Vincent Ollivier est avocat pénaliste, ancien secrétaire de la Conférence des avocats du Barreau de Paris et tient des chroniques sur l’actualité juridique sur Mediapart.
Toscane est son premier roman.
Mon avis
La quatrième de couverture annonce « Trois coups de feu déchirent le silence d’une villégiature équestre en Toscane. » J’ai lu la dernière page de Toscane, comme à mon habitude, et puis commencé ma lecture, curieuse de découvrir si ce nouvel auteur allait réussir à m’emmener jusque-là, jusqu’aux dernières phrases qu’il avait choisies pour clore son histoire. Par quels chemins allait-il m’y amener ? Allait-il avoir la plume agile comme ses chroniques judiciaires le laissaient supposer ou bien au contraire, sur la longueur, elle deviendrait plomb ? Allait-il réussir à me surprendre, à me donner envie de ne pas lâcher son roman ?
Vincent Ollivier sait, sans équivoque, dérouler une intrigue des plus classiques : en effet, Toscane raconte une histoire d’adultères, d’argent détourné et de trafic d’armes qui débute par trois morts. Le rythme est lent, comme écrasé par ce soleil d’été toscan, mais personne n’a dit que c’était un thriller. Le récit est rapporté à la première personne du singulier par un narrateur dont un lecteur averti devinera rapidement l’identité et possiblement le rôle qu’il aura tenu. Et alors ? Je n’ai pas lâché le roman. Ollivier est doué pour semer des indices qui donnent envie de lire la suite.
De prime abord, la thématique principale tourne autour de l’argent et des apparences, ces façades que quelques nantis affichent pour que d’autres croient à leur réussite ou leur félicité. En filigrane apparaissent d’autres thèmes : l’enfance maltraitée et l’amour raté ou perdu ; toutes ces blessures et ces fissures que les personnages adultes traîneront avec eux et influeront sur leurs actions.
Si la prose de l’auteur est parfois un peu trop châtiée, elle se marie toutefois à ses personnages issus, pour la plupart, de la bourgeoisie anglaise ou française. L’atout de Vincent Ollivier est cet humour caustique qui éclaire les recoins les plus sombres de la personnalité de ses personnages. Les scènes de guerre sont plus crues que les scènes de sexe mais ce n’est pas non plus un roman érotique.
Toscane contient certes quelques petites maladresses que le lecteur oubliera rapidement tant les chemins de vie choisis par les personnages attisent la curiosité. Chapeau bas, Monsieur Ollivier, et merci pour ces beaux instants de lecture. Merci pour avoir créé Herbie, le personnage que j’ai préféré.
Extraits choisis
[…]
— De quoi parliez-vous, avec sa femme ?
La question de l’inspecteur me prit une nouvelle fois au dépourvu. Elle était quelque peu incongrue mais, surtout, le ton avec laquelle il l’avait posée était presque menaçant, comme si le sujet de nos conversations était la cause de ce qui s’était passé.
Je répondis que nous ne parlions pas beaucoup, que nous ne nous retrouvions que pour baiser. En un sens, c’était vrai, d’ailleurs. Nous nous retrouvions essentiellement pour cela. Linda m’excitait comme un fou. Depuis cette première fois dans les écuries, je ne cessai d’inventer des occasions d’aller voir les chevaux. Il y avait un box inoccupé contre les murs duquel je la prenais parfois debout. Il y avait les champs autour, l’ombre des oliviers et des chênes, des multitudes de recoins où je pouvais assouvir l’envie que j’avais d’elle. Elle savait, avec ses seins, sa bouche, ses doigts, son sexe et son cul, faire des choses proprement inimaginables qui me mettaient en transe. Quand je retrouvais Linda, s’il y avait bien une chose que n’oubliions jamais de faire, c’était baiser.
