Certaines associations parlent d’un «jour historique» pour décrire la séance qui s’est tenue hier 12 juillet à l’Assemblée nationale, d’autres se veulent plus mesurées. L’article 18 quater du projet de loi Justice du 21e siècle, qui vise à fixer un cadre légal aux démarches des personnes trans pour effectuer leur changement d’état civil, a de nouveau été discuté devant la chambre basse du Parlement cette semaine, qui l’a adopté hier après-midi.
UN FEUILLETON DE PLUSIEURS SEMAINES
La séance d’hier s’inscrit dans un feuilleton qui dure depuis plusieurs semaines. Déposé par des député.e.s PS, emmenés Pascale Crozon et Erwann Binet, il y a deux mois, l’amendement est dès le début jugée largement insuffisantes au regard de la situation actuelle des personnes trans. Ces organisations exigent du gouvernement la mise en œuvre d’une procédure libre et gratuite pouvant s’effectuer devant un officier d’état civil, en mairie, alors que le texte prévoit une démarche certes démédicalisée, mais encore soumise à une décision de justice bien trop arbitraire, toujours selon les associations.
Sous-amendé par le gouvernement le 19 mai, le texte de l’amendement est déjà sensiblement modifié, avant son adoption en première lecture à l’Assemblée nationale. Il est ensuite examiné en commission mixte paritaire au Sénat, où les deux parties ne parviennent pas à un accord. Il revient fin juin pour une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. Entretemps, le Défenseur des droits a fait part de ses recommandations, invitant le gouvernement à légiférer pour mettre en œuvre une procédure fondée sur l’autodétermination. Le 5 juillet, plusieurs associations trans sont reçue par le ministère de la Justice. Certaines en ressortent avec le sentiment de ne pas être suffisamment écoutées, d’autres se montrent un peu plus positives. Le texte est ensuite examiné en commission des lois lundi 11 juillet, alors que plusieurs député.e.s, tous partis confondus, ont déposé pas moins d’une trentaine d’amendements visant à le modifier.
Il s’agit du «pire texte jamais proposé dans le monde depuis 20 ans», estiment en début de semaine plusieurs associations co-signataires d’un communiqué publié ce lundi 11 juillet par l’Association nationale transgenre (ANT), C’est Pas Mon Genre, OUTrans, Trans Inter Action et la Fédération LGBT. Les associations Acthe, Le Jardin des T, Prendre Corps, Trans 3.0, En Trans, ainsi que l’Inter-LGBT signent elles aussi un communiqué en réaction aux nouveaux amendements, exprimant leur soutien à une partie d’entre eux. Treize sont acceptés lundi en commission.
Enfin, l’amendement est examiné hier en fin d’après-midi en séance. Yagg vous raconte ce qui s’y est passé.
DES AMENDEMENTS PROGRESSISTES… TOUS REJETÉS
La députée PS de Meurthe-et-Moselle Chaynesse Khirouni et la députée PS des Côtes d’Armor Annie Le Houérou avaient déposé l’amendement 174, qui selon l’ensemble des associations, est totalement en adéquation avec ce qu’elles préconisent, soit un changement d’état civil fondé sur l’auto-détermination: «La députée Chaynesse Khirouni est la seule qui ait pris en compte les recommandations des associations» a expliqué à Yagg Delphine Ravisé-Giard, présidente de l’ANT. Cependant, l’amendement a été repoussé par la commission des lois, au même titre que certains amendements du député écologiste Sergio Coronado. En séance hier après-midi, la députée Chaynesse Khirouni a défendu cet amendement avec conviction comme étant une «occasion historique», rappelant qu’il est cohérent avec les demandes des associations. «Je ne crois pas que ce soit complètement décalé par rapport à notre réalité juridique, a-t-elle insisté, la France se doit d’être aux avant-postes de ce combat pour l’égalité». L’amendement a été voté en scrutin public (réclamé par l’opposition) après que le gouvernement a demandé à la députée de le retirer. Il a été rejeté à 29 voix contre 4.
