Ils seraient 30 000 en France, mais les chiffres fluctuent tellement qu’il est difficile de savoir s’ils reflètent la réalité. La réalité des transsexuels, hommes enfermés dans un corps de femme ou femmes dans une enveloppe masculine, est celle qui fut exposée dans un colloque organisé [en octobre 2009] à Montpellier : de grandes difficultés d’accès aux soins, au travail, à une nouvelle identité.
Au bout, il n’y a ni victoires, ni défaites. On est loin des caricatures, qui les assimilent aux travestis. Loin de la confusion, qui confond
transsexualité et
homosexualité. Le genre n’est pas qu’une question de sexe. Et quand les frontières bougent, la société est ébranlée.
par Sophie GUIRAUD,
Midi Libre, 16 octobre 2009
Photo Sylvie CAMBON
« On est dans une jungle » : Camille Bernard, secrétaire nationale du GEsT, groupe d’étude
sur la transidentité, est pourtant une battante. L’Héraultaise a franchi avec succès les obstacles de la longue et difficile route d’une femme enfermée dans un corps d’homme. Aujourd’hui, elle participe aux
Assises du corps transformé, deux jours de débats sur la transsexualité et plus largement, les questions de genre (hermaphrodisme, syndrome de Klinfelter...) à la faculté de droit de Montpellier, avec des psychiatres, chirurgiens, juristes…
Difficile à appréhender, la question n’en est pas moins d’actualité : ces derniers mois, l’Europe, la Haute autorité de santé (HAS), la ministre de la Santé se sont exprimés sur le sujet. Roselyne Bachelot propose en l’occurrence de gommer le transsexualisme de la catégorie des
« affections psychiatriques », à l’image de ce qui a été fait pour l’homosexualité.
En l’absence d’étude fiable, difficile d’évaluer le nombre de personnes concernées : les chiffres oscillent entre 6 500 et 32 500. Plus généralement, 1,7 % des Français ont des troubles liés à l’identité de genre. Pourtant, chaque année, à peine une centaine d’individus subissent une intervention chirurgicale pour changer de sexe.
« Le transsexualisme n’est pas un phénomène exceptionnel », estime l’HAS. Brigitte Rimlinger, psychiatre, souligne
« la similitude des histoires » :
« Dès l’enfance, ils ont le sentiment d’appartenir au sexe opposé. » « C’est parfois le cas de la jeune étudiante très féminine et adaptée en apparence. On n’est pas sur l’image classique de la transsexualité contaminée par la notion de travesti plus ou moins ridicule et liée au monde de la nuit, de la drogue, de la prostitution », explique Jean-Claude Penochet, psychiatre au CHU de Montpellier. Référent régional pour la prise en charge, il suit 30 à 50 personnes. La psychiatrisation du phénomène est aussi controversée que l’origine (biologique et / ou psycho-familiale) est discutée.
« C’est la seule maladie psychiatrique soignée par de la chirurgie. Je suis convaincu que ce n’est pas psychiatrique », s’indigne le juriste François Viala, organisateur du colloque à Montpellier.
Brigitte Rimlinger défend aussi
« la combinaison du biologique et de l’environnemental ». Mais le protocole reste figé : tout aspirant au changement d’identité sera suivi au moins deux ans en psychiatrie. Il devra montrer sa détermination en engageant un traitement hormonal, en travaillant sa voix, ses attitudes…
« La transformation physique permet de savoir s’il pourra s’adapter à son nouveau sexe », explique Jean-Claude Pénochet.
L’avis des psys et l’opération chirurgicale ouvrent la voie au changement d’état civil devant le tribunal de grande instance. Pour l’intervention chirurgicale, il faut aller à Marseille, Lyon, Paris ou Bordeaux.
