C’est devenu un marronnier des médias féminins et des pages Instagram adressées aux femmes : montrer des femmes de plus de 50 ans, qui s’assument, se libèrent de l’injonction à se cacher, qui existent. C’est bien connu, la femme est présentée comme ayant une « date de péremption » plus précoce que la gent masculine, si bien que passé la quarantaine (voire la trentaine), elles disparaissent de plus en plus des représentations, jusqu’à devenir invisibles. C’est donc réconfortant et plaisant de voir des femmes de tous âges représentées positivement, cependant un point commun relie ces images de femmes matures dans les médias : pour souligner leur bien-être et épanouissement, le focus se pose régulièrement sur leur corps et leur rapport à la nudité et la séduction. Devrait-on en conclure que les femmes vieilles ne peuvent se sentir bien dans leur peau, qu’à travers le corps et le regard que les autres posent sur leurs corps ? Comment sortir de ce mécanisme de pensée, qui nous empêche de nous voir autrement que comme des objets de désir et apprendre à s’aimer en soi, pour soi, et pas pour le regard de l’autre ?
Le mythe de la sorcière face à la jeune princesse
« Miroir, miroir dis-moi qui est la plus belle ? », on connaît toutes cette phrase de la reine dans Blanche-Neige et on l’a toutes répété probablement des centaines de fois. On croirait presque un mantra pour appréhender notre future destinée de vieille frustrée qui voit sa beauté se faner et observe avec rage, la nouvelle génération devenir « la plus belle ». Blanche-Neige est par bien des côtés un récit problématique, mais ce qui m’intéresse ici est tout de même qu’on assiste à une tentative de féminicide d’une vieille femme sur une jeune femme, par jalousie qu’elle lui prenne sa place sur le podium de la beauté. Un podium de la beauté, qui est évalué par un miroir (à la voix et au visage masculin dans le dessin animé de Disney), tandis que Blanche-Neige sera aussi « réveillée de la mort », par le baiser sauveur (et non consenti), d’un prince charmant (donc un homme aussi) qui la trouve belle dans son cercueil… Comme toujours, c’est le regard masculin – le male gaze – qui décide de notre valeur sur le marché (en fonction de notre beauté) et cela on l’intègre dès la petite enfance.
Vieillir est en majorité associé à un événement négatif dans les représentations culturelles. Dans les contes de fées, nous avons été habituées à ce que les vieilles femmes soient des sorcières pleines de verrues, désagréables, méchantes et effrayantes, qui peuvent jeter des sorts maléfiques ou empoisonner les jeunes femmes (Blanche-Neige, Hansel et Gretel…), des marâtres aigries et injustes (Cendrillon) ou tout simplement des personnages agressifs et risibles (la reine de Cœur dans Alice au Pays des Merveilles).
La vieille sorcière tente d’empoisonner la jeune Blanche-Neige
En parallèle, les vieux sorciers par exemples, sont des êtres respectés pour leur sagesse et pouvoir et qui ont des rôles positifs (ex : Gandalf dans le Seigneur des Anneaux, Dumbledore dans Harry Potter), et ne sont jamais mis en compétition avec les compétences ou l’apparence physique des hommes plus jeunes qu’eux. Au contraire, ils sont un soutien indéfectible pour les hommes de leur camp. Vous le voyez ce bon vieux schéma qu’on nous répète à l’envi, pour qu’on le pense naturel : le boys club des hommes soudés d’un côté et les femmes qui se tirent dans les pattes de l’autre côté.
Ainsi, nous sommes conditionnées à visualiser la vieillesse de la femme comme une déchéance, comme un trait de laideur physique et d’âme. Comme le mentionne Mona Chollet dans son excellent livre Sorcières :
« Il faut parler aussi de ce sentiment d’obsolescence programmée, de cette hantise de la péremption qui marque toute l’existence des femmes et qui leur est propre »
Mona Chollet, « Sorcières »
et qui poursuit en citant Barbara MacDonald :
« Le message que reçoivent les jeunes femmes, c’est qu’il est merveilleux d’être jeune et affreux d’être vieille. Mais comment pouvez-vous prendre un bon départ dans la vie si on vous dit en même temps à quel point la fin est terrible ? »
Mona Chollet, « Sorcières »
Au cœur de ces représentations, un mot est essentiel, c’est le désir. Le drame de la femme qui vieillit est de ne plus être un objet de désir, car la désirabilité sexuelle de la femme est la jauge principale de notre valeur dans une société patriarcale. Les femmes souhaitent ainsi continuer d’avoir l’air le plus jeune possible et désirable, tandis que les hommes sont bien plus facilement exempts de ces inquiétudes.
