Pour une éducation à la sexualité positive, inclusive et émancipatrice est un slogan qui fait son chemin depuis quelques années et s’est même retrouvé affiché sur les murs de la ville de Québec. La phrase est attrayante et a été reprise dans plusieurs contextes. Cependant, il importe de connaitre son origine et les concepts politiques auxquels elle fait référence afin qu’elle ne devienne pas un slogan vidé de son sens.
La première fois
L’expression a été consignée pour la première fois en 2014, dans le cadre d’une demande de subvention au Service aux collectivités de l’UQAM. Résumé de la demande :
« Ce projet est motivé par le désir que les jeunes en milieu scolaire reçoivent les outils et les formations dont ils et elles ont besoin pour découvrir et vivre une sexualité positive, inclusive et émancipatrice. Il propose d’analyser les besoins, attentes et critiques des jeunes envers les contenus d’éducation à la sexualité qui leurs sont proposés et de les mettre en perspective avec les contenus d’un échantillon des formations dispensées en milieu scolaire au Québec. Ce faisant, il portera un regard critique sur l’inclusion- ou non – des enjeux liés à la sexualité des personnes aux identités, capacités, orientations et pratiques minoritaires.(…) »
Cette demande a débouché sur la recherche « Promouvoir des programmes d’éducation à la sexualité positive, inclusive et émancipatrice. 2018 » par J. Descheneaux, C. Piazzesi , G.Pagé, M. Pirotte et la FQPN.
Les origines
Vers la fin des années 2000, sous l’influence de la regrettée Abby Lippman, la FQPN a commencé à travailler sur le concept de Justice reproductive et son adaptation au contexte québécois. La justice reproductive est à la fois un cadre d’analyse et de pratiques et un mouvement social qui a émergé aux États-Unis pendant les années 1990. Le terme a été consacré par des femmes Africaines-Américaines lors de la Conférence Internationale sur la Population et le Développement qui a eu lieu au Caire en 1994. Il est le résultat de l’amalgame entre « justice sociale » et « droits reproductifs ». La justice reproductive situe l’accomplissement de la pleine autonomie sexuelle et reproductive au sein d’un projet plus large de justice sociale. Ce mouvement a émergé de l’initiative de femmes racisées et autochtones et continue d’être majoritairement porté par elles.
Les stratégies
Parce que les oppressions reproductives affectent la vie des femmes et des individus de diverses façons, une approche multidimensionnelle est nécessaire pour combattre les oppressions et défendre la santé et les droits sexuels, reproductifs et parentaux. L’Asian Communities for Reproductive Justice (maintenant Forward Together,) dans A New Vision décrit trois stratégies complémentaires :
- La lutte en faveur des droits reproductifs (accent sur les structures juridiques et politiques qui restreignent le choix et l’autodétermination.)
- La lutte en faveur de la santé reproductive (accent sur l’accès à des services et des soins de santé adaptés pour toutes et tous.)
- La lutte en faveur de la justice reproductive (accent sur une transformation sociale radicale et systémique.)
C’est ce cadre d’analyse, transposé au contexte de l’éducation à la sexualité, qui a mené au concept de l’éducation à la sexualité positive (niveau individuel), inclusive (niveau structurel) et émancipatrice (niveau systémique). Ça n’a peut être l’air de rien dit comme ça mais c’est le résultat de pas mal d’années de lecture et d’analyse!
Le retour de l’éducation à la sexualité au Québec
En 2014, alors que le gouvernement annonçait le retour prochain de l’éducation à la sexualité dans les écoles du Québec, nous étions plusieurs à nous inquiéter des contenus qui allaient être proposés aux jeunes, parce que ni elleux, ni le milieu de pratique n’avait été consulté lors de l’élaboration du programme. Nous souhaitions que les contenus proposés par le Ministère s’intègrent dans un cadre d’analyse intersectionnel/anti-oppressif afin de répondre aux besoins de tous et toutes, et de ne pas re-marginaliser certains corps, identités et pratiques.
