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Les deux jumelles achèvent de tourner la page de l’intimité guitare-voix de leurs débuts et se muent définitivement en impératrices de la pop. Le précédent album du duo canadien, sorti en 2013, marquait l’entrée dans cette nouvelle ère esthétique: hyper-produit, Heartthrob capturait l’exact esprit de son époque, mêlant aux synthétiseurs les plus luxueux une veine folk admirablement authentique. «Love you to Death», son successeur, pousse ce paradigme un cran plus loin. Le résultat n’en est que plus efficace, même si, sur la longueur, il en devient aussi plus générique et plus impersonnel. Reste un single principal incendiaire, «Boyfriend», dont le mélange de teen party et d’ambiguïté amoureuse touche en plein dans le mille («You kiss me like your boyfriend»…), ainsi que plusieurs chansons que les deux soeurs se sont dédiées l’une à l’autre: joli reflet de l’amour fraternel qui continue de les lier, même si elles ont chacune trouver leur indépendance avec leurs compagnes respectives.
» Tegan and Sara, Love you to Death
Blood orange, crooner des opprimésDev Hynes, auteur-compositeur aux multiples visages, revient avec un nouvel EP à l’enseigne de son projet Blood Orange. Le Britannique installé à New York a plus d’un tour dans sa besace à groove: il a écrit pour la starlette Carly Jae Repsen comme pour le rappeur queer Le1f, et mis sa science des arrangements vocaux au service de Basement Jaxx, The Chemical Brothers ou encore Florence and the Machine. Son souvel opus, baptisé «Freetown Sound», est un hommage à toutes celles et tous ceux qui un jour se sont sentis «pas assez black, trop black, trop queer, pas queer de la bonne manière», bref, «tous les défavorisés» des communautés identitaires. La version vinyle deluxe offre, en bonus, les riffs soul et les basses langoureuses du titre «Sandra’s Smile», et le hip-hop svelte et engagé de «Do you see my skin through the flames».
» Blood Orange, Freetown Sound
Lenparrot minimalisme perchéC’est le nouveau petit prince parisien de la pop minimale: Lenparrot signe un récent EP vaporeux et languide, «Naufrage», dont les paroles acidulées flottent sur le ruissellement de claviers aériens et épurés. Romain Lalellement de son vrai nom, 27 ans, expliquait récemment dans Têtu comment cette esthétique du presque rien est née à ses débuts, lorsqu’il maniait encore timidement les logiciels de composition et manquait de moyens techniques pour produire une pop plus cossue et orchestrale. Au fil du temps, cette retenue est devenue une marque de fabrique qui reflète bien la personnalité fluide et effleurée de Lenparrot. Celui-ci, marié avec sa compagne, n’hésite pas afficher publiquement la complexité des sentiments qui l’habitent. Son personnage de scène, avec son timbre haut perché et sa fragilité brandie, est une sorte de double féminin de Romain, dont l’enfance et l’adolescence ont été marquées par la panoplie identitaire de Freddie Mercury et Queen. Naufrage distille ses atomsphères troubles au gré d’une grande clarté instrumentale. Séduisant paradoxe.
» Lenparrot, Naufrage
«Addicted»? Au mois de février dernier, cette web-série à thématique gay a fait de sacrées vagues sur l’internet chinois – dont les grandes plateformes de diffusion et les réseaux sociaux sont presque entièrement coupés du reste du monde. Voyez les chiffres: 10 millions de visionnements le jour du lancement, et surtout 110 millions de commentaires et réactions lorsque l’Administration générale de la presse, de l’édition, de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision a ordonné le retrait d’«Addicted» des principaux sites de streaming du pays, jugeant le contenu de la série inadapté et inadéquat.
Le scénario, déployé sur 15 épisodes, se veut simple et efficace: deux lycéens, Gu Hai et Bai Luoyin, l’un riche, l’autre désargenté, se découvrent des sentiments réciproques sur fond d’uniformes scolaires et de classe de sport. Il s’avérera que leurs deux familles sont liées d’une étrange façon…
Construit selon les codes du BL ou Boys Love japonais, «Addicted» (aussi appelé «Addiction» ou «Heroin») joue au maximum la carte de la bluette romantique. Les ingrédients habituels du BL sont au rendez-vous: lente progression vers l’acceptation d’une attirance atypique, résistance du uke (le passif mignon et fragile), bienveillance taquine du seme (l’actif davantage sûr de lui).
Stéréotypes
Mais là où les Boys Love nippons mettent en scène un uke efféminé, parfois enfantin, les lycéens chinois d’«Addicted» font preuve tous deux d’une masculinité affirmée. Pour Guo Lifu, membre du Beijing LGBT Center et étudiant chercheur à l’Université de Tokyo, cette différence s’explique par les publics visés. «Tandis que les BL s’adressent aux fujoshis japonaises, autrement dit les femmes hétéros fans d’histoires amoureuses entre garçons, Addicted a séduit plus particulièrement le public gay chinois.» Et Lifu de souligner combien cette série renvoie une image très normative de l’homosexualité: les deux héros principaux évitent soigneusement d’avoir l’air «tapette», et à plusieurs reprises le couple secondaire formé par Yang Meng et You Qi, plus féminin, plus pétillant aussi, est décrit comme faible ou sissy.
Reste que le buzz généré par «Addicted» est inédit. «Sur les réseaux sociaux, au moment de l’interdiction, je ne voyais circuler que des photos de la série», poursuit Lifu. A ses yeux, le retentissement international provoqué par l’application de la censure constitue une première (par le passé, d’autres programmes à thématique LGBT comme «U can U Bibi» ou «Mama Rainbow» ont été bannis en Chine, mais sans pareil écho). Un temps moins réglementé que d’autres médias, le Web chinois a offert un espace d’expérimentation aux réalisateurs plus audacieux, éventuellement intéressés par les thématiques gay. «Mais cette visibilité de contenus LGBT a finalement attiré l’attention de l’administration, qui a émis de nouvelles régulations, précisant explicitement que l’homosexualité est à proscrire», commente Lifu. Malgré la pression accrue, le jeune homme voit là un terrain nouveau de lutte et de revendication pour les associations. C’est que, depuis la dépathologisation de l’homosexualité dans les années 1990, la Chine ne possède plus d’appareil répressif manifeste envers les gays et lesbiennes.
Impensable coming-out
Dans les faits, pourtant, la situation demeure très difficile. Contacté par e-mail, Muhan, jeune étudiant de 24 ans, décrit les choses ainsi: «Même si une minorité de jeunes sont plus tolérants, la génération née dans les années 1950 et 1960 reste très fermée d’esprit. Personnellement, je ne peux en aucun cas imaginer faire mon coming-out auprès de mes parents.» Ce d’autant plus, précise-t-il, que la politique de l’enfant unique fait peser sur les épaules des filles et des fils en particulier le poids d’une descendance vitale à la continuation de la lignée familiale.
Lifu, out auprès de ses amis mais pas auprès de sa famille, partage ces impressions. Si le coming-out dans les cercles professionnels et relationnels lui apparaît éventuellement possible, il fait état de nombreuses thérapies de conversion mises en œuvre par les parents lorsqu’ils apprennent l’homosexualité de leur enfant.
Une série comme «Addicted» ne changera pas la situation du jour au lendemain, mais elle aidera peut-être à faire évoluer le cadre du débat. Aujourd’hui, les groupes LGBT chinois sont reconnus presque exclusivement dans les champs de la santé publique et de la lutte contre le VIH, ce qui a pour effet de masquer les questions de droits humains et de laisser les femmes lesbiennes dans l’ombre, note Lifu. Avec un déplacement de l’attention vers l’arène médiatique, viendra peut-être le temps de considérations plus politiques et identitaires.
