En mettant l’accent sur la violence physique à l’exclusion (quasi-)complète de toutes les autres, le documentaire
Homos, la haine dédouane paradoxalement La Manif pour tous d’une grande partie de ses responsabilités.
Hier soir, France 2 diffusait, dans sa case Infrarouge, un documentaire coécrit par Éric Guéret et Philippe Besson : Homos, la haine. Depuis quelques jours, cette œuvre télévisuelle de soixante-dix minutes bénéficiait d’une bonne promotion des associations LGBT sur les réseaux sociaux ainsi que d’excellentes critiques (trois «T» sur Télérama, par exemple) dans des médias qui se sont sans doute sentis concernés par ce sujet de société qui ne peut provoquer que l’indignation.
Le principe du documentaire est très simple : neuf hommes et femmes homosexuel(le)s témoignent, à visage découvert, des discriminations, du rejet voire des agressions homophobes qu’ils ont subis. Leurs témoignages sont entrecoupés de propos violents entendus dans les médias ces derniers mois, assimilant l’homosexualité à une abomination, une anormalité, une déviance, un péché, etc.
Les deux coauteurs de Homos, la haine, s’appuient sur ces témoignages émouvants (et qui, à n’en pas douter, correspondent à une partie de la réalité vécue par les gays et les lesbiennes en France, réalité que le service public s’honore évidemment à montrer) pour soutenir une thèse, énoncée très clairement dès le préambule du documentaire et confirmée dans les interviews qu’ils ont données dans le cadre de sa promotion. Ils affirment qu’en 2014, l’homophobie est toujours là, parfois extrêmement violente, et qu’elle a été ravivée par le mouvement de contestation du «mariage pour tous».
C’est une thèse tout à fait valide, ou du moins parfaitement défendable : il suffit, pour s’en convaincre, de lire les chiffres du Rapport annuel de SOS Homophobie pour 2014, qui montrent une explosion du nombre de propos et d’actes homophobes recensés.
Mais c’est aussi une une thèse terriblement mal défendue par ce documentaire, qui ne pourra convaincre que les convaincus. Pourquoi, par exemple, avoir choisi, pour illustrer les ravages causés par La Manif pour tous, des exemples de faits remontant parfois à plusieurs années avant même l’apparition de ce mouvement ? Homos, la haine, s’ouvre ainsi par un témoignant particulièrement éprouvant (et, du reste, toujours utile à entendre) de Bruno Wiel, tabassé et laissé pour mort en 2006, bien avant la première « Manif pour tous ». On ne verra donc pas ce que l’irruption de ce mouvement sur le devant de la scène médiatique et politique a entraîné comme bouleversements pour les personnes homosexuelles.
Au-delà de ce casting peu judicieux (même si, par ailleurs, chaque intervenant a des paroles fortes et intéressantes), si Homos, la haine a tant de mal à démontrer le lien de cause à effet (pourtant bien réel) entre les manifestations anti-mariage pour tous et l’explosion de la violence homophobe, c’est qu’il donne de cette dernière une définition beaucoup trop restrictive. Si l’on ne se basait que sur ce documentaire, on pourrait facilement croire que l’homophobie se limite aux agressions physiques, aux insultes et au rejet exprimé de la manière la plus crue. Par facilité ou sensationnalisme, Homos, la haine fait presque totalement l’impasse sur les formes plus insidieuses de l’homophobie, celles auquel les médias et les responsables politiques accordent de la légitimité et qu’il faudrait donc déconstruire en priorité. Si on en perçoit parfois des échos éloignés, on n’entend quasiment jamais, dans ce documentaire, ce discours homophobe plus élaboré qui a pourtant saturé les médias pendant des mois. Celui qui affirme qu' »un père et une mère, c’est élémentaire« , qu’un enfant a impérativement besoin de deux parents de sexes différents pour s’épanouir ; celui qui sanctuarise « l’ordre naturel » et la complémentarité des sexes ; celui qui défend un modèle familial à l’exclusion de tous les autres.
Ce discours, pourtant, produit lui aussi chez les gays et les lesbiennes, jeunes et moins jeunes, du mal-être, du déni, de la mésestime de soi-même qui peuvent conduire au suicide. Il représente lui aussi une violence dont les victimes sont bien plus nombreuses que celles d’agressions physiques, de rejet ou même d’insultes. Mais comme cette violence n’est pas montrée, le téléspectateur de France 2 qui n’est pas déjà convaincu par la justesse du propos ne pourra qu’en déduire qu’elle n’a pas existé – et que les agressions présentées dans Homos, la haine ne sont que les dommages collatéraux d’un mouvement majoritairement non-violent et pacifique.
La raison de cet oubli surprenant de la part des deux co-auteurs, c’est probablement une mauvaise compréhension du phénomène « Manif pour tous ». Parmi les opposants au « mariage pour tous » qui ont battu le pavé à plusieurs reprises depuis 2012, il n’y avait pas que des skinheads casseurs de pédés et des gens frustres incapables de penser l’amour entre deux personnes de même sexe (même si ces deux composantes étaient bel et bien présentes dans le mouvement). Il y avait aussi (et peut-être même surtout) ces pères et ses mères de famille bien propres pour eux, qui n’ont jamais levé la main sur une personne homosexuelle et qui répugnent même à salir leur bouche en proférant des gros mots comme « tarlouze », « sale gouine » ou « pédale ». Leur violence n’est pas physique, elle est beaucoup plus tortueuse et sournoise ; elle est d’ailleurs souvent invisible à leurs propres yeux et c’est en toute sincérité qu’ils peuvent jurer leurs grands dieux qu’ils ne sont pas homophobes. Ils le sont, pourtant, mais leur homophobie s’énonce d’une voix douce et calme, loin des éructations caricaturales que l’on entend dans Homos, la haine.
À cause de cette présentation tronquée de ce mouvement, La Manif pour tous n’aura aucun mal à se dédouaner de toute responsabilité dans les cas d’homophobie qui nous sont ainsi présentés. Elle pourra continuer à répéter qu’elle rejette la violence, que celle-ci n’est pas de son fait mais d’éléments incontrôlés et qu’elle n’a fait que porter sur la place publique un débat de société nécessaire. En voulant faire son procès mais en échouant à montrer que sa violence est multiforme, Homos, la haine dédouane paradoxalement La Manif pour tous d’une grande partie de ses responsabilités dans la vague actuelle d’homophobie.
Dans Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de La Manif pour tous ?, le politologue Gaël Brustier souligne à raison que la gauche, si elle a remporté une bataille politique, a perdu la bataille culturelle du mariage pour tous parce qu’elle n’a pas réussi à identifier correctement ses adversaires. Ce documentaire coécrit par deux hommes de gauche apporte malheureusement une preuve éclatante à sa démonstration.
Homos, la haine
À voir jusqu’au 9 janvier sur www.france2.fr/emissions/infrarouge/videos/113711773
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