«Avec l’arrivée de la trithérapie en 1996, la perception se modifie et passe d’une épidémie mortelle à une maladie chronique grave» explique Michael Voegtli, chercheur et co-auteur de l’ouvrage Homosexualités masculines en Suisse. En effet, il y a vingt ans, être atteint du virus du sida était synonyme de peine capitale. C’est dans le début des années 1980 que cette maladie fait son apparition en Occident. On parle alors de «peste gay» ou de «cancer gay».
En 1985 le virus est identifié. Des hommes et des femmes, dont de nombreux homosexuels et des toxicodépendants meurent. C’est l’hécatombe. Partout, les médias publient des images choquantes tandis que les associations, les médecins, les offices de santé publique et les politiciens s’activent afin de gérer l’épidémie. Aucun traitement efficace n’existait jusqu’à la découverte révolutionnaire de la trithérapie en 1996. Dès lors, les choses changent: avoir le sida dans le monde occidental n’est plus une fatalité.
La trithérapie est une combinaison de trois médicaments (antirétroviraux) pris chaque jour de la semaine. Ce traitement empêche le virus du Sida de se répliquer et améliore ainsi l’immunité et l’état général. Une avancée scientifique majeure qui a sauvé des vies mais qui, au début, s’est faite au prix d’un nombre élevé de comprimés et d’une toxicité non négligeable.
Catalyseur
«À Genève par exemple, c’est à la fin du mois de juin 1996 que les premières trithérapies ont été administrées aux patients hospitalisés alors qu’elles n’étaient pas encore homologuées par Berne», précise Barbara Pralong Seck, coordinatrice et membre de la direction du Groupe sida Genève. Une situation rendue possible notamment grâce à l’association Dialogai qui a joué un rôle de catalyseur.
«La trithérapie était miraculeuse. En quinze jours ou un mois, les gens étaient déjà debout»
«Nous avions très vite constitué un dossier sur les bienfaits de la trithérapie à l’attention du conseiller d’Etat Guy-Olivier Segond, explique Francis Sträuli, ancien membre du comité Dialogai. Il a été très réactif puisque Genève a joué un rôle pionnier dans le remboursement du traitement. Dès lors tous les autres cantons ont suivi». En effet, pour les patients les plus affaiblis, chaque jour compte. L’arrivée du médicament a donc véritablement bouleversé des destins. «La trithérapie était miraculeuse pour de nombreuses personnes, se souvient Zaqueu Guimaraes, président de l’association PVA. En quinze jours ou un mois, les gens étaient déjà debout.» Cependant il fallait compter avec des effets secondaires conséquents.
Des effets lourds
«Les premières trithérapies ont été marquées par des effets secondaires multiples tels que des effets gastrointestinaux, diarrhées, lipodystrophie (répartition non harmonieuse des graisses), troubles du métabolisme des sucres et des graisses», développe la professeure Alexandra Calmy, responsable de l’unité VIH-Sida aux Hôpitaux universitaires de Genève.
A ces symptômes physiques, s’ajoutaient aussi des effets psychologiques parfois sévères. «Lorsque j’ai testé les premiers traitements, j’avais envie de me jeter par la fenêtre se souvient Zaqueu Guimaraes. Ça a foutu en l’air ma perception de la réalité. J’ai donc arrêté plusieurs fois les médicaments avant de trouver une formule qui me convienne.»
«Au début, on ne savait pas combien de temps la trithérapie pourrait faire de l’effet sur l’organisme, ce qui a créé de l’anxiété chez de nombreuses personnes, entraînant parfois des suicides»
De plus, à cette époque les médecins n’avaient pas de recul sur l’efficacité à long terme du traitement. «Au début, on ne savait pas combien de temps la trithérapie pourrait faire de l’effet sur l’organisme, ce qui a créé de l’anxiété chez de nombreuses personnes, entraînant parfois des suicides», se rappelle Barbara Pralong-Seck. Un sentiment de sursis accablant dont elle a été témoin puisqu’à cette époque, elle participait déjà aux efforts de l’association. «Je me souviens qu’une personne m’avait dit: ce que je vis est comparable à la réalité d’un camp de concentration. Je suis sur le pas de la porte, sur le point de sortir, mais personne ne peut me garantir que ne vais pas y retourner. C’est insupportable.»
Il faudra attendre près de quatre ans, soit le début des années 2000, pour que les gens soient davantage en confiance. «Cette période marque un nouveau souffle et ouvre un véritable horizon d’espoir», affirme la coordinatrice du groupe Sida Genève. Pourtant même si le traitement est efficace, il ne permet pas pour autant de guérir. Le monde médical parle alors de «maladie chronique» et pour les patients, cette nouvelle est un véritable coup de massue.
L’espoir fragile
En 2007, la déclaration du professeur Bernard Hirschel, responsable de l’Unité VIH-sida des hôpitaux universitaires de Genève (HUG), permet néanmoins un nouvel élan. «Cette annonce stipulait que les malades traités avec virémie indétectable depuis au moins six mois, ne sont pas infectieux par voie sexuelle, éclaire la coordinatrice de l’association. En d’autres termes, les personnes sous trithérapie et dans une relation stable pouvaient arrêter de mettre des préservatifs, faire des enfants et retrouver une vie de couple, affective et sexuelle, semblable à la normale».» En parallèle de cela, la toxicité des médicaments ainsi que leur quantité et leurs effets secondaires diminuent progressivement. «Aujourd’hui, en 2016, les thérapies sont plus simples à prendre et sont bien tolérées, assure Alexandra Calmy. Certains patients ne prennent plus qu’une pilule par jour. C’est la formule 3 en 1 en quelque sorte».
QUELQUES DATES
1980 Les premiers cas sont détectés aux Etats-Unis 1983 Une équipe de l’Institut Pasteur (Paris) virus est isolé
1986 Mise au point du premier traitement AZT, qui ralentit la progression du virus.
1991 Le ruban rouge devient le symbole officiel de la lutte
1996 Apparition des premières trithérapies.
1997 Premier vaccin expérimental 2007 En Suisse, l’annonce Hirshel stipule que les personnes sous traitement depuis au moins 6 mois ne sont plus infectieux par voie sexuelle.
2009 Première combinaison à dose fixe permettant à de nombreux malades de prendre leur traitement en une seule prise
QUELQUES CHIFFRES
Selon ONU sida En 2014: 36,9 millions de personnes vivaient avec le VIH (dont 25,8 millions en Afrique subsaharienne et 2,4 millions en occident). 15,8 millions de personnes ont accès à la thérapie antirétrovirale à la fin juin 2015 10,7 millions de personnes avaient accès à la thérapie antirétrovirale en Afrique subsaharienne contre moins de 100 000 personnes en 2002.