LE DÉBLOG du Dr QUENU, psychiâtre sauvage
(N°2)
Buveurs(ses) très illustres, et vous, vérolé(e)s très précieux(ses), c’est à vous, non aux autres, que j’adresse ces fariboles, bols de farine, gaudrioles et tutto ciò che si vuole…
L’Admirable Nelson
Amis visiteurs de sites (comme on dit « pilleurs d’épaves »), au cours de ma déjà longue carrière, j’ai pondu (sous couvert d’anonymat pour ne pas nuire à d’éventuelles activités médicales – qui, du reste, ne se sont jamais concrétisées) un nombre considérable de bouquins de cul. La main gauche est ma main d’écriture. Et aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, chaque fois que j’ai pris la plume pour raconter une histoire, ç’a été pour ouvrir une voie d’escalade en direction d’une femme nue. Sinon à quoi bon lever le stylo, faire dégorger la plume sur le vierge papier ? Ça m’a joué des tours, je ne le cache pas, cette femme dénudée fantasmée qui attire comme un nord magnétique. Dès l’école primaire, le sujet féminin nu et cru aimantait mes rédactions. Que le thème proposé soit l’été, l’automne, le printemps ou l’hiver, il y avait toujours une femme à poire quelque pal… une femme à poil quelque part dans mon devoir. Et jamais le maître n’a lu à haute voix une de mes rédacs à toute la classe. En revanche, je suis certain qu’il se branlait dessus : je trouvais tout le temps de drôles de taches dans mes marges. Ça valait tous les 20 sur 20… Plus tard, au lycée, j’ai eu bien du mal avec les parallèles Racine/Corneille, Rousseau/Voltaire, Péguy/Claudel… Le moyen de fourrer une femme à poil au milieu de ces raseurs ? Quand même, je me souviens d’un passage bandant dans Britannicus :
NÉRON
«Excité d’un désir curieux,
Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornement, dans le simple appareil
D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil.
Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs,
Quoi qu’il en soit, ravi d’une si belle vue,
J’ai voulu lui parler, et ma voix s’est perdue :
Immobile, saisi d’un long étonnement,
Je l’ai laissée passer dans son appartement. »
Appréciez le « con » dans « D’une beauté qu’on vient d’arracher… ». Les grands poètes arrivent toujours à se faire comprendre – entre les lignes, entre les mots, de façon « inter-dite », comme a dit le César des psychiâtres, notre tsar à tous, Jaklah Khan (1901-1981).
Et puis, malgré les complexités de la langue racinienne, il me semblait comprendre que Néron, l’empereur voyeur, en pleine nuit, regardait passer Junie nue comme la main (elle allait aux toilettes ou quoi ?) entre deux haies de gardes armés d’épées et de flambeaux (on y voyait donc comme en plein jour), lesquels, à n’en pas douter, triquaient comme des ânes à son passage – à soulever le bas de l’armure en cuir épais clouté de bronze. Dans mon devoir sur Britannicus, en classe de 4e, j’avais mis le paquet à propos de cette tirade, et la prof de français, une petite débutante blonde gonflée de seins, avait refusé de noter ma copie, qu’elle ne m’a jamais rendue, du reste.
Au collège toujours, pour tâcher d’en apprendre davantage sur la femme nue, je scrutais les tableaux et les sculptures des musées et des livres d’art. Et je traçais des plans d’architecte pour dénombrer les tenants et les aboutissants, les tenons et les mortaises du corps féminin. Et par exemple, vaste question, combien la femme comporte-t-elle de trous en tout ? Quand on n’a pas de vraie femme sous la main, pas même de petite cousine, c’est coton comme question. J’ai commencé le dénombrement par le commencement, avec les moyens du bord : 2 oreilles, 2 orifices lacrymaux, 2 narines, 1 bouche, 2 canaux lactifères aboutissant aux mamelons (dictionnaire Larousse illustré), 1 méat urinaire (jamais observé de visu, mais ouï en cataracte à travers les portes, et aussi supposé par déduction : il faut bien que ça sorte par quelque part), 1 vagin (j’avais eu vent de son existence par le dernier de la classe, un triplant), 1 anus, 1 nombril (scientifiquement, c’était abusif de le baptiser orifice, mais dans le doute…), 1 col utérin (un cours pour aides-vétérinaires déniché dans un grenier m’avait renseigné). J’avais (incurable romantique, ça m’a passé depuis) rajouté la profondeur magnétique du regard féminin…
Ces préliminaires vont servir à mon interprétation sauvage de l’affiche du spectacle de Chantal Ladesou : Nelson.
Ladesou… oui, il y a quelque chose là-dessous – mais pas anguille sous roche… au contraire même, comme on verra.
Pour commencer, on a une femme (Chantal) + un lapin (Nelson). Tous deux, immobiles, nous fixent en chœur, intensément. On dirait qu’ils nous prennent à témoin d’on ne sait quelle expérience ou démonstration : ils semblent inséparables comme les termes d’un théorème. Du bras gauche, la femme exhibe haut le lapin – son lapin – comme si elle nous présentait les armes. De sa main crispée en pleine fourrure, elle exerce une certaine violence, et apparemment, le petit Nelson n’en mène pas large. Et en effet, si l’on en juge par son sourcil ultra-arqué (l’autre, à dessein, se tient caché sous la frange) et par son visage ultra-fermé, la dame paraît fort contrariée. Elle est mécontente du lapin ? Bien sûr ! Pauvre et innocente bête, que lui a-t-il donc fait ! N’allons pas trop vite !
