A moins de vivre au fond du trou d’une mine de charbon chinoise, tout le monde sait que la presse généraliste se porte mal. Le destin du quotidien «Libération» en France ou celui du «Temps» en Suisse nous l’ont encore rappelé récemment. Dans un contexte économique désastreux pour les journaux et, dans la foulée, pour la liberté de penser d’une démocratie en bonne santé, personne ne pouvait imaginer qu’un magazine de niche puisse voir le jour.
La couv du premier numéro.
C’était sans compter sur l’initiative de Marie Kirschen et de son équipe, composée d’une trentaine de personnes dont un noyau dur de onze journalistes. Toutes ont relevé le pari un peu fou de lancer un semestriel: «Well Well Well», une revue haute de gamme disponible dans les librairies parisiennes ou via le Net.
Et Jeanne…
Les annonceurs sont généreux avec les gays qui ont une bonne réputation de consommateurs rentables, moins avec les lesbiennes, qui seraient toutes des gouines négligées qui ne boivent pas de champagne ou qui ne portent, bien entendu, pas de rouge à lèvres. On se fiche bien du dernier vernis à ongles tendance. Sauf que pas de cible marketing, pas de pognon. D’où une méthode qui commence à faire ses preuves: le crowdfunding (financement participatif) ,qui a permis à «Well Well Well» de récolter 17’000 euros en trois mois, au lieu des 10’000 escomptés. De quoi imprimer une revue de 128 pages sur un papier de qualité, sans publicité et donc en toute indépendance.
Le print est un choix casse-gueule, mais c’est un choix qui comble un grand vide avec la disparition, en 2013, de «Lesbia magazine» et de «La Dixième Muse». Voilà d’ailleurs sans doute pourquoi, le mensuel Jeanne n’est visible que sur le Net. Dans son contenu, ce dernier reste sur le terrain d’une presse féminine girly avec des rubriques psycho, sexo, conso, adaptées aux homos.
Plus femme. Moins fille
«Well Well Well», pour sa part, flirte avec une culture bobo plus intello, plus femme. Moins fille. L’un comme l’autre sont à l’image d’une génération qui se positionne davantage sur l’intégration que sur une revendication identitaire. Notons, au passage, que cette démarche a rangé, à tort, «Lesbia magazine» dans les rayons pornos des kiosques. Bref, ces deux titres se veulent donc positifs en s’adressant à une minorité qui a depuis toujours été sous-représentée dans les médias. Et, chacun dans son genre, est engagé politiquement avec une nette longueur d’avance pour «Well Well Well», comme le démontre la chronique de Virginie Despentes, une interview fleuve de la réalisatrice Céline Sciamma («Tomboy») dont le dernier film «Bande de filles» vient de sortir, ou les témoignages à visages découverts de quatre trans lesbiennes. Il y en a pour tous les âges, les articles sont fouillés, l’iconographie soignée et même en cherchant bien: aucun conseil beauté. Enfin une revue qui ne nous prend pas pour des tartes! Voilà qui fait du bien, bien, bien.
» http://fr.ulule.com/well-well/
» www.jeanne-magazine.com
«Une visibilité positive»
A 30 ans, Marie Kirschen est la rédactrice en cheffe de «Well Well Well»
Il n’y avait plus rien. Il y a désormais une revue exclusivement homo réalisée par des femmes pour des femmes qui aiment des femmes. «Well Well Well, un titre joyeux emprunté à une chanson du groupe «Le Tigre». Histoire de rendre hommage au mouvement Riot Grrrl, né au début des années nonante.
– Vous êtes à la tête de la nouvelle revue «Well Well Well».Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure?
Marie Kirschen – J’ai été responsable de Têtue.com. Suite au rachat du titre, ce site n’a pas été conservé. A peu près au même moment, Lesbia magazine et La Dixième Muse s’arrêtaient aussi. Très mauvaise période, puisqu’en plus, la désertion du paysage médiatique lesbien coïncidait avec le débat sur le mariage pour tous… Les lesbiennes avaient donc un réel besoin d’une visibilité médiatique positive.
– Le choix du support papier est un pari. En plus «Well Well Well» est un mook, entre la revue et le livre d’art.
– Je pense qu’il répond à une vraie attente de la part des lectrices et des lecteurs. Le lectorat veut un bel objet, un objet que l’on garde ou que l’on prête à ses amis. De plus, le mook permet de longs reportages, des interviews fleuves, un contenu poussé. C’est ce que nous voulions réaliser.
– Un peu avant «Well…», un autre nouveau média lesbien a fait son apparition : «Jeanne». N’y a-t-il pas un risque de concurrence ?
«Le lectorat veut un bel objet, un objet que l’on garde ou que l’on prête à ses amis.»
– Non, même si les projets ont été pensés à peu près en même temps, il s’agit de deux médias très différents. Jeanne est un magazine féminin lesbien diffusé sur le web. Pas Well Well Well. Les deux titres peuvent être lus par les mêmes personnes.
– Pour sortir le premier numéro, vous avez récolté des fonds via un appel à financement sur internet. Comment se passera la suite?
– Le crowfunding , avec près de 17’000 euros récoltés, nous a permis de boucler le numéro 1. En plus, cette sortie a rencontré un franc succès, la vente de ce numéro assurera celle du deuxième et ainsi de suite.
– Vous semblez très optimiste
– Notre lectorat n’est pas immense et il est relativement difficile d’attirer des annonceurs dans un magazine lesbien, mais nous avons fait le choix de nous en passer. Cela nous permet d’être indépendantes et d’avoir la liberté d’assumer la ligne éditoriale et esthétique que nous avons choisie. A nous, à l’équipe, constituée entièrement de bénévoles de ne pas nous essouffler.