«Addicted»? Au mois de février dernier, cette web-série à thématique gay a fait de sacrées vagues sur l’internet chinois – dont les grandes plateformes de diffusion et les réseaux sociaux sont presque entièrement coupés du reste du monde. Voyez les chiffres: 10 millions de visionnements le jour du lancement, et surtout 110 millions de commentaires et réactions lorsque l’Administration générale de la presse, de l’édition, de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision a ordonné le retrait d’«Addicted» des principaux sites de streaming du pays, jugeant le contenu de la série inadapté et inadéquat.
Le scénario, déployé sur 15 épisodes, se veut simple et efficace: deux lycéens, Gu Hai et Bai Luoyin, l’un riche, l’autre désargenté, se découvrent des sentiments réciproques sur fond d’uniformes scolaires et de classe de sport. Il s’avérera que leurs deux familles sont liées d’une étrange façon…
Construit selon les codes du BL ou Boys Love japonais, «Addicted» (aussi appelé «Addiction» ou «Heroin») joue au maximum la carte de la bluette romantique. Les ingrédients habituels du BL sont au rendez-vous: lente progression vers l’acceptation d’une attirance atypique, résistance du uke (le passif mignon et fragile), bienveillance taquine du seme (l’actif davantage sûr de lui).
Stéréotypes
Mais là où les Boys Love nippons mettent en scène un uke efféminé, parfois enfantin, les lycéens chinois d’«Addicted» font preuve tous deux d’une masculinité affirmée. Pour Guo Lifu, membre du Beijing LGBT Center et étudiant chercheur à l’Université de Tokyo, cette différence s’explique par les publics visés. «Tandis que les BL s’adressent aux fujoshis japonaises, autrement dit les femmes hétéros fans d’histoires amoureuses entre garçons, Addicted a séduit plus particulièrement le public gay chinois.» Et Lifu de souligner combien cette série renvoie une image très normative de l’homosexualité: les deux héros principaux évitent soigneusement d’avoir l’air «tapette», et à plusieurs reprises le couple secondaire formé par Yang Meng et You Qi, plus féminin, plus pétillant aussi, est décrit comme faible ou sissy.
Reste que le buzz généré par «Addicted» est inédit. «Sur les réseaux sociaux, au moment de l’interdiction, je ne voyais circuler que des photos de la série», poursuit Lifu. A ses yeux, le retentissement international provoqué par l’application de la censure constitue une première (par le passé, d’autres programmes à thématique LGBT comme «U can U Bibi» ou «Mama Rainbow» ont été bannis en Chine, mais sans pareil écho). Un temps moins réglementé que d’autres médias, le Web chinois a offert un espace d’expérimentation aux réalisateurs plus audacieux, éventuellement intéressés par les thématiques gay. «Mais cette visibilité de contenus LGBT a finalement attiré l’attention de l’administration, qui a émis de nouvelles régulations, précisant explicitement que l’homosexualité est à proscrire», commente Lifu. Malgré la pression accrue, le jeune homme voit là un terrain nouveau de lutte et de revendication pour les associations. C’est que, depuis la dépathologisation de l’homosexualité dans les années 1990, la Chine ne possède plus d’appareil répressif manifeste envers les gays et lesbiennes.
Impensable coming-out
Dans les faits, pourtant, la situation demeure très difficile. Contacté par e-mail, Muhan, jeune étudiant de 24 ans, décrit les choses ainsi: «Même si une minorité de jeunes sont plus tolérants, la génération née dans les années 1950 et 1960 reste très fermée d’esprit. Personnellement, je ne peux en aucun cas imaginer faire mon coming-out auprès de mes parents.» Ce d’autant plus, précise-t-il, que la politique de l’enfant unique fait peser sur les épaules des filles et des fils en particulier le poids d’une descendance vitale à la continuation de la lignée familiale.
Lifu, out auprès de ses amis mais pas auprès de sa famille, partage ces impressions. Si le coming-out dans les cercles professionnels et relationnels lui apparaît éventuellement possible, il fait état de nombreuses thérapies de conversion mises en œuvre par les parents lorsqu’ils apprennent l’homosexualité de leur enfant.
Une série comme «Addicted» ne changera pas la situation du jour au lendemain, mais elle aidera peut-être à faire évoluer le cadre du débat. Aujourd’hui, les groupes LGBT chinois sont reconnus presque exclusivement dans les champs de la santé publique et de la lutte contre le VIH, ce qui a pour effet de masquer les questions de droits humains et de laisser les femmes lesbiennes dans l’ombre, note Lifu. Avec un déplacement de l’attention vers l’arène médiatique, viendra peut-être le temps de considérations plus politiques et identitaires.
«D’où est-ce que vous venez?» «On vient d’Internet.» Cela devait rester une simple blague, lâchée à la face d’un journaliste lors d’une interview prise à la rigolade. Peut-être Syd tha Kyd et Matt Martians, les membres du groupe The Internet, ne mesuraient-ils pas à l’époque la portée générationnelle de leur remarque. Toujours est-il que l’idée – et le nom – sont restés. Cinq ans plus tard, The Internet s’est imposé sur la scène musicale américaine par son subtil mélange de hip-hop et d’electronica, ses claviers abrasifs et ses riffs de guitare blottis contre des rythmiques fortement laidback, et ses harmonies héritées d’un bop qui sent bon le vinyle et les dimanches après-midis langoureux que l’on souhaite ne jamais voir finir.
Si leur troisième album, Ego Death, n’a finalement pas remporté le Grammy Best Urban Contemporary, catégorie dans laquelle The Internet était récemment nominé, il continue de planer sur ces douze plages un parfum de «cigarettes and sex on your breath» terriblement addictif. The Internet? Syd tha Kyd et Matt Martians s’y sont rencontrés, littéralement, à la grande heure de MySpace. Le cheveu ras et le débardeur à fleur de peau, Syd, même pas vingt ans, s’illustre alors comme producteur improvisé au sein d’une meute de jeunes rappeurs baptisée Odd Future. Elle a fait ses armes dans un studio de fortune, assemblé dans la cave parentale.
«Je voulais être Pharrell»
«Quand j’ai commencé à faire de la musique, je voulais jouer le rôle du producteur qui assure les secondes voix dans les refrains», dit la Californienne dans un entretien pour Time. «Je voulais être Pharrell [Williams], franchement, celui qui fabrique les beats et qui s’affiche entourés de jolies filles dans les clips.» C’était sans compter sur les affinités musicales que Matt et Syd vont se découvrir. Ensemble, ils s’enivrent de soul et de RnB première vague, remontent les origines de la culture ghetto pour en extraire toute la veine mélodique. Outkast, Erykah Badu (en particulier l’album «Baduizm»), mais aussi Jamiroquai ou Amy Winehouse («In my bed») fournissent la sève qui coule dans leurs première maquettes. Ils ont d’abord l’intention de les proposer à d’autres interprètes; et puis Syd se met au micro. Miracle. Chaleur, flow acidulé, sensualité rentrée: la voix de Syd tha Kyd agit comme un élixir.
Sur Ego Death, il est question de désir, de stupre, de rupture. De filles, aussi, auxquelles Syd fait la cour avec une galanterie effleurée ou une insistance assumée («Now she wanna fuck with me, Live a life of luxury, […] Such beautiful company»), voire une malice saupoudrée d’un nuage de poudre comme à l’époque Cocaine, l’un des premiers titres de The Internet.