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Le vieux beau et la jeune : un couple idéalisé
Vincent Cassel et Tina Kunakey, égeries The Kooples
Les représentations de couple à la grande différence d’âge où l’homme est plus âgé que la femme ne manquent pas. Et dans ce cas de figure, le couple n’est jamais présenté comme une anomalie et bénéficie même de l’admiration de beaucoup et d’une image glamour. On peut citer par exemple les couples Serge Gainsbourg/Jane Birkin (18 ans d’écart), Michael Douglas/Catherine Zeta Jones (25 ans d’écart), ou plus récemment Vincent Cassel/Tina Kunakey (31 ans d’écart).
« Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes : ils ont seulement l’autorisation de vieillir »,
Carrie Fisher – citation extraite du livre « Sorcières » de Mona Chollet
Tout est établi pour nous faire penser que les hommes n’ont ni corps ni âge, quand en parallèle les femmes ne sont que des corps, qui leur servent de trophée pour la virilité. N’est-il pas édifiant de constater que si une femme est beaucoup plus âgée que son compagnon, elle se fait appeler cougar, mais qu’il n’existe pas de terme équivalent pour les hommes, ce sont juste des hommes, point.
En fait si, en cherchant, il s’avère qu’il existe l’expression homme Puma pour désigner l’homme âgé qui sort avec des femmes plus jeunes que lui. Mais bon, entre nous, personne ne connaît cette expression n’est-ce pas ? Il suffit de jeter un œil sur Google Trends, pour voir que Cougar est un terme bien plus populaire et recherché qu’Homme Puma :
Graphique Google Trends : volume de recherche du mot « cougar » VS « homme puma »
La vieille sexy et le petit jeune : moqueries et diabolisation
Intéressant de voir que le couple que forme la reine de la pop Madonna (63 ans) avec le jeune danseur Ahlamalik Williams (27 ans) intéresse très peu, ne fait pas la une des médias, n’est pas l’égérie d’une grande marques de fringues (contrairement au couple Cassel-Kunakey égérie de The Kooples) malgré des photos postées sur la page Instagram de la reine de la pop. Pourtant Madonna est une star autrement plus importante et internationale que l’acteur français, mais son idylle ne fascine pas.
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Est-ce si gênant de voir cette femme mûre et sexuelle s’afficher avec un jeune homme, comme si cela dévirilisait les hommes et cassait le mythe de la « vieille sorcière périmée » ? Il n’y a qu’un pas vers cette conclusion dans nos pensées. Madonna a de façon évidente l’ascendant face à ce jeune homme – en termes d’âge, de pouvoir, de respectabilité, d’influence. C’est elle la giga star, il n’est que danseur -, ce qui va également à l’encontre même du schéma d’inégalité homme-femme promu par le patriarcat.
Récemment, la chanteuse s’est pris une remarque misogyne de la part de 50Cent (rappeur star des années 2000), se moquant publiquement d’elle après une série de photos sexy et osées postées sur Instagram. “Hé, c’est le truc le plus drôle que j’ai vu. LOL. C’est Madonna sous un lit qui tente d’agir Like A Virgin, à 63 ans. Elle déraille si elle lève pas son vieux cul”. a-t-il écrit sur ses réseaux. Attaque contre laquelle Madonna a su réagir avec panache : « Je suppose que ta nouvelle carrière est d’attirer l’attention en essayant d’humilier les autres sur les réseaux sociaux. Le choix le moins noble que tu puisses faire en tant qu’artiste et adulte. Tu es juste jaloux de ne pas être aussi beau que moi ou de ne pas t’amuser autant quand tu auras mon âge ! . Dommage qu’il n’y ait pas d’emojis raisin sec. » (NDLR : « raisin sec » pour illustrer les testicules vieillies, si jamais vous n’aviez pas saisi l’idée…). Et d’ajouter en story : « Personnellement, j’aime mon apparence, mais il y a ceux qui ont du mal à apprécier les gens et les choses qui sont différents. Et ils essaient de me faire honte, de m’humilier ou de me faire sentir inférieure parce que je ne suis pas comme tout le monde. »
On peut aussi citer les blagues sexistes qui ont fusé sur Brigitte Macron lors de l’investiture du Président français. Mais au moins elle restait à sa place : Macron est président, elle n’est « que » Première Dame, donc ça va, ça restait rassurant tout de même pour la virilité masculine. Il ne manquerait plus qu’elle soit Présidente et lui « Premier Monsieur » (vous remarquerez comme on a du mal à trouver l’expression crédible tellement c’est inexistant), le patriarcat s’étoufferait dans sa propre connerie.
