J’ai rencontré Mamadou lors de la soirée organisée par l’Ardhis, une association qui s’occupe des demandeurs et demandeuses d’asile et des couples binationaux. Demandeur d’asile, il m’explique qu’il vit à la rue. Depuis plusieurs mois. Parmi les centaines de demandeurs et demandeuses d’asile qui poussent chaque année la porte du Centre LGBT, j’ai choisi de vous raconter son histoire, celle d’un jeune homme rieur et courageux, l’histoire de l’homophobie, celle de sa fuite pour la survie, puis son odyssée à travers l’Afrique, avant d’arriver à Paris pour demander la protection de la France.
Mamadou C. est né en 1990 à Tambacounda, située au sud est du Sénégal. Une ville d’environ 80000 habitants au climat désertique. Mamadou parle le wolof et du fait de ses années d’errance, son français est encore fragile.
Dans son enfance, Mamadou est hébergé par sa grand mère, car ses deux parents sont décédés avant l’âge de 5 ans. Son beau père vit dans un autre quartier, avec trois enfants, deux garçons et une fille.
Adolescent, il aime jouer au basket. Il accompagne aussi souvent sa grand mère sur les marchés pour l’aider à faire les courses. À partir de 12-13 ans, Mamadou part régulièrement avec ses amis en forêt. Ils se baignent dans les mares formées par des trous creusés par des pelleteuses pour récupérer le sable pour les constructions. «C’est là-bas que j’ai commencé à faire l’amour, avec des amis du quartier. Mais en ce temps-là, on ne connaissait pas l’homosexualité. Certains garçons ne veulent pas et il faut se cacher pour faire l’amour.»
Il est souvent interpellé par ses amis du quartier: «Pourquoi tu n’as pas d’amoureuse?». Et Mamadou de rigoler et de leur dire qu’il n’est pas prêt pour les filles. «Les filles, c’est pour après. Il ne faut surtout pas dire que tu ne le fais pas avec des filles, parce qu’ils vont dire que tu es gay.»
Vers l’âge de 18 ans, en 2008, Mamadou fait la rencontre de Djibril*. Il le décrit comme plus jeune et plus petit que lui, mais il dit aussi qu’il est plus musclé, avec une peau beaucoup plus sombre. Parfois, ils se voient très souvent, parfois moins, car le père de Djibril* lui demande parfois de travailler avec lui. «J’étais fidèle mais je pense que Djibril* le faisait aussi avec d’autres garçons.» Pour Mamadou, ce n’est pas facile de traduire en français les sentiments qu’il éprouve pour Djibril. Je crois comprendre que le plus important est qu’ils se sentaient complices. Ils emportent parfois des matelas pour dormir à la belle étoile. Mamadou se souvient en riant de ces soirées où les discussions pouvaient durer des heures et des heures. Ils sont restés ensemble pendant quatre ans, jusqu’en 2012.
Puis tout bascule au printemps 2012. Souvent Mamadou dort chez Djibril*. Mais un jour, le frère de ce dernier, qui ne dort pas souvent à la maison, les surprend dans le même lit. Il se met à crier: «Ah, c’est ça que vous faites maintenant!» Mamadou raconte la suite: «Je suis sorti par la fenêtre, j’avais juste un short. Je suis parti dans un autre quartier, pour voir un ami. Je lui ai dit que j’étais parti en forêt, que mes vêtements étaient gâtés par la pluie et je lui ai demandé de me passer un pantalon et un T-shirt. Je suis reparti chez ma grand mère pour aller chercher des affaires. Mais en m’approchant de la maison, j’entends des gens parler sur moi. Je pars et je croise mon oncle, qui passe en vélo. Il vient pour m’attraper et se battre avec moi. Mes deux frères arrivent aussi, et la bagarre a commencé.» Mamadou réussit à s’enfuir. «J’ai couru, couru couru, puis j’ai marché jusqu’à un autre quartier où je savais qu’ils ne pourraient pas me trouver.»
Mamadou: «Il ne faut surtout pas dire que tu ne le fais pas avec des filles, parce qu’ils vont dire que tu es gay.»