Icône gay, Syd? Tha Kyd ne rejette pas le qualificatif, qu’elle juge flatteur, mais pas indispensable non plus. Sa sexualité n’offre qu’un ton parmi d’autres dans la garde-robe identitaire de The Internet, représentant d’une nouvelle garde hip-hop au sein de laquelle la diversité des orientations et des genres est en train de se normaliser. «Personnellement, je n’ai jamais cherché à porter l’attention sur ma sexualité, non pas parce que je n’en suis pas fière, mais parce que je pensais que cela ne devrait pas compter, et je continue de le penser», déclarait récemment Syd tha Kyd au blog australien Faster Louder. «Je n’aborde presque jamais le fait d’être gay. Mes chansons parlent de femmes, mais ça, ça vient simplement du fait que j’écris à propos de ce que je connais le mieux.» Touché.
Deux hommes. Barbes, santiags, chapeaux. Leurs ébats, filmés avec tact, mettent en image «I don’t know what to do», titre du groupe Indiana Queen, basé au Tennessee et emmené par le chanteur ouvertement queer Kevin Thornton. Des références homo-érotiques dans un clip? Le monde de la pop en est coutumier. Sauf que Indiana Queen est un groupe de country, et que le genre continue de se montrer frileux en matière de minorités. De quoi faire mousser la sortie de l’album «I Built a Fire», prévue courant février.
La country, dit-on, sert de ciment culturel aux franges les plus conservatrices de l’Amérique. Ses hymnes en blue jeans racontent les vastes plaines et les néons de Nashville, fief républicain, blanc et chrétien. Les riffs de guitare sèche, les voyelles légèrement nasales et les ballades autoroutières sont à l’opposé de la diversité des mégapoles côtières. Bref, la country n’a rien à voir avec le grand abécédaire identitaire LGBTIQA. Vraiment?
Fiers et résignés
Depuis quelques années, une série de sorties de placard contredisent le refrain habituel. Tout comme le rap et le RnB, la country, style le plus populaire de la FM américaine, s’est mué en nouveau terrain de revendication. 2010. Coutumière des charts, Chely Wright est la première artiste majeure de la Bible Belt à faire son coming out. Talent, voix typique et blondeurs typées: Chely Wright est une icône. Sur le plateau d’Oprah Winfrey, au bord des larmes, elle apparaît à la fois fière et résignée. «C’est ainsi que Dieu a voulu que je sois.»
L’Amérique puritaine, pourtant, détourne les yeux. En 2014, Chely Wright doit financer son nouvel album studio à coup de crowdfunding. Le cas n’est pas isolé. Ty Herndon, beau gosse de Nashville au parcours en dents de scie, finit par confirmer son homosexualité en 2014, alors que sa carrière vacille. Le jeune Billy Gilman lui emboîte le pas, et voit aussi le succès s’éloigner. Herndon et Gilman, depuis, se sont reconstruit de nouveaux publics.
Made in USA
A Brooklyn, loin du Midwest, la country s’est muée en accessoire identitaire, sur un mode plus hip, plus subversif. Affirmant que «parfois on aime une musique qui ne nous aime pas en retour», les soirées Gay Ole Opry ont vu éclore une nouvelle garde de groupes country queer, parfois aux frontières de la parodie. Ainsi du duo My Gay Banjo, dont les joyeuses chorés au parc jouent le trope du «country boy in the city». «I’m a simple country», disent aussi les kids de Paisley Fields dans «Brooklyn Rodeo». Leur album «Oh These Urban Fences» parle d’amours pédé-gouine sur fond de country pur sucre. Les protagonistes de Kings, elles, distillent des chorus plus discrets, et d’autant plus roots.
Si la country de Brooklyn se la joue gentiment queer theory, c’est à Nashville que continuent d’émerger les propositions les plus intéressantes. Il en va ainsi de «12 stories», le premier album de Brandy Clark, auteur-compositeur ouvertement lesbienne qui déclare écrire «pour les mères qui amènent leurs filles aux concerts de Taylor Swift». Clark ne cherche pas à redéfinir le genre. Plutôt, elle en investit les marges, chante le désarroi des épouses désenchantées, les mariages à la dérive que l’on compense à coup de narcotiques et de motels moites, le courage du divorce, les enfants illégitimes, la tentation de la girl next door. Tout cela avec un sens formidable de la contradiction, entre Pray to Jesus, Get High et Hungover. Cheers!
Ils sont trois, chanteur, guitariste, batteuse. Coutumiers des sous-sols sublimes et des nuits neigeuses de Chicago. Vingt ans à peine et la liberté à fleur de guitares, ils se racontent au bout du Skype, depuis l’appartement de Max, le charismatique vocaliste du groupe, tout en frange péroxydée et en fourrures immaculées.
Le premier album des Yoko and the Oh No’s a beau avoir été enregistré dans la cave parentale, il séduit déjà les blogs et la médiasphère, surtout depuis que «Out Magazine» a apposé sur ce «trio qui déchire» l’étiquette de «rock punk queer». Le qualificatif est-il adéquat? «Franchement, je me sens bien avec qui je suis et avec ma propre image», répond Max, qui investit volontiers la scène drapé dans une robe de vinyle noire ou moulé dans un t-shirt léopard. «Mais on ne s’identifie pas forcément aux adjectifs queer ou punk pour autant. En fait on ne s’identifie pas. Voilà!»
«Amy Winehouse, les Kinks, les Stones, et aussi Neil Young ou les Beatles: nos influences sont plutôt éclatées.» Stef
Fraîchement diplômés d’un lycée où ils éreintaient déjà les hymnes de leurs adolescences sur les amplis de la salle de musique, les Yoko and The Oh No’s appartiennent à cette génération pour qui l’absence de labels n’est pas une revendication, mais une précondition. La dizaine de titres qui constituent leur excellent premier album sont autant de miniatures fraîches et dégingandées où se bousculent des influences des seventies, des riffs façon The Strokes, mais aussi les gimmicks vocaux de la Motown et même quelques réminiscences country.«Amy Winehouse, les Kinks, les Stones, et aussi Neil Young ou les Beatles: nos influences sont plutôt éclatées, note Stef, la batteuse. Mais le processus n’a jamais nécessité de discussion.»
Solitude, ruptures amoureuses et léger vague à l’âme se racontent avec un punch perché sur des morceaux comme «Love U», «Movin’ On» (de la graine de tube!) et «Lone Wolf». «J’étais un gosse plutôt étrange, assez isolé, se souvient Max. J’imagine que cela se ressent dans nos compositions». Il rencontre le guitariste du groupe (également prénommé Max) l’été de ses 13 ans, lors d’un camp de musique; les deux garçons se recroiseront plusieurs années plus tard, au hasard d’un café, et fonderont un autre groupe, The New Originals, avant d’être rejoint par Stef et de se lancer dans le projet Yoko.
«Les lieux alternatifs ont une saveur particulière.» Max
Aujourd’hui, le band tourne surtout dans le réseau indé de Chicago, microcosme underground et vibrant dont la myriade de talents arpente des concerts improvisés au gré des garages et des appartements. «On aime aussi les grandes salles, relève Max, mais les lieux alternatifs ont une saveur particulière. On joue sans retenue, on peut presque toucher le public, il y a de la sueur sur les murs.»
Le jeune homme, sur scène, ne porte jamais deux fois la même tenue. «C’est ma règle. Avant le concert, je me change cinq fois, je refais mon maquillage, cela peut prendre une demi-heure ou trois heures.» Stef le regarde derrière ses mèches blondes. «Moi je ne fais aucun effort. De toutes façons j’ai très peu d’habits. Tout ce qui m’intéresse, c’est que ça joue dur.»