[…]
Pendant ces quinze années durant lesquelles elle avait vécu avec James et lui avait fait un enfant, elle n’avait cessé de s’interroger sur le curieux destin qui était le sien. Comment elle, à qui tout était promis, qui aurait dû monter naturellement vers les firmaments les plus exaltés, se trouvait-elle vivre cette vie médiocre, entourée d’un mari banal et d’un enfant si lisse qu’elle ne parvenait pas à planter son amour dedans ? James était gentil, bien sûr, Brian aussi. C’était sans doute la raison, d’ailleurs, pour laquelle elle avait toujours étouffé en leur compagnie. La gentillesse, c’était banal, tiède, invisible. Il lui fallait, à elle, une vie hors du commun.
Elle aurait voulu que l’univers s’étale à ses pieds, qu’il lui soit offert comme cadeau, un don de la providence qui serait naturellement tombé sur ses épaules. Elle ne comprenait pas pourquoi cela n’était pas advenu. Elle voulait croire encore que cela ne pouvait manquer d’être un jour.
Evidemment, pendant toutes ces années, elle avait collectionné les amants. Elle n’avait jamais éprouvé le moindre scrupule à tromper son mari. Elle se présentait pourtant comme une épouse fidèle et, pour elle, ce n’était pas réellement une posture. Elle n’avait jamais accordé aux aventures qui avaient jalonné son mariage une importance supérieure à celle de ses virées shopping avec ses voisines de la banlieue résidentielle de Manchester.
Toutes ces liaisons n’étaient que divertissements à propos utilitaires. Elles lui faisaient passer le temps en même temps qu’elles la rassuraient sur le type de femme qu’elle pensait être. Chaque fois, cela marchait un peu moins que la précédente. Elle augmentait la fréquence de ses doses et, évidemment, cela ne faisait qu’aggraver les symptômes de son mal.
Michael la sauvait de cette déchéance. Elle avait enfin trouvé quelque chose qui faisait battre son cœur et qui n’impliquait pas qu’on la baise en lui triturant les seins dans un hôtel glauque.
Elle se sentait redevenir aussi légère, aussi pleine d’espoir que lorsqu’elle avait seize ans, quand elle avait entretenu cette correspondance passionnée avec un pianiste hongrois, venu passer un été à Manchester. Sincère, timide, le jeune homme n’avait jamais essayé comme les autres de la prendre à la fin d’un match ou de la faire boire à l’arrière d’une voiture jusqu’à ce qu’elle écarte les jambes. Il lui avait joué du piano en la regardant tendrement et, à la fin du séjour, lui avait seulement laissé une adresse de messagerie. Ils s’étaient écrit pendant des mois, se disant des choses qu’ils n’avaient jamais écrites à personne, se malaxant avec des mots jusqu’à ce qu’ils se fondent tous deux dans une romance épaisse et sucrée, extatique et inutile.
[…]
Après l’avoir sauvée et passé la nuit à la consoler, Herbie revit la Princesse tous les jours. Il se développa entre eux une relation particulière, faite de tendresse et d’incompréhension.
Rien ne les rapprochait, sinon leur âge. Ils étaient en tout point différents. Herbie n’avait peur de rien, adorait la violence et méprisait toute forme de sensibilité. La Princesse tremblait devant son ombre, n’aurait pas donné un coup de bâton à un chien enragé et semblait, à la moindre émotion, toujours prête à pleurer.
Pendant les quelques jours qui le séparaient de son entrée à l’armée, Herbie dérogea à son programme quotidien, arrêta de boire et réserva son activité de dealer aux heures où il ne la voyait pas.
N’importe qui les observant aurait conclu en moins de cinq minutes qu’ils étaient amoureux mais, s’il s’était avisé de le lui dire, il se serait certainement fait rectifier le portrait. Herbie refusait de s’avouer quoi que ce soit de cette nature. Ce n’était pas par pudeur ou parce qu’il aurait jugé cela incompatible avec sa virilité. C’était seulement qu’il ne voyait pas comment elle aurait pu lui retourner cet amour. Il préférait donc rester sourd à tous les signaux que son cœur lui envoyait.