Ces exemples mettent aussi en exergue l’effroi de la société de savoir que les femmes de plus de 50 ou 60 ans ont une sexualité, alors qu’elle s’accommode très bien d’un Mick Jagger qui fait un enfant pour la 8è fois à 72 ans, avec une femme de 43 ans sa cadette !
Jeune ou vieille : le corps des femmes, un enjeu central
Dès l’enfance, les parents vont avoir tendance à reproduire des schémas de genre sur leurs enfants. Qui n’a jamais entendu dire « une petite fille ça ne s’assoit pas comme cela », « n’écarte pas les jambes ainsi, il faut les croiser » et j’en passe. Car, étant conscientes de la société patriarcale dans laquelle nous vivons, les mères anticipent souvent la sexualisation qui sera projetée sur nous. Tentative de protection ou empêchement inconscient d’une émancipation des filles, probablement que les mères luttent entre les deux forces. Une chose est sûre, c’est que dès l’entrée dans la puberté, les filles comprennent très rapidement que leur corps ne peut pas juste « être », mais qu’il est observé par la société entière et surtout la société des garçons et hommes. Comme le mentionne très justement la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie dans son essai Seins, en quête d’une libération:
“Quand les seins poussent et que les règles surviennent, qu’elles le veuillent ou non, les filles deviennent aussitôt des sujets sexuels aux yeux du monde”
Camille froidevaux-Metterie, « Seins, en quête d’une libération »
La jeune fille puis la femme sont présentées comme des corps à disposition du regard masculin (objets de désir) et du regard féminin (sujets de compétition). Qu’est-ce qu’une femme au-delà du physique ? La question mérite vraiment d’être posée.
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Ainsi, quand on vante les mérites d’une femme de plus de 50 ans, bien dans sa peau, toujours aussi « fraîche », pleine de vitalité et qu’on aimerait prendre en modèle de réussite de la vieillesse, c’est toujours en lien avec son corps, avec son physique qui semble « ne pas prendre une ride » comme le dit l’expression. On peut citer les louanges des médias féminins sur le physique de Jane Fonda ou de Jennifer Lopez par exemple. L’emphase est rarement mise sur l’impressionnante carrière qu’elles ont à leur actif, sur leur talent professionnel, l’influence positive qu’elles ont pu avoir sur différents sujets etc. Non, ce qui compte c’est à quoi elle ressemble, en quoi leur physique continue de les valoriser en tant que femme, comment elles arrivent à être encore désirables après l’âge de péremption qui aurait dû être à 25 ans… Et bien sûr, ce sont les mags féminins qui ont la palme d’or des titres qui ne s’intéressent qu’au physique (en même temps, le peu de mags masculins ne parlent juste pas des femmes, sauf si c’est un magazine porno donc…).
Article de Vogue sur Jane Fonda
Et si les femmes se réappropriaient le regard à donner sur soi et les autres femmes ?
Et si la clef du bien-être et de l’épanouissement consistait justement à sortir de ce regard oppressant qui impose aux femmes de toujours réfléchir à la manière dont elles sont séduisantes ou pas, baisables ou pas. Même en sortant du marché de « la proie à mettre dans son lit » et de l’objet de désir comme seul atout, les femmes restent coincées dans ce schéma. Constamment. Sans fin. Sommes-nous capables de nous penser autrement que par nos physiques ? De voir la valeur féminine, sur d’autres critères que la façon de se maquiller, de s’habiller sexy ou pas, d’avoir l’air jeune, d’avoir des poils entièrement épilés, d’être assez sexuelle ou pas assez sexuelle etc. Evidemment qu’il est difficile de sortir d’un tel mécanisme, quand il constitue la base même de la société dans laquelle on vit, mais s’interroger sur la norme est déjà un pas pour la déstabiliser.
Pourquoi valorise-t-on ou dévalorise-t-on toujours les femmes uniquement selon leur apparence ? Regardez les grandes cérémonies comme le festival de Cannes en France ou le MET Gala aux Etats-Unis : qu’est-ce qui intéresse les médias et nous intéresse par extension au sujet des femmes ? De comparer les différentes tenues portées par les stars féminines. Leur métier (qui est normalement la raison de leur présence) devient beaucoup plus annexe, comparé aux hommes qui de toute façon portent globalement tous le même type de costume neutre. Cette neutralité de l’habit masculin (sans aucun bout de peau qui ne dépasse) VS la compétition de l’habit le plus sexy, remarquable, extravagant (et surtout déshabillé) des femmes n’est pas anodin. On va s’intéresser d’abord au physique des femmes, et beaucoup moins à celui des hommes, laissant donc plus de place à l’aspect professionnel de leur présence.