«SI JE RETOURNE DANS MON QUARTIER, ON VA ME TUER»
Dans ce quartier, il rencontre un groupe de Baye Fall, des musulmans, qui vivent surtout de charité publique en allant chanter dans les maisons. Mamadou leur explique qu’il n’a rien à manger et ils vont l’aider pendant quelques jours. Mais il décide de quitter le Sénégal. «Si je retourne dans mon quartier, je sais que quelqu’un va me tuer.»
Mamadou marche jusqu’à un point de contrôle en dehors de Tambacounda. «J’ai négocié avec un camionneur à qui j’ai dit que je vivais au Mali, à Bamako. Il m’a dit qu’il allait à Kayes.» Kayes se trouve à 280 kilomètres de Tambacounda par la grande route nationale qui traverse le Sénégal d’Ouest en Est, puis qui se prolonge au Mali jusqu’à Bamako.
Mamadou ne voulait pas rester au Mali qui est en 2012 dans une situation de très grande instabilité puisque les combats entre l’armée régulière et des groupes rebelles font rage. Un coup d’état a eu lieu en mars 2012 et la région de l’Azawad, au nord du Mali a déclaré son indépendance, plongeant le pays dans une crise sans précédent.
Depuis Kayes, le camionneur lui trouve un autre chauffeur pour Bamako, où il reste deux semaines. «Je commence par chercher où je peux habiter. Je dis aux gens que je suis peintre. Mais beaucoup ont peur. Je demande à manger, mais c’est dur.» Mamadou craint beaucoup pour sa sécurité. Comme il parle le bambara, il peut se faire comprendre. Il se rend dans les bureaux d’une compagnie de bus et prend un bus pour Agadez, au Niger. Le voyage dure plusieurs jours mais une fois arrivé au Niger, Mamadou vit aussi dans l’insécurité. Il ne connait évidemment personne. On lui propose de rencontrer un Sénégalais. «ll me donne à manger, je reste environ un mois durant lequel je travaille avec un de ses enfants.» Il faut que Mamadou sorte du pays. Mais il ne peut pas aller au Tchad, qu’il juge plus dangereux et pas non plus au Nigeria, qui est un pays anglophone. Il part en Libye, caché dans un camion avec des dizaines d’autres. La poussière les recouvre très vite, la nuit, il fait très froid. Selon lui, le voyage dure trois jours. Jusqu’à Qatrun, un village de 4500 habitants en plein désert du Sahara. C’est un point de contrôle pour les étrangers qui entrent en Libye.
DES MARQUES DE COUP
Sans argent, Mamadou est coincé en plein milieu du désert. Régulièrement, il est frappé et porte encore sur son crâne des marques de coup. «Tout le temps, ils tapent les gens ». Ses geôliers demandent que la famille envoie de l’argent mais c’est impossible pour Mamadou de prévenir la sienne. Les captifs, des Gambiens, des Nigériens, des Somaliens, mangent midi et soir des pâtes, du pain, boivent un peu de coca. Mamadou maigrit très vite et est très fatigué. La cellule fait moins de 20 m2, les captifs sont serrés les uns contre les autres. Il n’y a pas de douche. Parfois, l’un d’eux tentent de fuir. Mamadou affirme qu’il a vu les geôliers tirer sur des fuyards à bout portant. «Je n’avais jamais vu ça avant». Il imite le geste et le son de la détonation. Puis sa voix se brise, le souvenir est encore vivace et insupportable.
Mamadou pense qu’il est resté environ un an à Qatrun, coincé dans ce trou perdu, sans argent, sans contact. Un jour, un homme vient à la prison et demande si quelqu’un est peintre. Mamadou lève la main et il est emmené dans sa maison pour travailler. Il n’est pas payé mais au bout de deux mois, son «patron» le met en relation avec un homme qui emmène Mamadou à Tripoli, la capitale libyenne. Il y rencontre un compatriote, qui lui propose la traversée gratuitement si Mamadou trouve quatre passagers payants. La destination? L’île italienne de Lampedusa. «La Libye, ce n’est pas bon. Ils prennent tout, l’argent, le téléphone. Je ne peux pas rester là-bas.» Selon Mamadou, près de 100 personnes s’entassent sur l’embarcation de fortune, un bateau gonflable de la taille d’une pièce d’environ 30 m2. Beaucoup de Somaliens, de Gambiens, des Maliens. Trois femmes sont montées à bord. La traversée dure trois jours.