Et ce nom si acidulé, «Yoko and the On No’s»? «Juste une blague, lancée un soir avec des amis», explique Max. «Cela dit, j’adore Yoko Ono». Le voilà qui sort Acorn, le livre de poésie sorti en 2013 par la veuve de Lennon. Il récite: «‹Carry everything you own with you / Go shopping or climb a mountain / See if you can see where you are going›… Ça s’appelle City Piece». Il sourit. «Je boirais bien un café avec Yoko Ono, un jour. C’est un bon objectif, non?» Allez Yoko, dis oui!
» Yoko and the Oh No’s, «Yoko and the Oh No’s», disponible au téléchargement.
«Il n’y a plus rien de moi dans mon cerveau. Je suis dehors, je me plains pas trop. J’ai vu tant de choses qu’on ne peut pas contenir, encore moins transmettre, ni même décrire.» Paroles qui claquent, et beats à bloc. Rap qui frappe et verbe au top, l’Américaine Angel Haze, 23 ans, revient sur le devant de la scène hurler sa hargne en majuscules. Impossible, second single extrait de sa nouvelle mixtape, Back to the Woods, déploie ses énervées radicales sur des rythmiques sauvages et minimales. «Ce titre, c’est moi qui me mue en quelque chose qui échappe aux étiquettes, aux labels, aux catégories», lançait récemment Angel Haze aux journalistes. L’artiste se dit pansexuel.le et refuse l’inscription des pronoms genrés; ni «he», ni «she», qu’on l’appelle «they». En français, on pourrait dire «el», contraction de «il» et «elle».
Jeu de mots et présence primale: Angel Haze a de la rage au ventre et du spleen plein la tête, surtout quand les amphets l’empêchent de rester clean. Sur son fil Twitter, ses perles ont des formes d’uppercut: «Parfois, j’aimerais que mon corps soit un tableau blanc effaçable pour pouvoir m’écrire 100 fois dessus ‹ je ne serai pas un fuckboy ›». L’amour, la mort, l’amère: Angel Haze a parfois flirté avec le suicide, et ses paroles sentent la dope.
Ses cicatrices sont profondes et remontent à loin. Angel les montre, les exhibe, les revendique. Héritage terrible d’une enfance à Detroit, sous le joug d’une communauté pentecôtiste ultra-religieuse et sectaire, au sein de laquelle la musique était proscrite. Et puis, dès l’âge de 7 ans, il y a ces viols, répétés, impunis, qui seront exorcisés bien des années plus tard sur Cleanin’ out my Closet, confession brutale et cathartique dont on ne sort pas indemne. Angel devient alors cette jeune louve du rap dont les mixtapes intransigeantes résonnent comme des promesses. Hélas, son premier album, sorti fin 2013 dans le giron d’une major, pêche par excès de bling bling: Dirty Gold cède aux sirènes mercantiles d’une électronique boursouflée et d’un RnB de pacotille.
Trop chou
A cette époque-là surgissent aussi les blondeurs d’Ireland Baldwin, fille d’Alec et de Kim Basinger, promise au mannequinat, dont Angel Haze s’éprend passionnément. Etreintes, célébrité et subversion, les deux it-girls forment le couple du moment. Eté 2014: leur flirt fait la Une, les réseaux sociaux s’emballent. «Les médias disent: oh, trop chou, elles sont meilleures amies», lâche Angel en interview. «Un couple interracial, je veux dire, c’est encore un peu trop pour l’Amérique. Oui, on baise ensemble, et selon moi les ami.e.s ne baisent pas ensemble.» Pression. Séparation. Angel disparaît de la circulation.
Back in the Woods (2015), porté par le doute, les souvenirs qu’on esquive et les œdèmes qu’on médite, résonne comme un superbe retour aux sources et à ce hip-hop de meute dont étaient emprunts les premiers morceaux coup de poing d’Angel Haze. Se révèle, au fil de l’album, quelque chose de la virtuosité de Missy Elliott (The Wolves) et de la vocalité de Sia (The Eulogy), et puis surtout cet instinct des textes, hantés, violents ou suspendus, entre romantisme goth (Detox, Bruises) et échappées fulgurantes (Moonrise Kingdom).
Angel Haze, «Back in the Woods», paru sur Noisy Cricket
«Strike the pose. Vlog.» Tel pourrait être le refrain de la génération Y, cette cohorte de «millénials» nés entre 1980 et 2000 dont vous, lectrice, lecteur, lecteuse, faites peut-être partie. Nos adolescences ont suivi à la lettre les trois S de la révolution numérique: Smartphone, Selfie, Social networks. Et le Y? Référence à la génération X qui nous précédait? Mais non, enfin. Y, c’est pour génération YouTube. La télé est morte, vive le «vlogging». Contraction de «video» et «blogging», le vlogging consiste à mettre en scène sa vie devant une webcam et à balancer le résultat en ligne quotidiennement, en accumulant éventuellement des millions de subscribers. Le vlogging, c’est un peu la gloire mise à portée de clic, la démocratie faite star-system, c’est vous et moi (et surtout votre voisine) en concurrence directe avec Kim Kardashian – ou presque.
Et les vlogueurs LGBT? Ils sont légions (avec une majorité de garçons). Il y a Connor Franta, minet malin sous sa houpe chaloupée, Ariella Scarcella et ses tutos lesbiens, Taylor Oakley en mijorée survitaminée ou encore Mark et Ethan, couple gay archétypal (jeunes, mignons, minces, blancs, musclés) qui n’a pas fini de nous filer des complexes. Et puis il y a Troye Sivan. Avec ses yeux un peu trop grands qui lui mangent son visage sans âge, Sivan est le nouveau cheval de Troye des célébrités YouTube. Sarcasmes à répétition, engloutissage de beurre de cacahuète à la moutarde ou parodie photoshoppée de Kylie Jenner, l’Australien, 20 ans, a su se jouer des codes du star system avec suffisamment de second degré pour faire oublier ses ambitions de célébrité en devenir (avant même de se faire un nom sur YouTube, il avait déjà joué dans plusieurs films et publié quelques singles).
Jolie naïveté
La vidéo de son coming out, il y a deux ans, est une de ces séquences ultra-émotionnelles où fragilité sincère et spectacle de soi semblent inextricablement liés. Si la sortie de placard est un trope du vlogging, Troye Sivan en est la plus pure figure de style: un ado gay dont la verve, le talent et le courage de s’affirmer lui valent reconnaissance et succès. A tel point que le récent album de Troye Sivan, «Wild», a débuté tout en haut des charts australiens et américains. Voix évaporée et pop synthétique, le clip de «Wild» raconte le flirt de deux enfants – Troye bambin et son amoureux secret – avec une jolie naïveté. Même Taylor Swift, sous le charme, s’est fendue d’un tweet d’encouragement. Troye Sivan est entré dans la cour des grands.
C’est bien sûr une excellente chose qu’une comptine romantique non-hétéro puisse rencontrer pareil succès mainstream. Mais la vidéo de «Wild» raconte aussi autre chose. Ce qu’on y voit, en filigrane, c’est un jeune millénial devenu célèbre qui contemple avec nostalgie sa part d’innocence perdue. Etrange miroir tendu à notre génération Y(ouTube), à la fois propulsée et consumée par la culture d’Instagram et le flot inéluctable de nos propres images et mises en scène. Strike the pose. Vlog.