Autre enjeu de ce texte, la possibilité pour les mineurs de pouvoir débuter une procédure de changement d’état civil. Le député Sergio Coronado avait déposé des amendements permettant d’abaisser l’âge légal de 18 à 16 ans pour effectuer une demande, et pour que les mineurs âgés entre 6 à 16 ans puissent le faire en présentant une autorisation parentale (les amendements 138, 139 et 141). Ces amendements ont été rejetés, après que le rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec a affirmé que cela n’était «pas envisageable» et que le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a décrété que cette mesure ne représente «pas un besoin»: «Il n’y a eu qu’un seul cas de personne trans mineure en France», a-t-il affirmé.
Le gouvernement n’a pas hésité à affirmer en outre qu’il tient particulièrement à maintenir une judiciarisation de la procédure, coupant court à tout espoir de mettre en œuvre des démarches fondées sur l’autodétermination devant un officier d’état civil. Défendant ses amendements, le député PS Erwann Binet, à l’origine avec Pascale Crozon de la première version de l’article, a lui aussi affirmé que le changement d’état civil ne pourrait pas être déjudiciarisé: «Nous avions indiqué dès le départ aux associations trans que le changement d’état civil ne pourrait pas se faire devant l’officier d’état civil», a-t-il justifié.
Le député PS Erwann Binet: «Nous avions indiqué dès le départ aux associations trans que le changement d’état civil ne pourrait pas se faire devant l’officier d’état civil»
L’OPPOSITION CONTRE L’ARTICLE 18 QUATER
Plusieurs député.e.s de droite ou d’extrême-droite avaient eux/elles aussi présenté des amendements à l’article 18 quater, notamment la frontiste Marion Maréchal-Le Pen. La députée a voulu faire accepter un amendement affirmant que «l’identité sexuelle» est définie par les organes génitaux:
Le député Jacques Bompard (Ligue du Sud) a présenté plusieurs amendements dont un visant à obliger les requérant.e.s au changement d’état civil à apporter «des preuves scientifiques». L’une de ses propositions avait été acceptée par la commission ce lundi:
Ni l’une, ni l’autre des député.e.s d’extrême-droite n’étaient présent.e.s en séance ce mardi 12 juillet pour défendre ces amendements. Mais plusieurs député.e.s de l’opposition étaient bien là pour contrer la modification de l’article 18 quater, comme le député LR Philippe Gosselin, qui a critiqué une «simplification à l’extrême» et une mesure «qui ouvre la boîte de Pandore». D’autres ont évoqué le «danger» que représenterait une telle mesure, usant d’éléments de langage alarmistes et réactionnaires déjà entendus pendant les débats sur le mariage pour tous.
QUE RESTE-T-IL DANS L’ARTICLE 18 QUATER?
C’est donc devant un tribunal de grande instance qu’une personne pourra déposer une demande d’état civil. Jusqu’ici rien de très nouveau, puisque les demandes s’effectuent déjà à l’heure actuelle dans le TGI du lieu de résidence de la personne, ce qui représente une inégalité de fait entre les requérant.e.s. L’article 18 quater voté hier ne permet donc pas de déjudiciariser la procédure comme le réclamaient les associations trans. Néanmoins, elle sera désormais démédicalisée, ce qui signifie que les requérant.e.s n’auront plus à fournir d’attestation d’ordre médical pour justifier cette demande: «Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande», reste-t-il écrit dans le texte. Enfin, seuls les mineurs émancipés pourront effectuer une demande.
Lire la tribune de Changement d’état civil, encore un effort pour une procédure à la hauteur des enjeux pour les personnes trans!, signée par OUTrans (Paris), Acceptess T (Paris), C’est pas mon genre (Lille), TRANS INTER Action (Nantes), Ouest Trans (Bretagne), Les Myriades trans (Limoges), Association Nationale Transgenre (ANT), Observatoire des Transidentités (ODT), collectif Existrans.