Déplacé à Trapani en Sicile, Mamadou est emmené dans un camp rue Tunisi. Je lui demande de me le montrer sur Google Earth. «Je n’ai ni famille, ni ami, je suis coincé dans le camp. Je suis tellement fatigué que j’ai peur de tout.»
Entrée du centre pour étrangers où Mamadou a vécu à Trapani, en Sicile
Sur la plage de Trapani, non loin du camp, Mamadou rencontre un jour G., un Italien d’environ 60 ans. lls se voient souvent, Mamadou dort régulièrement chez G. . «Mais je n’ai pas de travail et je me sens inutile. Je sais bien qu’à un moment, G. voudra être seul. La situation n’est pas bonne pour moi.» De plus, certains dans le camp commencent à dire que Mamadou est sûrement gay.
En Italie, Mamadou demande l’asile mais pense qu’en raison de la fatigue, il n’a pas su bien plaider sa cause. Sa demande est rejetée. Il fait un recours, à nouveau rejeté.
Mamadou: «Je n’ai ni famille, ni ami, je suis coincé dans le camp. Je suis tellement fatigué que j’ai peur de tout.»
Il quitte Trapani fin septembre 2015, et arrive à Paris début octobre Gare de Lyon. Il demande aux gens où il peut aller dormir, rencontre un Malien, qui l’emmène à Jaurès. «J’y dors la première nuit et pendant environ un mois et demi». Puis Mamadou rencontre un Sénégalais, qui l’inscrit pour le 115. «Je dors dans un foyer, mais il faut appeler le matin très tôt, à 5 heures, pour la nuit suivante. Parfois je me réveille plus tard, vers 7 heures et j’appelle mais souvent ça ne passe pas. Je dors parfois dehors. Ça dure environ quatre mois.» Ce n’est que le 2 mars 2016 que sa demande d’asile est enregistrée à la préfecture de Paris. À partir du mois d’avril, Mamadou perçoit l’indemnité de demandeur d’asile. Pour une personne seule, elle de 6,80€ par jour, auxquels s’ajoute 4,20€ si aucune solution d’hébergement n’est proposée au demandeur d’asile. Un peu plus de 330 euros pour se loger, se nourrir, se vêtir.
Au printemps dernier, pour dormir, Mamadou se rend dans un foyer proche de l’hôpital de Nanterre où il paye 100 euros par mois. «Mais au bout de quelque temps, je dois partir car des résidents commencent à parler sur moi, disent que je suis « gordjiguene », ce qui signifie gay en wolof.»
Mamadou est reçu à l’Ofpra le 27 juillet de cette année. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides lui demande de raconter son récit, tel qu’il l’a rédigé quelques semaines plus tôt avec l’aide de France Terre d’asile. C’est en racontant son histoire à Médecins du monde qu’il apprend l’existence de l’Ardhis. Mais il n’a pas eu beaucoup de temps avec ses accompagnants de l’Ardhis pour préparer son entretien. Durant l’entretien à l’Ofpra, Mamadou est assisté d’un traducteur sénégalais, il en a peur, il craint que ce dernier ne le dénonce. Une crainte infondée, puisque les traducteurs sont tenus au secret. Sa demande est rejetée, son récit n’étant pas jugé crédible. Il dépose un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile.
Lors de l’interview, fin octobre, il ne sait pas quand son audition va avoir lieu. Cet été, il dort à Belleville, mange chez les Petites soeurs des pauvres à Parmentier ou à la Villette. « La rue, c’est dangereux, je ne dors pas bien. Il y a les voitures, les camions. À Jaurès on m’avait volé mon téléphone. »
C’est devant cet immeuble du quartier de Belleville que Mamadou a dormi plusieurs semaines.
Mamadou n’a qu’une espérance, celle de pouvoir rester en France. «Je ne peux pas retourner au Sénégal. Le père de Djibril* est très religieux et ses frères me tueraient. Je pense souvent à Djibril. Mais aujourd’hui j’ai envie de tout oublier, de laisser tout cela derrière moi. J’attends qu’on me donne les papiers pour rester ici définitivement. C’est la seule chose à laquelle je pense quand je me réveille.»
Ces dernières années, au Sénégal, des campagnes homophobes se sont déroulées dans la presse et des arrestations d’homosexuels ont eu lieu.
Depuis sa fuite du Sénégal, Mamadou n’a plus eu aucune nouvelle de Djibril*.
*Les prénoms ont été changés