Pour peu que l’on ait déjà passé cinq minutes sur une plate-forme de vidéos porno gay, on aura croisé leurs regards: des garçons d’à peine plus de 18 ans, sveltes et imberbes (mais bien membrés), un visage innocent éventuellement parsemé de quelques restes d’acné. Equivalent contemporain du «minet» d’autrefois, le twink est omniprésent dans l’industrie du X. Le mot, utilisé dans l’argot gay américain, proviendrait de Twinkie, une marque de snacks made in USA fourrés à la crème. De junk food à junk boy, il n’y a qu’un pas. «Les twinks sont tout spécialement considérés comme une denrée jetable», estime le spécialiste du porno gay Tim Evanson sur le site américain LGBT Weekly. «Les bears musclés et les bodybuilders n’ont pas à se soucier de l’âge et du poids, mais la durée de vie en rayon du twink maigrelet est d’une année, deux au maximum.»
Le genre s’est développé dans l’Europe de l’est post-communiste, dès les années 1990, pour des VHS ou des DVD. Les producteurs avaient à leur disposition une masse de jeunes hommes (hétéros et gays) sans expérience et sans perspectives. En 2009, le documentaire finlandais «All Boys» jetait un regard très cru sur ces garçons et sur le cynisme de leurs producteurs. La caméra suivait en particulier un certain Aaron Hawke, jeune Tchèque paumé qui finit à la rue après avoir admiré son propre visage en couverture des magazines érotiques.
«Tu prends, tu mâches et tu recraches»
Depuis une dizaine d’années, le twink est recruté à l’échelle mondiale pour des productions encore plus nombreuses, meilleures marché à réaliser et donc plus rentables que jamais, sur internet. «N’importe quel producteur de film te dira que ce qui fait vendre, ce sont les scènes qui montrent des hommes à l’air immature, maigres et bien montés entre 18 et 25 ans», explique encore Tim Evanson. «Plus le sexe est brutal et extrême, mieux c’est. Et puisqu’il y a 3000 à 4000 jeunes chaque année qui tentent leur chance dans le domaine des films pour adultes, les studios n’ont aucun intérêt à bien les traiter. Le business, c’est: tu prends, tu mâches et tu recraches.»
«Puisqu’il y a 3000 à 4000 jeunes chaque année qui tentent leur chance dans le domaine des films pour adultes, les studios n’ont aucun intérêt à bien les traiter»
Un moyen-métrage sorti récemment tente de cerner ce qui anime les jeunes candidats au vedettariat érotique. Dans «Twink», le réalisateur britannique Wade Radford, 24 ans, utilise pour cela le biais du faux documentaire, un peu comme dans «Tarnation» de Jonathan Caouette (2003), auquel «Twink» est souvent comparé. On découvre ainsi Kayden Daydream, un petit mec normal, working class, gentiment poussé dehors de l’industrie du porno gay après avoir été usé et abusé devant la caméra. Retired, expired, no longer desired, résume le slogan du film. Quand un documentariste vient l’interviewer, Kayden croit à une seconde chance. La dernière.
Exploitation
Trash, le film de Wade Radford tente de montrer comment les concepts d’amour, d’acceptation et d’estime de soi sont pervertis dans cette course aux étoiles vouée à l’échec. Egos broyés, egos en roue libre. On pense à Luka Rocco Magnotta, cet autre minet sur le retour, dont le parcours est allé du porno bas de gamme au home movie meurtrier. Cela lui a valu, en décembre dernier, une condamnation à perpétuité devant un tribunal de Montréal.
Le porno, estime le réalisateur anglais, est «le rêve de garçons sans éducation auxquels on n’a rien promis de mieux. J’ai des amis qui sont dans le porno et c’est OK pour moi. Ce que je conteste, c’est l’exploitation de garçons qui ne savent pas ce que leur engagement dans cet ‘art’ signifie, et qui ignorent qu’ils les poursuivra toujours.»
Reality shows
Pour Radford, le monde du porno cheap sur le web a des affinités frappantes avec celui des télécrochets et des reality shows: «Ce merdes, soit elles font de toi quelqu’un, soit elle te cassent. On voit ça sur les principales chaînes de télé: des vies que l’on détruit. Et est-ce que les producteurs en ont quelque chose à faire? Bien sûr que non!», dit-il à LGBT Weekly. Le jeune réalisateur ne craint pas de parler de «Twink» comme d’un film «éducatif»: «Je l’ai fait à l’intention des teenagers impressionnables; mais évidemment on va me dire qu’il n’est pas visible par les ados. Il faut donner aux jeunes gays une chance de s’éduquer, de savoir ce qu’ils valent, et il faut aussi mettre ces producteurs devant leurs responsabilités pour les vies et pour le bien-être de leurs employés. Enfin, il est temps que les jeunes voient les deux faces de la pièce, afin qu’ils puissent se dire: est-ce que c’est vraiment ma vie?»