Le1f, c’est d’abord un nom. Un assemblage de lettres et de décimales, un hiéroglyphe horsnorme, sans prononciation définie («Vous pouvez lire Le1f› comme bon vous semble», aime dire le jeune rappeur). Ambiguïté brandie, freak de rigueur. Se tenir dans l’embrasure. Habiter l’intersection. Celle de l’alphabet et du (dé)chiffrage, de la musique et de la politique, des communautés black et queer. «Ask a gay question / Here is a black answer», scande l’Américain de 26 ans sur l’un des titres de son excellent EP «Hey». Jeu de mots et tissages de beats. «Je suis un rappeur gay. Je suis un rappeur noir. Je suis un rappeur new-yorkais. C’est une bonne chose que les médias prêtent enfin attention aux musiciens de la communauté queer. Mais il faut qu’une chose soit claire: Gay Rap n’est pas un genre en soi», met au point Le1f dans un texte publié par Interview Magazine. «Le style de ma musique n’est pas défini par qui je suis, mais par ce que je fais. Certains de mes titres parlent d’homosexualité. Presque tous mes morceaux sont rappés.»
Un flow à la fois agile et grave, suave, chaud et rocailleux, légèrement éraillé par l’inhalation de fumées diverses. Le1f, c’est aussi une voix, dont la profondeur singulière surprend, «un Busta Rhymes d’avant-garde», pour le dire comme la journaliste Britt Julious. Surgi à l’orée de 2010, alors que le hip hop et l’électro entamaient la lune de miel qui fait bourdonner les charts d’aujourd’hui, Le1f avait auparavant œuvré comme producteur et bricoleur de boîtes à rythme, notamment pour Das Racist. Dans «Wut», le clip qui l’envoie sur l’orbite de la hype quelque deux ans plus tard, Le1f porte un minishort peroxydé, et se pavane sur les genoux d’un jeune mec blanc et musclé – critique des normes de beauté et stéréotypes à l’œuvre dans la communauté gay. Détail: le jeune mec blanc est parfaitement immobile et dissimulé derrière un masque de Pikachu. La discrimination n’a pas de visage.
Grammaire du corps
Le1f, lui, expose une sensualité fluo et terroriste. Cette façon de réinvestir et renégocier les étiquettes qui lui collent à la peau (le black comme objet sexuel, comme emblème d’une masculinité animale) le rapprochent d’autres artistes issus à la fois du queer et du rap, Mykki Blanco, Azealia Banks dans une certaine mesure. Fasciné par la plasticité et la grammaire du corps comme objet et comme moyen d’expression, Le1f fréquente une école de ballet au crépuscule de l’adolescence. Mais le formatage des gestes et des présences l’étouffent. Le1f ne veut pas se conformer ; il veut projeter de nouvelles formes. Ses héroïnes se nomment MIA et Grace Jones, figures de style et de revendication. «Il y a des stars et des artistes qui parviennent à rendre un look attirant», dit-il dans un entretien pour Vice. «Pas un look en termes de mode, vraiment une structure du visage, une couleur de peau, une race, une combinaison de gènes. Ils en imposent la beauté. Grace Jones a fait ça.»
Le1f a des idéaux. C’est sa force. Il balance des rythmiques qui tabassent sous des mots qui font mouche. «Je veux faire la musique que j’ai envie d’écouter, poursuit-il. Je veux faire des chansons comme Beyoncé ou Rich Homie Quan. Je veux juste qu’elles parlent d’autres problématiques.» «Riot Boi», son premier album, est un disque «pro-trans, pro-clean water, Black lives matter», scande-t-il en anglais. L’un des titres, «Umami», raconte le parcours d’une de ses amies intersexe, à qui le genre masculin a été assigné à la naissance, et comment elle a su se réapproprier son physique pour pouvoir (s’)aimer de nouveau. Le1f célèbre la diversité des corps avec un esprit puissant.
«Riot Boi» paraîtra cet automne, chez XL Recordings
Mais qui diable est Ezra Furman? Un jour en robe, un jour en pantalon. Un jour au rouge à lèvre, un autre au charbon. Guitares hauts-les-cœurs, et paroles de plomb. Une minute rock en nylon, et l’instant suivant blues en blouson. Ici à blasphémer, là à embrasser la religion. L’auteur-compositeur-interprète originaire de Chicago, du haut de ses 28 ans, incarne délicatement ses contradiction à l’heure de vernir ce mois un sixième album – «Perpetual Motion People». Perpétuellement en mouvement Ezra Furman?
La vadrouille en tout temps, le changement constant, voilà son périmètre d’action. Ce nouvel album, Furman l’a voulu «pour les personnes qui se sentent incapables de s’établir», expliquait-il récemment. «J’ai tendance à ne jamais vivre longtemps dans le même espace. Je modifie sans cesse la manière dont j’exprime et je présente mon identité de genre. Et puis ma vie religieuse est faite d’intenses hauts et bas en termes d’observation des règles et de conviction personnelle…»
Juif pratiquant
Le rock, une histoire de sacrifice, de damnation et de rédemption? Ezra Furman, lui, se dit juif pratiquant – il est allé jusqu’à organiser une tournée entière sans donner le moindre concert le vendredi pour respecter le shabbat. Tout en hurlant son nihilisme sur des titres comme «I wanna destroy myself». Extrait : «I have fallen in love with nothing!»
Ezra raconte sa vie à la frange de l’absurde avec dans la voix quelques ébréchures sublimes
Cette esthétique du tout et son contraire est encore à l’œuvre sur «Lousy Connection», le premier extrait de «Perpetual Motion People». Quelque part entre un piano déglingué sorti du doo wop des années 50 et Lou Reed période Velvet Undergound, le tout teinté par quelques riffs de sax racoleurs, Ezra raconte sa vie à la frange de l’absurde avec dans la voix quelques ébréchures sublimes. Ça donne des envies de gueuler «Tell Em all to Go to Hell» (un morceau fantastiquement aboyé du précédent album, «Day of the Dog»), ou de descendre la rue en robe rouge et veste couleur fleur bleue (une combinaison que Furman pratique quelquefois sur scène) en effeuillant un tome entier de Dostoievski, comme dans la récente vidéo «Restless Year».
Petit côté maniaque
On y croise d’ailleurs la grande faucheuse au détour d’un tunnel sombre – «mon ancien employeur», dit la chanson. C’est qu’Ezra est sans cesse en phase de stabilisation. Au fil des interviews, il dévoile aussi ce petit côté maniaque qui l’empêche de tourner rond, la dépression, les béquilles chimiques, le sentiment de ne jamais être à sa place… et ses origines aisées (un père boursier, une mère dans le business) n’y changent rien, bien au contraire. «J’ai toujours considéré l’idée de vérité comme quelque chose de bancal, glissant, sans cesse hors de portée.»
La musique pour survivre et s’échapper. Ezra Furman a cette honnêteté. Avant d’être remarqué avec le précédent album, «Day of the Dog», il a fait trois disques à l’ombre de son ancien groupe, The Harpoons. Puis s’est tourné un temps vers le crowdfunding, tout en commençant à travailler avec sa formation actuelle (judicieusement baptisée The Boy-Friends). «La fuite, le camouflage dans un monde aliéné sont des thèmes essentiels pour moi. C’est de ça que parlent mes textes. Se sentir hanté. Evoluer dans une société à laquelle on ne peut pas s’intégrer. Vivre l’amour alors qu’on s’apprête sans cesse à se quitter.»
Ezra Furman, «Perpetual Motion People»
Une manière de chant perché tout là-haut, quelque part entre Prince, Beck et Scissor Sisters période Let’s have a kiki. Un groove en technicolor qui rappelle Michael Jackson au bord de la puberté. Et puis un soupçon de Grace Jones au niveau du rendu capillaire, et un dress code de fluo kid à faire pâlir Stromae.