« Deux ans et demi d’attente », rappelle Camille Bernard. Elle, est partie en Thaïlande.
http://www.midilibre.com/articles/2009/10/16/A-LA-UNE-Changer-de-sexe-encore-un-tabou-mais-des-avancees-961076.php5
Camille : « Je suis la même personne »
DR
« J’ai 53 ans, je suis un cas d’école », amorce Camille Bernard. Une transsexuelle qui n’a pas grand-chose à cacher, hormis son prénom de garçon dans une autre vie, huitième enfant d’une famille « bourgeoise et catholique » du XVIe arrondissement parisien.
Administratrice au Planning familial de Montpellier où elle a mis en place une cellule d’écoute et propose des formations aux travailleurs médicaux et sociaux sur les questions de transidentité, Camille Bernard raconte son histoire dans le film Next station nana, et sur internet (1). Adjointe au maire d’un petit village de l’arrière pays héraultais où elle tient une chambre d’hôtes, très investie dans le milieu associatif, Camille Bernard a choisi de faire sa « transition au grand jour ».
Après des années à se cacher. « J’ai vécu depuis ma toute petite enfance avec un gros point d’interrogation. Je ne peux pas dire qu’à cinq ans, je savais que je voulais être une fille. Mais une pulsion me poussait à chiper les affaires de mes sœurs. J’ai compris très tôt que ce n’était pas socialement correct, un instinct de survie a fait que j’ai appris à dissimuler », raconte Camille, qui a vécu dans « la crainte permanente d’être découverte ».
Elle tombe amoureuse, se marie, une première fois, « croit que c’est fini ». « C’est revenu quelques mois plus tard. » « L’amour, pour moi, c’est être dans la confiance. Je n’ai rien caché à mes compagnes. Sexuellement, ce n’était pas extrêmement probant. Je n’ai jamais eu de relation homosexuelle parce que j’étais formatée pour avoir des relations avec les femmes. Mais physiquement, c’était le no man’s land. Je n’étais pas un foudre de guerre, j’y arrivais en me faisant un cinéma fantasmagorique où j’étais la femme. »
Ce qu’elle est officiellement depuis un jugement du tribunal de grande instance, en 2007. Un an plus tôt, Camille, pourtant remariée, a été opérée en Thaïlande, « l’eldorado pour ce type d’interventions ». « Le réveil à l’hôtel, cinq jours après l’opération », reste une grande émotion.
Comme « la première fois que j’ai fait l’amour avec un homme », et le souvenir du « premier homme qui m’a vue comme une femme sans connaître mon passé ».
Camille, toujours mariée, est restée « la meilleure amie » de son épouse. « Chacune vit sa vie. Je suis la même personne parce que mon ressenti au monde a toujours été différent. Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Chacun a cette double polarité, et on essaie de se dém… avec. »
(1) http://transamie.free.fr
lien de l'article : http://www.midilibre.com/articles/2009/10/16/A-LA-UNE-Camille-Je-suis-la-meme-personne-961077.php5
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Devenir des transsexuels opérés (source :
l'Information Psychiatrique) L’objet de cette étude est d’évaluer, à travers la littérature scientifique internationale, le devenir des transsexuels opérés et les conséquences du traitement hormonochirurgical (THC). Les transsexuels se disent satisfaits de leur transformation dans plus de trois quarts des cas et, en définitive, très peu la regrettent. Il apparaît assez clairement que le THC engendre des effets largement plus positifs que ceux que prévoyaient jadis les médecins et, plus encore, les psychologues (...) Concernant "
Le devenir social" : Dans la majorité des cas après l’opération, les transsexuels vont dans le sens de relations sociales plus riches et plus nombreuses. Ils sortent de leur isolement social, osent entreprendre des activités jusqu’alors largement évitées. Cette amélioration des relations sociales est imputée à l’adéquation entre l’identité de genre et l’anatomie (...) Mais il faut noter que certains de ces critères tendent à être remis en question avec l’évolution des attitudes vis-à-vis des différences dans la société, l’évolution de la typologie transsexuelle et un meilleur suivi des populations transsexuelles. (
l'Information Psychiatrique. Volume 81, Numéro 6, 517-28, Juin-Juillet 2005, le corps transformé)
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