Pour lui, la Princesse était un être d’un autre monde. Tout ce qu’elle disait, faisait ou pensait lui paraissait étrange et merveilleux. Elle évoquait des sujets qui ne lui avaient jamais traversé l’esprit, parlait de livres qu’il n’avait jamais lus, de tableaux qu’il n’avait jamais vus, de films dont il ignorait l’existence.
Elle était une fenêtre sur un monde qu’il n’aurait jamais osé approcher et dont il craignait, s’il s’avisait de vouloir y poser un pied, d’en être aussitôt brutalement chassé.
De son côté, la Princesse éprouvait à son égard les mêmes sentiments et, pour des raisons similaires, refusait de se les avouer. Ils passaient ainsi leurs journées comme deux enfants, à se parler, à se regarder, à rire ensemble, sans jamais oser se toucher ni s’avouer ce qu’ils ressentaient.
Pourtant, ils étaient, face à cette découverte, différents.
Pour Herbie, cette douceur, cette tendresse, cet émerveillement permanent d’entendre, de voir, de sentir l’autre, c’était quelque chose qu’il n’avait jamais expérimenté auparavant. Son monde était brutal. Le corps y occupait tout l’espace. L’esprit, les sentiments n’avaient jamais eu de fenêtre par laquelle ils auraient pu venir chanter au grand jour. Sentir s’éveiller son esprit, éprouver des sensations qui n’étaient ni la colère, ni l’envie, ni la haine lui tournaient la tête. Il vivait dans une forme de brouillard. Parfois, il avait l’impression d’être au-dessus du monde, planant à cent pieds au-dessus de lui. Parfois, en revanche, il se sentait mal, son ventre était douloureux, il cherchait son souffle.
Pour la Princesse, même si ce n’était pas moins fort, c’était moins inattendu. Elle venait d’un endroit plus policé, moins soumis à la rudesse de la vie, où l’on était moins habitué à user de ses poings que de sa langue ou de sa plume. Ces émotions qu’elle éprouvait, c’était celles dont ses lectures lui avaient parlé. Elle les ressentait intimement, mais son corps les absorbait sans question ni crainte. Elles la nourrissaient.
Vint le jour où Herbie dut partir pour Fort Bragg. La soirée qui précéda son départ, il la passa avec elle, évidemment. Flottait entre eux la perspective de leur séparation. Herbie était nerveux. La Princesse était rêveuse. La conversation traînait sur des points sans importance. Il l’interrogea sur ce qu’elle voulait manger. Elle lui répondit d’un air absent. Leurs yeux se croisaient, puis se fuyaient. Chacun d’entre eux était convaincu qu’il fallait qu’ils se disent quelque chose d’essentiel, mais ni l’un ni l’autre ne trouvait les ressources pour se lancer.
Herbie n’était pas sûr de ce qu’il devait lui proposer. Il s’estimait si inférieur que l’idée même de lui offrir de devenir sa petite amie lui paraissait absurde. Il lui semblait qu’il ne pourrait formuler une telle demande que lorsqu’il aurait accompli les efforts nécessaires pour se hisser à son niveau, pour devenir le partenaire qu’elle méritait. La prendre dans ses bras, l’embrasser lui paraissaient des objectifs lointains. Tout ce qu’il espérait se conjuguait au futur.
La Princesse, elle, aurait souhaité employer le présent pour dire ce qu’elle ressentait. Elle aurait voulu qu’il la serre entre ses bras étroits et secs, qu’il colle son ventre contre le sien, qu’il approche sa bouche de son cou, de ses seins. Elle le dévorait des yeux quand il ne la regardait pas et les détournait dès qu’il aurait pu la voir. Elle ne voulait que lui, maintenant, tout de suite, sa force, son énergie, sa sauvagerie qu’elle devinait courant sous sa peau. Mais elle ne savait pas comment lui dire cela.