Vingt ans, flamboyant, tout juste sorti des anonymats désertiques de son Nevada natal, Shamir est le nouveau petit prince de la dance music indé qui affole tout ce que la blogosphère compte de plus hip, smart et chic. Il sort prochainement son tout premier album, après avoir égrainé une poignée de titres fortement imprégnés par la house vintage, celle qui rythmait les revendications des communautés black et homo dans les années 1980, et qui a resurgi plus récemment dans une déclinaison autrement plus mercantile avec la clique de Disclosure. Shamir, d’ailleurs, pourrait bien prendre la relève des deux frangins britanniques au rayon des drum machines post-adolescentes.
Multiplicité
Shamir, c’est d’abord une voix. En fait deux: à la fois l’agilité fluette, réminiscence d’une enfance étrangement éternelle, et des résonances plus graves, gagnées à l’époque du lycée, alors que Shamir se sentait différent sur tous les plans, «la manière dont je m’habillais, la manière dont je bougeais, la manière dont je parlais», confiait-il récemment au site NME. Androgynie vocale et queer attitude dans la banlieue de Las Vegas, loin des néons frénétiques et des casinos, dans un quartier qui sent le sable, le désert et l’agriculture intensive. «J’ai décidé que j’allais leur donner quelque chose à regarder, et j’ai commencé à venir en cours avec des tenues complètement dingues, et une coiffure différente chaque jour.»
Dark
Shamir distribue les hugs, se transforme en muppet dans la vidéo de «Call it off», porte haut les bariolures de ses shorts en boubou, flanqué d’un escadron de jouets Fisher-Price au fil du hit On the regular, ou fait des batailles de bulles dans «If it wasn’t true». Son mélange de rappé-chanté balancé sur des beats bruts de décoffrage donne envie de transformer les trottoirs en dancefloors. Pourtant les tracks de Shamir ne parlent pas toutes de positive attitude. «Darker» raconte la mort et ses pulsions, «Vegas» «parle du côté sombre de cette ville, du fait de grandir dans un endroit qui s’intéresse plus à ses visiteurs qu’à ses habitants», confie le jeune Américain au magazine Tsugi, et «I’ll never be able to love» évoque l’expérience de la différence, du refus des rôles de genre réglementaires et de l’isolement qui en résulte.
Shamir se dit timide, introverti, il ne clubbe pas, il décrit la soirée parfaite comme un tête à tête avec ses machines et ses disques. C’est que la house ne l’a pas toujours branché. Il écoute Nina Simone, la goth pop d’Austra et Zola Jesus, Marina and the Diamonds et même la néo-country de Taylor Swift ou Tegan and Sara – sa reprise du Lived and Died alone de Lindi Ortega à la guitare sèche a le grain nostalgique d’une vieille photo noir blanc. Multiplicité de soi: son compte Twitter dépeint Shamir en «comédien, chanteur, rappeur, twerkeur, chef, écrivain, réalisateur, tumblr, mincelet à gros derrière». Une panoplie désormais mise en œuvre à New York, où a été produit son album, «Ratchet». Signification ? «Une diva, plutôt issue des zones urbaines ou du ghetto, qui a ses raisons de se croire bien roulée, mais qui hélas ne l’est pas du tout», clarifie urbandictionary.com. Les attributs secondaires comptent aussi vénérer Nicki Minaj, porter des leggings déchirés en club et répéter «yolo», «boost» et «swag» à l’envi.
Le Japon sera-t-il le premier pays d’Asie à inaugurer le mariage gay? L’horizon est encore lointain, pourtant Shibuya, l’un des 23 arrondissements de Tokyo, vient d’ouvrir le débat avec l’annonce d’un partenariat censé octroyer aux couples lesbiens et gay certains droits équivalents à ceux des hétéros. Accès au logement, visite du conjoint à l’hôpital, reconnaissance et visibilité: dans l’histoire de l’Archipel, c’est un pas inédit et les médias se sont empoignés du sujet. Le Premier Ministre conservateur Shinzo Abe, de son côté, estime que le mariage est constitutionnellement l’union d’une femme et d’un homme, néanmoins plusieurs universitaires et juristes affirment le contraire.
A défaut d’être proprement inclusif, le Japon est un environnement plutôt tolérant à l’égard des minorités sexuelles. La diversité des silhouettes et l’androgynie des franges racontent une certaine fluidité à Shibuya ou Harajuku, tout comme le Boys Love, ce genre de manga mettant en scène des romances homosexuelles, et dont le lectorat est essentiellement féminin. Si, dans les rues de Tokyo, presque aucun couple homo ne s’expose, les couples hétéros non plus ne se manifestent pas outre mesure: filles et garçons se tiennent éventuellement la main, mais s’embrasser au grand jour demeure inapproprié, quelle que soit l’orientation. Discrétion de rigueur pour tout ce qui relève de la vie privée.
Un peu d’histoire
Les personnes LGBT ne bénéficient au Japon d’aucune mesure de protection particulière, mais elles n’y ont jamais non plus fait l’objet de lois stigmatisantes, au contraire de nombreux pays européens – y compris la Suisse. Jusqu’à la fin de la période Edo, au milieu du XIXe siècle, les relations intimes entre hommes étaient admises dans certains cadres: le compagnonnage des samouraïs et des moines, puis les rapports tarifés des membres de la classe moyenne et marchande avec de jeunes hommes ou des acteurs de kabuki (en particulier les interprètes de rôles féminins, caractéristiques de cette forme de théâtre).
Avec l’ouverture du pays à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, l’appropriation des modèles occidentaux affirme soudain le modèle familial nucléaire et rigidifie les rôles de genre, liés à la rationalisation des forces de travail et au consumérisme: dans le miroir de l’industrialisation et de la modernité venues de l’Ouest, vêtements, postures et identités racontent soudain une binarité nouvelle, plus sexualisée (le corps de la femme se déleste du kimono et se découvre sous la minijupe, le visage de l’homme est représenté paré d’une épaisse moustache), mais aussi plus hétéronormée.
Fracture générationnelle
Aujourd’hui, la situation se traduit par une profonde fracture générationnelle: selon une enquête du Pew Research Center parue en 2013, 83% des Japonais de moins de 30 ans considèrent que l’homosexualité devrait être acceptée (c’est plus que la Grande Bretagne, 81%, ou les Etats-Unis, 70% ) mais la proportion tombe à 39% chez les plus de 50 ans (soit deux fois moins que l’Allemagne ou l’Espagne) Après l’annonce du partenariat, un sondage du quotidien Asahi a révélé une attitude bienveillante chez 52% des interrogés, contre 27% d’hostilité. Une tendance confirmée par Twitter, où les réactions de soutien sont majoritaires.
Dans l’autre camp, l’argumentaire le plus fréquent en appelle à la primauté de l’ordre social sur l’intérêt de l’individu. Dans l’Archipel, une minorité non négligeable des personnes LGBT elles-mêmes défendent la politique du secret, au point de craindre le débat légal: selon elles, la reconnaissance du couple homosexuel entraînerait une mise en lumière qui mettrait en danger leur tranquillité au travail ou au sein du cercle familial élargit.
Entre liberté conformité, le Japon contemporain oscille. Il y a néanmoins en Asie un exemple à donner. La Malaisie et l’Inde, deux partenaires commerciaux de l’Archipel, déploient encore et toujours des législations particulièrement violentes et discriminatoires. Setagaya et Yokohama, deux autres régions du grand Tokyo, se disent en train d’examiner l’établissement d’un partenariat.