Le but de la recherche partenariale avec l’UQAM/la FQPN était d’étayer nos revendications en nous basant sur des études académiques qui mettaient de l’avant l’expertise des jeunes. Malheureusement, il y a eu peu d’écoute de la part du gouvernement qui avait déjà « cané » les contenus. Il est possible de suivre l’évolution de ce dossier via la Coalition Educ-sex.
Assez de blablah… Concrètement ça veut dire quoi?
Puis surtout ne vous gênez-pas pour venir mettre votre grain de sel et souligner ce qu’on aurait oublié.
Une éducation à la sexualité positive
- Reconnait le droit des personnes à avoir une sexualité (ou pas),
- Promeut l’idée que la sexualité est une source de plaisir et de bien-être,
- Reconnait que le désir joue un rôle dans les décisions que prennent les gens,
- Encourage chacun et chacune à réaliser son plein potentiel sexuel, quelle que soit la forme de celui-ci, sans jugement, tant que les parties impliquées sont consentantes,
- Reconnait la capacité de chacun et chacune de faire les meilleurs choix par rapport à sa vie sexuelle et reproductive, dans le contexte qui est le sien.
Une éducation à la sexualité inclusive
- Tient compte de la diversité des corps, des expériences, des vécus et des identités en matière de sexualité,
- Reflète cette diversité dans ses contenus et le matériel pédagogique utilisé,
- Adapte ses contenus et ses approches pédagogiques aux différentes capacités du public visé,
- Tient compte des besoins et de l’expertise du public visé,
- Intègre toutes les réalités dans son cursus, parce que les élèves ont le droit de recevoir l’information qui leur est nécessaire pour faire des choix éclairés dans leur vie intime, quelles que soient leurs identités, capacités ou expériences.
Une éducation à la sexualité émancipatrice
- Souligne le lien entre les différents systèmes d’oppression/privilège et la sexualité, (quels corps sont considérés comme in/désirables? Qui a accès à l’intimité? Qui a la capacité de faire des choix? )
- Aide à faire sens des dynamiques sociales, politiques et économiques et de leur impact sur les sexualités et à politiser les vécus. (passer du « je » au « nous »)
- Montre du doigt les systèmes qui impactent nos vies affectives et sexuelles : le racisme, le capacitisme, la grossophobie, la culture du viol, le cishétérosexisme, le classisme, etc. et ce faisant donne des pistes pour les démanteler et s’émanciper individuellement et collectivement
- S’inscrit dans un processus actif de réalisation de la justice sociale.
La conceptualisation des théories en éducation à la sexualité continue. Si vous écrivez ou lisez des textes pertinents sur le sujet, faites les suivre par ici!
Photo de couverture par le Collectif de collages féministes de Québec
BIBLIOGRAPHIE PARTIELLE :
ASIAN COMMUNITIES FOR REPRODUCTIVE JUSTICE, 2005, “A new vision for advancing our movement for reproductive health, reproductive rights and reproductive justice” .
DEMANDE AU PROGRAMME D’AIDE FINANCIÈRE À LA RECHERCHE ET À LA CRÉATION- RECHERCHE DANS LE CADRE DES SERVICES AUX COLLECTIVITÉS VOLET 2, 2014, Archives personnelles
DESCHENEAUX, J. PAGÉ, G. PIAZZESI, C. PIROTTE, M. FQPN, 2018, “Promouvoir des programmes d’éducation à la sexualité positive, inclusive et émancipatrice : méta-analyse qualitative intersectionnelle des besoins exprimés par les jeunes” .
FPQN, 2014, “La justice reproductive, ou l’application du prisme de la justice sociale à la santé et aux droits sexuels, reproductifs et maternels”
PLAN INTERNATIONAL, 2020, “Putting the C in CSE: standards for content, delivery and environment of comprehensive sexuality education”
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