Interrogeons l’étrange regard figé, minéralisé même, de Chantal. À mon avis, son regard soutient celui que nous portons sur le lapin : sa chose, sa créature. Ce lapin, elle en est responsable (comme si elle était sa mère, et même davantage). Elle a pris un air stoïque comme pour prévenir un feu roulant de critiques. Mais pourquoi devrions-nous dénigrer le mignon rongeur aux yeux apeurés ?
Il est temps de faire un peu d’étymologie, ça va aider. Partons du con, puisque après en être sortis, on ne cesse d’y retourner. Le mot en question provient du cunnus latin (gaine, fourreau), qui par analogie, désigne le sexe féminin. Mais il semble qu’au temps d’Henri IV (le Vert-Galant) un court-circuit étymologique se soit produit entre cunnus et cunniculus (lequel avait donné connin, connil, c’est-à-dire l’ancien nom du lapin). Finalement, qui est Nelson (qu’on est bien obligé d’associer à Trafalgar, Berezina, Waterloo…) ? Il représente le sexe de la dame, pardi ! Ou paradis, si on veut, mais pas pour tout le monde, à commencer par sa propriétaire qui, visiblement, fait la gueule.
Et là, on est bien obligé de faire intervenir ce vieux grognon de Pr Freud et son artillerie lourde (ça jette toujours un froid, mais le moyen de faire autrement ?). Á en croire le professeur, la petite fille n’est pas satisfaite de son sexe tel qu’il est, elle aurait voulu qu’un pénis y poussât (houlà !) comme chez les garçons… y a pas de raison, y a pas de justice ! Dépitée, amère, la fillette (il n’y aurait pas d’exception) se dit très mécontente de sa mère qui l’a faite femme, et qui elle-même est sujette à la même démangeaison : la fameuse « envie du pénis ». Fermez le ban (d’école) !
Du coup, on comprend mieux la mauvaise humeur, la fureur froide de la dame qui serre Nelson à l’étrangler : « Eh oui, paraît-elle nous dire, je n’ai que ça en magasin… j’ai tiré le mauvais numéro : celui du 2e sexe. » Comme annoncé en introduction, il n’y avait pas d’anguille sous la roche. Ce qu’il y a, c’est un trou.
Et au fait, pourquoi ce nom, Nelson ? D’abord, ça commence par un « n » et ça finit aussi par un « n » : autrement dit, c’est le serpent qui se mord la queue, et finit par s’annuler. Ensuite, les psys assurent que la petite fille, déçue par son sexe, se tourne vers son père pour lui demander – en compensation de ce qu’elle considère comme un manque – de lui faire un bébé. Et sur le refus scandalisé de son père (qui n’est autre que le mari de sa mère), la gamine s’en va chercher de par le vaste monde un père pour son enfant à venir : un garçon de préférence (de là le son (fils) de Nelson). Elle n’a donc pas tout perdu finalement : elle œuvre, et toutes les autres du même sexe avec elle, à la propagation de l’espèce.
Oui, amis visiteurs, si nous sommes venus en ce monde (tous nés d’une femme), c’est grâce à ce « défaut » crucial des petites filles, contre lequel elles n’ont pas fini de pester parce que, quelle que soit la réussite de leur vie d’adulte, elles n’oublient pas le préjudice que, pensent-elles inconsciemment, on leur a infligé… et qu’elles portent encore, bien fendu, « préjuteux », dans leur string de soie noir bordé de dentelle. Ah, Chantal, quand j’y pense ! Du calme, Édouard !
Mais il y a encore autre chose de gratiné (la preuve ci-dessus), qui pourrait renverser tout ce qui vient d’être dit… Certes, la femme n’est pas pourvue d’un phallus (lequel, soit dit en passant, procure bien des tracas aux hommes : eux ont peur de le perdre, mais c’est un autre folklore)… Elle ne l’a pas, mais il reste une solution (en plus de celle de l’enfant) : c’est de le devenir, carrément. Oui, être le phallus, voilà le programme. Et la femme va se dresser sur ses hauts talons, fière de sa beauté, pour se mettre à irradier en pleine lumière. C’est son corps entier, orné – armé – de seins en proue, de fesses en poupe, d’une chevelure gonflée comme une voile, d’une immense paire d’yeux maquillés capables de méduser, de lèvres peintes entrouvertes sur des dents faites pour mordre… qui va incarner le phallus. Dans le miroir, elle a raison de se trouver irrésistible au point d’oublier on ne sait quel manque pénien.
La preuve de ce que j’avance, c’est une histoire de stars : Marlene Dietrich disait de Greta Garbo (ou le contraire, mais ça revient au même) comme la pire des injures : « C’est un homme. » Autrement dit, une horreur. Un homme, c’est des grands pieds, du poil aux pattes, sur le poitrail, sur les fesses, avec un gros nez, plus des seins atrophiés, des attaches épaisses de bœuf de labour : une bête de somme, un esclave. Tout le contraire de « L’Ange bleu » ou de « La Divine ». CQFD, l’homme et son fameux pénis ont été jetés une fois pour toutes à bas de leur piédestal.
Encore un mot pour la route. On voit souvent des hommes d’âge mûr, plus trop beaux, mais qui ont réussi, exhiber aux yeux de tous une très belle jeune femme (en général, une blonde) dans une grosse voiture – décapotable de préférence, pour nous permettre d’admirer le trésor qui y trône (le plus souvent, la bimbo fait la moue, ce qui, entre nous, augure mal de l’amour). À quoi joue-t-il, notre vieux beau ? Il veut nous dire (preuve que ce n’était pas évident) : le phallus… moi, je l’ai, et d’ailleurs, le voici ! C’est la blonde explosive, toute droite dans son écrin d’acier profilé émaillé à froid : la voiture de sport lancée sur la 3e voie de l’autoroute.
Le dernier mot au poète (Léo Ferré) :
« La chevelure qui fait misaine
à la voiture américaine… »