«Je vais te prouver qu’une pédale peut diriger cette compagnie.» La citation fait la signature de «Empire», la nouvelle série-sensation de la chaîne de télé Fox; lors de la diffusion du second épisode, il y a quelques semaines, la phrase a déclenché un double buzz sur les réseaux sociaux américains. Dans les communautés LGBT comme dans les communautés black (avec toutes les nuances et les chevauchements que cela suppose), on a fait fuser les tweets et les commentaires Facebook pour savoir si la remarque s’apparente à de l’homophobie ou du progressisme, si l’intrigue a le goût de guimauve pour fiotte ou si elle déchire tout sur son passage. Résultat: après un mois de diffusion, «Empire» est devenue la série la plus regardée chez les 18-49 ans. Plus remarquable encore: elle cartonne auprès des publics afro et latino, jugés conservateurs en matière de genre et d’orientation sexuelle.
L’angle d’attaque d’«Empire»? Propulser un personnage ouvertement gay, Jamal, dans l’univers homophobe, bling bling et sans pitié du hip-hop et du RnB. «Empire Enterprise», c’est le nom de la maison de disque ultra-puissante de Lucious Lyon, magnat du rap et self-made man dont la trajectoire articule les poncifs de l’ascension sociale et du rêve américain: gosse des banlieues défavorisées, il a monté sa société avec 400’000 dollars issus du trafic de drogue. Cookie, son ex-compagne et la mère de ses trois fils André, Jamal et Hakeem, en a payé le prix fort. Dix-sept ans de taule tandis que Lucious faisait croître un business aux attributs grands formats: yacht dans la baie, Maserati sous le porche et Klimt au mur du corridor. Lorsque Cookie sort finalement de prison, le glamour usé et les cernes profondes sous son chapeau et sa robe léopard, elle entend bien récupérer sa part.
Ambitieux en costard
Pour compliquer le tableau, Lucious apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable. Les médecins lui donnent trois ans, peut-être moins: il faut un héritier à Empire Enterprise. L’un des trois fistons bien sûr, mais lequel? André, l’ambitieux aîné en costard cravate, diplômé d’une université à 50’000 dollars le semestre mais dénué du moindre talent musical? Hakeem, le cadet branché sous ses bijoux qui brillent, dont le flow et le charisme ont tendance à s’évaporer dans les clubs et les aubes au champagne? Ou alors Jamal, songwriter talentueux et timide, véritable star en puissance qui préfère s’ignorer? Sauf que Jamal est gay. Et que Lucious, en vieux lion des quartiers allergiques aux pédés, ne veut pas en entendre parler.
La libération de Cookie va changer la donne: flamboyante, remontée à bloc, elle est décidée à faire de Jamal l’homme-clé d’Empire Enterprise, et à prouver à Lucious qu’une «fiotte peut diriger cette compagnie»…
Bande-son en béton
Sillonnant habilement le long des fractures de l’Amérique contemporaine – la question raciale, l’homophobie, la stratification sociale, la décadence du show-business et le grand spectacle des médias – «Empire» entrechoque des mondes et des milieux généralement imperméables les uns aux autres, oscillant intelligemment entre provocation et audace. Surtout, Fox a sorti les gros moyens pour faire de «Empire» une production en béton armé. Jussie Smollett prête son joli minois à Jamal face à une panoplie de personnalités: Terrence Howard en patron manipulateur et blessé, Taraji P. Henson en louve sur le retour, et puis des apparitions de Naomi Campbell, Macy Gray, Courtney Love ou Cuba Gooding Jr. Mention spéciale pour la bande-son, une collection de hits originaux signés Timbaland, artificier en son temps des albums les plus ambitieux de Justin Timberlake et Missy Elliott.
«Empire», disponible notamment sur iTunes, Hulu et le site de la Fox
Son groupe porte un en forme de prémonition. Against me! – «Contre moi!». Anti-soi, contre-jour, vrai «je». Laura Jane Grace, mise au monde Thomas James Gabel aux premières heures des eighties, a fait de son parcours à travers le punk rock un cheminement identitaire. Lorsqu’elle annonce en 2012 la nécessité et l’imminence de sa transition, la scène indie, abasourdie, dégainait les gros titres. Le groupe allait-il se reconfigurer avec elle? Quelles seraient les nouvelles modalités de son image, de son profil sonore, de son rapport aux fans? Le dernier album de Against me!, «Transgender Dysphoria Blues» dissipait tous ces doutes à force de prose cathartique et de riff racé; il ressortait récemment dans plusieurs classements des meilleurs disques de 2014, notamment ceux de «Rolling Stone», «Stereo Gum» et «Fuse».
Grace en 2007, avant la transition. Cliquer sur l’image pour agrandir.
Durant ses quinze premières années d’existence, les codes déployés par Against me! étaient ceux d’une masculinité tatouée, suante et rebelle, agrémentée de quelques têtes de mort, mâchoires de fauves rugissants et slogans jouissifs balancés à la face de la bienséance, de la société capitaliste et des gouvernements républicains. «Agressif, blanc, mec»: voilà comment Laura Jane Grace décrit dans une interview à «Guardian» les indispensables attributs du chanteur punk qu’elle se devait d’endosser. «Il faut gueuler à s’en arracher les poumons, être à cran à cause de ceci ou cela.» Sur scène ou dans les clips, les cuirs sont noirs, les muscles torse-nus, les harangues frénétiques. Ce qui, à certains égards, lui convenait bien. «Mais on devient aussi une parodie, et plus je m’en rendais compte, plus je me sentais frustrée.» Même les postures anti-conformismes ont leurs obligations, leurs règles, leurs interdits.Fuck
Lorsque, à l’adolescence, Laura se met à dire «fuck» aux flics, à fumer des spliffs et à brandir les injonctions nihilistes du punk, elle sort d’une enfance marquée par l’autorité d’un père officier dans l’armée américaine et par la violence de l’éclatement familial à la suite d’un divorce vénéneux. Un profond sentiment persiste depuis toujours : celui de ne pas s’appartenir. A cinq ans, se rêver comme Madonna aperçue à la télé. A dix-sept, les cheveux en pétard et le jean élimé, fonder un groupe dont la rage est un barrage dressé face aux normes, aux regards qui blessent, aux regrets du droit chemin.
A l’aube du nouveau siècle, la hype propulse Against me! sur la route; dans le secret des chambres d’hôtel, Laura s’essaie au crossdressing. Mais, bientôt, le groupe signe un contrat avec une major du disques, et les exigences de la carrière prennent toute la place. «Alors tu fous tout dans un sac poubelle, tu vas derrière un magasin et tu balances tout dans un container.
«Alors tu fous tout dans un sac poubelle, tu vas derrière un magasin et tu balances tout dans un container. Parce qu’il y a la culpabilité, le danger du scandale, et que tu es terrifiée.»