Et le dîner se déroula comme une course autour d’un rocher, où personne ne peut jamais toucher l’autre. Ils se quittèrent chastement, devant le perron de la maison de la Princesse. Il l’embrassa sur la joue, lui tint brièvement la main et partit après lui avoir promis de lui écrire.
Le lendemain, il lui envoyait sa première lettre.
[…]
Cette indifférence rendait James malade. Il tournait en rond devant elle, espérant que, le jour où elle aurait l’envie de s’occuper de lui, il serait à proximité. Et puis, il avait cette autre idée, encore plus forte que l’autre, cette idée qui ne cessait de l’agiter et qui, elle, la faisait ricaner. James voulait un enfant. C’était un désir constant, pas un caprice. Il voulait désespérément avoir une descendance. On n’aurait su trouver un sujet plus éloigné des préoccupations de Linda. La vision de son corps déformé par la grossesse, déchiré par l’enfantement, l’idée des couches, de la morve, de la merde, du sang, des cris, des pleurs et des goûters d’anniversaire, tout cela lui soulevait le cœur. Elle le lui avait dit quand il s’était aventuré à évoquer le sujet. Lorsqu’il s’approchait d’elle avec ce sourire stupide collé sur son visage sans attraits, lorsqu’il essayait d’être tendre, qu’il essayait d’imaginer quelqu’un d’autre qui viendrait les compléter, elle le rejetait sèchement. La maternité n’était pas son idéal. Elle le lui avait signifié plusieurs fois. Pourtant, il ne se décourageait pas. Il revenait à la charge, avec cette tendresse dégoulinante qu’elle avait appris à ignorer. Il tentait de lui peindre les joies que leur apporterait un enfant, combien leur vie serait complète avec un petit être qui serait eux tout en étant autre chose. Elle ne l’écoutait même pas et quand, par hasard, elle entendait quelques-uns de ses arguments, elle avait presque envie de rire devant l’énormité que constituait pour elle l’idée que ce petit homme veuille planter une graine dans son ventre à elle.
Et puis, un soir, il rentra avec, dans les yeux, une lueur différente des autres soirs. Plus brillante, plus belliqueuse. Il posa sa serviette sur la table du salon en faisant claquer le bois. Ses gestes étaient plus nerveux que d’ordinaire. Il sentait l’alcool et ses mots restaient bredouillants à l’intérieur de sa bouche, comme ceux d’un enfant en colère.
Linda sentit qu’il était différent, que son comportement n’était pas celui qu’il adoptait d’habitude. Il semblait porter en lui quelque chose d’à la fois pesant et irrésolu. Son regard était lourd, aussi triste que furieux.
Il contourna la table en s’appuyant de tout son poids. Ses gestes étaient mal assurés mais il semblait mû par une détermination qu’elle ne lui avait jamais connue auparavant. Sa cravate était défaite, son col chiffonné et sa chemise moite. Il s’approcha d’elle d’un pas hésitant et, avec prudence, lui posa la main sur l’épaule.
— Il faut qu’on parle, dit-il d’une voix pâteuse chargée d’alcool.
Elle tenta de se dégager d’une pirouette mais cette main, qui d’ordinaire jamais ne la retenait, cette fois ne la laissa pas partir. Linda le fixa, pas inquiète, pas encore, mais surprise. Il y avait chez lui, ce soir-là, une indignation vertueuse, l’expression intense d’une fierté bafouée. Il la regardait droit dans les yeux.
— Viens, ma chérie, j’ai envie de toi, dit-il, sérieux comme il savait l’être.
Linda faillit ricaner. Elle se retint, mais sans doute pas suffisamment. Elle vit alors son visage changer, une crispation le parcourir et un mélange de colère et de tristesse le colorer d’un blanc crayeux.
Toscane, Vincent Ollivier, éditions Flammarion 336 pages 19 €
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