Peut-on porter des robes à fleurs, et arborer les couleurs du féminisme queer? Peut-on avoir aiguisé ses rimes au fil de la scène slam, à force d’arpenter Seattle côté pluie, côté nuits de goudron et racines punk, tout en affichant des millions de vues sur YouTube avec des comptines mélancoliques? Peut-on chanter ses complexes à tue-tête (surpoids, trouble bipolaire, enfance v(i)olée…) et se retrouver aux Grammys, en fuseau rouge glam, à côtoyer Queen Latifah et Madonna? Peut-on avoir puisé la force de surmonter une adolescence au bord du gouffre en joignant sa voix à la chorale d’une communauté évangélique, et devenir, au hasard d’un simple refrain («Same Love» avec le rappeur Macklemore), une icône du militantisme pour le mariage gay américain?
Oui, on peut. «Yes, we can.» Mary Lambert, 25 ans, est cette nouvelle barde de la diversité US dont le parcours sillonne à mi-chemin entre alternative et mainstream pour mieux redéfinir les normes du show-business. Bon. La voluptueuse chanteuse, ouvertement lesbienne avant même les prémices du succès, n’est pas la première à avoir fait de ses fêlures, ses luttes identitaires et sa puberté cabossée les ingrédients d’une trajectoire vers la gloire. Sans même les comparer, Peaches ou Beth Ditto, bien avant Miss Lambert, ont hissé leur freak en étendard du chic. Mais là où Mary pleine de grâce augure le franchissement d’une nouvelle étape, c’est dans la manière dont elle se ré-approprie ses blessures. Elle ne les affiche ni comme les galons de la victoire, ni comme les cicatrices de l’amazone, ni comme la preuve d’un caractère en acier trempé. Non, Mary Lambert parle de ses faiblesses sans volonté apparente d’instrumentalisation. Si elle les affiche, c’est pour mieux rappeler que nos failles et nos imperfections sont bel et bien nos traits les plus communs – à vrai dire un trait d’union entre toutes et tous.
«Au moment où vous vous permettez d’être vulnérable en disant: «Je déteste mon apparence» ou «Je me demande comment serait le monde si j’étais mort-e», les choses changent.»
«En tant que société, nous avons oublié comment aimer quelqu’un qu’on ne connaît pas. Comment réparer ça? En commençant par avoir l’honnêteté d’accepter ce qu’on ressent», déclare-t-elle au blog AfterElle.com. «Au moment où vous vous permettez d’être vulnérable en disant: «Je déteste mon apparence» ou «Je me demande comment serait le monde si j’étais mort.e», les choses changent. La plupart des gens, en fait tout le monde probablement, a ressenti ce genre de choses. Alors pourquoi ne pouvons-nous pas les dire? Lorsqu’on est honnête avec qui l’on est, on jette des ponts, et c’est ce que j’essaie de faire.»
«physiques atypiques»
Créer du lien en revendiquant sa vulnérabilité? Désamorcer, surtout, le discours de l’ascension et de la réussite que produit la toute puissante société du spectacle. Soyons clair: il n’y a pas d’unijambiste, de grand brûlé ou de trisomique 21 dans les clips de Mary Lambert. Plutôt des «physiques atypiques» tous assez bien peignés, quelques gosses à coiffure afro, emos à mèches rebelles et butch farouche. Mais peu importe, le message est là: awkward is beautiful.
Il faut dire que, en matière d’antécédents filppants, Mary fait dans le lourd. De l’excommuniation de sa famille par la communauté pentecôtiste ultra-religieuse lorsque sa mère fait son coming out (Mary a six ans), jusqu’à son propre rejet par l’église évangélique quand, à 17 ans, Mary elle-même se découvre lesbienne après avoir rencontré sa première petite amie au sein de la paroisse, depuis ce viol collectif dont elle a fait un poème où un corps démembré flotte sur la rivière jusqu’à la drogue et la dépression dont la musique l’a sauvée, il y a de quoi vider quelques camions de valium. «Je m’enfermais dans ma chambre, j’allumais mon petit keyboard et je chantais: I’m loved, I’m loved, I’m loved.»
Premier frisson
Depuis, Mary Lambert met en refrain les affres de la dictature corporelle («Body Love»), ses questionnements sur l’identité Femme, l’amour au féminin («She keeps me warm»), la jubilation à dire tout haut les petits bizarreries qui froissent la bonne société («Secrets»). «Heart on my sleeve», le titre qui donne son nom à un premier album à paraître ce mois, raconte l’émotion de la première fille, de la première fois, du premier frisson. Une production ultra clean, ultra efficace, ultra positivante, en écho à des années balafrées, souillées, évaporées. Au bout du prêche pour l’acceptation de soi, le salut par la pop. ça redonne un peu la foi, tout simplement.