aussi que je développe un dispositif de diffusion sonore discret et portable. Je ne compte pas m’afficher, mais je ne souhaite pas non plus tromper l’oreille des passant en me cachant. Pour l’instant j’étudie l’idée de choisir un lieu de création comme lieu de départ de mes déambulations. J’ai toujours apprécié les démarches qui poussaient à sortir les créations d’un lieu d’exposition figé qu’est le musée. Je réfléchis aussi à l’idée d’investir des ascenseurs, en remplacement d’une musique, pour accompagner l’intimité de ceux qui y monteraient dedans.
Vous aviez écouté d’autres références de bruits d’orgasmes en musique (je pense à « Love on the beat » de Gainsbourg ou « Rocket Queen » de Guns n’Roses) ou vous étiez totalement vierge?
Qui n’a pas ces références en tête avec un minimum de sensibilité et culture musicale ? Je peux aussi vous aiguiller vers Lovage, un album d’ailleurs dont la pochette fait référence à Gainsbourg, et dont les voix de Jennifer Charles et Mike Patton content des aventures sexuelles sur des sons parfois bien suggestifs… Mais l’idée ici était de reprendre un.e format / durée musical.e et d’utiliser les voix comme des textures musicales (mélodiques et rythmiques), jamais de les accompagner d’autres instruments de musique, elles se sont toujours suffies à elles mêmes.
Je reviens sur votre réponse sur le sexe politique car elle m’étonne. Si votre volonté initiale était de faire résonner du plaisir dans les rues face à une austérité des idées politique du moment, c’est bien que le plaisir sexuel reste un sujet éminemment politique et que votre idée première l’était aussi?
Tout à fait, je suis entièrement d’accord : le sexe est un sujet politique qui dérange et c’est pour ça aussi qu’il m’intéresse. Je précisais simplement que mon geste était d’abord un questionnement sur le plaisir en tant que tel et moins sur les relations, sur les types de sexualités, etc. Un message politique qui dirait : n’oublions pas le plaisir dans la question sexuelle !
D’ailleurs je me pose des questions sur la potentielle illégalité de votre performance. S’agirait-il d’un acte pornographique? On pense d’abord aux films mais la loi française condamne la pornographie quand elle est diffusée dans un cadre qui ne protège pas les enfants de la recevoir. Mais la loi ne définit jamais ce qui est pornographique ou pas. Ce qui a d’ailleurs permis de condamner un magasin de sex-toys qui avait mis en vitrine des vibros dans un rayon de moins de 200m d’une école…
Ma performance est déjà illégale dans le sens où je ne souhaite pas demander d’autorisation légale de diffusion dans la rue. C’est en ce sens que je parle de diffusion « sauvage ». Évidemment avec un tel sujet, je m’expose directement à des poursuites pour trouble à l’ordre public ou d’atteinte aux mœurs, j’en suis pleinement conscient. Mais je me défends par contre de toute qualification « pornographique » de mon œuvre. Si la pornographie est une représentation obscène, comme sa définition tend à la qualifier, je ne pense pas qu’ « Hear I come! » le soit. En choisissant de ne laisser à écouter que des voix (et pas des actes sexuels), en évitant tous mots crus, en centrant l’écoute sur le plaisir, je m’éloigne d’un acte pornographique. Tout comme il est impossible de prouver l’identité des participants (il n’existe pas de notion d’identité dans le son, comme il existe dans l’image), il est impossible de prouver qu’il s’agit d’une représentation sexuelle. Lorsque l’on s’extrait du titre, ne pourrait-il pas s’agir de personnes réagissant à un très bon brownie, un film à sensation ou une autre émotion intime forte ? Pour semer le trouble, je comptais même à un moment intégrer des cris de karatékas au sein des sons de jouissance. Ne ressemblent-ils pas aussi à des sons de plaisir dans leur caractère et par leur libération d’énergie ? Quant à la question de la diffusion proche de lieux sensibles comme une école, je ne compte ni viser ces lieux-là, ni les éviter pour autant. Un enfant ne serait-il pas en mesure d’écouter du plaisir ? Je pense qu’il est bien plus néfaste pour lui de regarder NRJ12 par exemple…
Pourtant, le problème légal est que ce n’est pas votre conception de la pornographie qui est prise en compte, mais celle de notre société ou de ceux qui vont recevoir votre oeuvre. Effectivement la pornographie peut se définir comme un choc à la décence, notion qui sera relative à chacun. Et si l’atteinte aux « bonnes moeurs » à été supprimée du droit français, elle n’en a pas moins été remplacée par un autre alibi moralisateur, celui de la protection des enfants.
Je comprends tout à fait ce que vous dites sur la pornographie, disons que j’argumentais pour entretenir le débat… En effet je vais certainement devoir me frotter à des personnes plus moralisatrices que moi. Disons que c’est un aspect du projet que j’ai accepté dès le départ. Je l’ai accepté et je dirais même plus, ça m’intéresse pour une fois de me confronter à un projet qui ne sera pas si facile à défendre, parce que je suis plutôt un habitué des créations sonores écoutées par une population habituée de la création sonore libre.
Après les attentats de vendredi, qu’advient-il du message de « Hear I Come »?
J’aurais envie de dire que les choses n’ont pas changé depuis ce vendredi 13, car c’est ce message de retour à la vie qu’il faudrait véhiculer. Mais elles ont fatalement changé quelque chose en nous. Il me semble d’autant plus urgent de porter bien haut toutes les valeurs libertaires, toutes ces valeurs qui ont été visées vendredi, cette festivité, l’envie de sortir et de nous retrouver quelles que soient nos croyances, sans division, d’aller écouter de la musique dans nos salles de concerts préférées, voir des rencontres sportives ensemble,… C’est cette vie débordante, que l’on ne peut cadrer, qu’il faut continuer à porter bien haut et précisément dans la rue. Continuer à créer et aller diffuser ces créations dans la rue, faire entendre du plaisir, de l’orgasme, est plus urgent que jamais. Si le sexe et la musique rock nous placent comme une « capitale […] de la perversion », il faut alors redoubler d’expression sexuelle libre et de rock ! « Hear I come! » se doit de résonner en pleine rue, j’en suis plus persuadé que jamais.
En effet… Les bonnes moeurs n’existent plus en droit, mais la protection des enfants l’a remplacée. Et les fascistes de l’Etat Islamique trouvent à qui parler avec nos fascistes locaux, sur la même longueur d’ondes quant à notre « perversité » qui serait à éradiquer.
Le groupe Eagles of Death Metal est un groupe satanique (“kiss the devil”), aimant le porno et la drogue. Les démons se combattent entre eux
— Jérôme Bourbon (@JeromeBourbon) 14 Novembre 2015
Alors soyons pervers, jouissons dans la rue?