Le couple Tom Holland et Zendaya
La société patriarcale dans laquelle nous vivons s’intéresse très peu au parcours professionnel des femmes, même quand celui-ci est brillant du point de vue de nos schémas capitalistes. Connaît-on vraiment bien le peu de femmes cheffes d’état dans le monde et leurs actions ? Parle-t-on autant d’elles que des lubies d’un Elon Musk par exemple ou des pitreries d’un Donald Trump ? Madonna et Angelina Jolie, pour ne citer qu’elles, investissent des fortunes chacune dans différents programmes humanitaires dans le monde par exemple, mais ce qui intéresse la presse (et donc aussi les foules), c’est d’abord avant tout des photos « avant/après » de leur physique, les mecs avec qui elles couchent, la dernière tenue qu’elles ont porté à tel ou tel événement. Or, les femmes ne sont pas qu’un physique. C’est un cercle vicieux que nous entretenons tous-tes, car nous baignons dans ce système depuis la naissance et pensons donc que ce système de pensée est normal et n’a rien de mal, alors que nous en subissons les conséquences négatives : complexes permanents sur nos physiques, obsessions de la minceur, obsession d’avoir telle taille de seins ou telle taille de fesses, augmentation du nombre de chirurgie esthétique, rivalité entre femmes, sexualisation à outrance du corps des femmes, défaut de confiance en soi dans sa sexualité, syndrôme de l’imposteur dans le monde du travail, jeunisme permanent etc. Ce n’est pas une fatalité ! Rappelons-nous ce que disait le philosophe indien Jiddu Krishnamurti :
Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale d’être bien adapté à une société malade »
Jidda Krishnamurti
Ce n’est pas parce que la norme sociétale ne perçoit notre valeur qu’à travers nos apparences physiques, que nous devons nécessairement penser cela également. Nous avons les moyens, si nous le désirons et que nous le faisons collectivement, de penser la femme autrement. La vigilance à avoir s’étend à tous les niveaux, car aujourd’hui malgré une nouvelle prise de conscience féminisme post #MeToo, le machisme de la société semble continuer d’étendre ses tentacules dans tous les niveaux. Rien que l’impact des réseaux sociaux aujourd’hui sur les représentations qu’ont d’elles-mêmes les jeunes adolescentes et les femmes en général est inquiétant. Entre les filtres qui lissent les visages, la représentation de soi permanente en photos et vidéos (et le sentiment de compétition à qui aura le plus de likes) et la mise en avant de corps sexy constamment (car si une photo est plus partagée quand on se dénude, autant continuer et se dénuder toujours plus), nous sommes en train d’assister à une nouvelle addiction du rapport à l’apparence chez la gent féminine. Ce phénomène est assez bien abordé dans une émission de Zone Interdite sur l’impact des réseaux sociaux et du porno accessible chez les adolescents. Et l’ironie dans tout cela, c’est que les discours féministes incitant à se réapproprier son corps, à se dire #moncorpsmonchoix, à assumer sa sexualité, sont récupérés par des logiques patriarcales, en reprenant les mêmes valeurs pour les adapter à des codes sexistes qui objectivent les femmes.
Bien sûr que nous devons nous réjouir du chemin qui est pris pour sortir de l’invisibilisation les femmes de plus de 50 ans, notamment dans les métiers d’apparence comme le cinéma et la mode. On parle même de silver influenceuse pour parler des mannequins seniors qui s’affichent avec leurs cheveux gris et leurs corps moins stéréotypés « parfaits », comme le mannequin Caroline Ida :
Cependant, le corps reste toujours central dans l’intérêt qu’on porte à ces femmes et c’est là que le nœud patriarcal ne se défait jamais. Nos corps sont politiques, c’est vrai. Nous devons oser les montrer et les aimer sans honte c’est vrai. Mais nous devons faire la part des choses et ne pas considérer que notre bien-être et notre fierté d’être ne dépendent que de cela.
Jeunes ou moins jeunes, nous femmes devons apprendre à nous aimer et nous valoriser au-delà de nos physiques, et donc au delà du regard masculin. Un des épicentres du combat féministe se trouve là.
L’article Vieille et bien dans sa peau : faut-il forcément être sexualisée pour s’épanouir ? est apparu en premier sur Desculottées.