Le leader du groupe Against Me assume son identité trans (360°, mai 2012)
Succès. Mariage. Naissance. Laura ne dit rien à sa femme, mais soudain elle s’interroge. «J’ai réfléchi au modèle que je voulais être pour cet enfant. A ce qui était le plus important de lui transmettre. Etre honnête: voilà l’exemple que je voulais donner.» Si aujourd’hui Laura est séparée de sa femme Heather, elles continue d’éduquer leur fille. «Elle m’a dit une fois qu’elle ne voulait plus que je sois Laura, qu’elle voulait que je sois Tom à nouveau. Je lui ai juste répondu : «Je serai toujours ton père, ton parent, je t’aimerai toujours. C’est juste un nom.» Etre plus qu’un nom, plus qu’un genre, plus qu’un corps. Alors, même si elle n’a pas encore les cheveux de Julianne Moore dont elle «rêve parfois», Laura fait de sa réassignation un lieu d’expression et de dialogue, musical bien sûr, mais aussi multimédia, avec la production d’une série de mini-documentaires visibles sur le web, «True trans».Les dix épisodes entrecroisent différents portraits pour raconter la diversité des désirs, des genres, des identités, avec une certaine naïveté, mais aussi beaucoup de franchise et de sensibilité. Laura Jane Grace: «J’explore, je comprends, je m’adapte au fur et à mesure. Je témoigne avec toutes mes contradictions et mes ambiguïtés. Je n’ai de loin pas tout réglé, et c’est très important pour moi de le souligner : être transsexuelle ne fait pas de moi une experte du genre et de la transition!»
Le magazine «Elle» l’a élevée au rang de «Hip-Hop’s new Queen». «The Village Voice» l’a mise en Une sous l’intitulé «Gender Ninja». Le «New York Times» l’a qualifiée de «glamazone». Et même les Parisiens de «Tsugi» louent son «flow grave, ses instrus minimales et ses leggings léopard». Quelque part entre Beyonce et Marilyn Manson, entre la nonchalance de Snoop Dog et le fer à défriser de Rihanna, Mykki Blanco, rappeur.euse pas peureuse, est un corps-controverse, un tête-à-cul(ture), un point d’hétérogation qui fait transpirer les codes du hip-hop, des quartiers, du queer et du camp.
Son nom, déjà, fait dans la négociation et l’hommage. L’appellation «Mykki Blanco» se propose comme un mi-chemin: outrance d’une gangsta freak idolâtrée – Lil Kim – et de son alter ego – Kimmy Blanco – aussi bancable qu’un billet de banco saupoudré de coke. Plus qu’une performer, plus qu’un crossdresser, plus qu’une figure Drag&B, Mykki Blanco est une constante mise à l’œuvre de l’entre-deux. L’artiste et son personnage, le soi et l’ego, le bal et son masque, New York et la Caroline du Nord, Williamsburg et Harlem, le rap et le transformisme, Terry Richardson (qui l’a shootée) ou Azealia Banks (qui l’a tweetée), Lauryn Hill ou Bruce LaBruce (qui figurent parmi ses influences), bad boy ou material girl.
Prose illicite
Une récente mixtape tuyautée sur les réseaux, «Gay Dog Food», donne à entendre le graisse du rimmel dégoulinant sur des claviers à la synthèse généreusement abrasive. Nègre à lipstick, pédale de transistor, travelote de trottoir, gadget à gogo bar, poète du ghetto, surdouée de la rhyme et terroriste du mic, Mykki Blanco a fait des zones de non-droit identitaire son royaume et sa marque, depuis ses premières percées, en 2012. Ses textes, en contrepoint des saccades de beat défroqué, laissent couler une proses illicite et langoureuse, où il est question de nuits hédonistes à Chinatown autant que de Sisyphe ou de ready made.
Quand un journaliste demande: «Qui est Mykki Blanco, et comment toute l’histoire a-t-elle commencé?» la réponse fuse: «Mykki Blanco est Michael David Quattlebaum Jr. Elle est mon nom de scène mais comme je me transforme aussi, je suis par ailleurs Mykki.» Vous n’avez pas tout à fait compris? Normal. Commentaire complémentaire: «Le langage ne veut rien dire.»
Pouvoir symbolique, structure d’intelligibilité, corporalités politiques, toute la bastringue de la queer theory l’exaspère et l’ennuie. Le poids des mots, non merci. «Je hais le terme “queer“, je ne m’en sers que parce qu’il existe», peut-on lire dans son entretien avec «The Village Voice». «J’ai beaucoup de problèmes avec la communauté académique des études genre parce que c’est une communauté complètement dissociée de la réalité. Les gosses qui se vendent sur West Side Highway ou Christopher Street, ils ne savent même pas ce que c’est que cette fucking queer theory.»
Il taupe 100 balles dans le porte-monnaie de maman et débarque Manhattan.
Bien avant de s’inventer en Mykki Blanco, Michael David Quattelbaum Jr, fils d’une assistante juridique et d’un ingénieur IT devenu médium, donnait sens à ses 14 ans dégingandés en écoutant les guitares revanchardes des groupes de riot grrrl – Le Tigre, Bikini Kill ou Tracy + the Plastics. Deux ans plus tard, à l’heure des premières sorties habillées, il sème le trouble dans à l’entrée des clubs et la sensation le grise. Il taupe 100 balles dans le porte-monnaie de maman et débarque Manhattan; il tapine à l’occase, danse sur les tables, croise éventuellement Alexander McQueen au Cock, pose quelques fulgurances sur le papier.
Censure russe
Rattrapé par les inquiétudes maternelles, il retournera à New York quelques années plus tard pour s’essayer à des études d’art bientôt abandonnées en bord de nuit. Michael écrit des poèmes improbables – «From the Silence of Marcel Duchamp to the Noise of Boys», mais surtout, un jour d’automne 2010, enregistre sur Facebook la confession d’une petite peste urbaine délicieusement fagotée… Big bang bling bling, disco bingo, yo Mykki Blanco.
Récemment, en tournée à Moscou où une de ses performances a été annulée par la police, Mykki a posté ses mots: «Quand je pense à la Russie (…), je songe à fumer de la weed dans la forêt sibérienne avec mes potes hétéros du ghetto moscovite. Je pense à des clubs underground remplis de muscutatures en t-shirts moulants, de twinks en transe et de glam queens montées sur plateformes comme dans les années pré-sida du NYC que je n’ai pas connu. J’adore Moscou parce que cette ville est incomprise, j’aodre la Russie pour son statut d’outsider. Je vois dans la Russie des éclats de moi-même, et par amour propre j’aime la Russie à mon tour.»
Peut-on porter des robes à fleurs, et arborer les couleurs du féminisme queer? Peut-on avoir aiguisé ses rimes au fil de la scène slam, à force d’arpenter Seattle côté pluie, côté nuits de goudron et racines punk, tout en affichant des millions de vues sur YouTube avec des comptines mélancoliques? Peut-on chanter ses complexes à tue-tête (surpoids, trouble bipolaire, enfance v(i)olée…) et se retrouver aux Grammys, en fuseau rouge glam, à côtoyer Queen Latifah et Madonna? Peut-on avoir puisé la force de surmonter une adolescence au bord du gouffre en joignant sa voix à la chorale d’une communauté évangélique, et devenir, au hasard d’un simple refrain («Same Love» avec le rappeur Macklemore), une icône du militantisme pour le mariage gay américain?
Oui, on peut. «Yes, we can.» Mary Lambert, 25 ans, est cette nouvelle barde de la diversité US dont le parcours sillonne à mi-chemin entre alternative et mainstream pour mieux redéfinir les normes du show-business. Bon. La voluptueuse chanteuse, ouvertement lesbienne avant même les prémices du succès, n’est pas la première à avoir fait de ses fêlures, ses luttes identitaires et sa puberté cabossée les ingrédients d’une trajectoire vers la gloire. Sans même les comparer, Peaches ou Beth Ditto, bien avant Miss Lambert, ont hissé leur freak en étendard du chic. Mais là où Mary pleine de grâce augure le franchissement d’une nouvelle étape, c’est dans la manière dont elle se ré-approprie ses blessures. Elle ne les affiche ni comme les galons de la victoire, ni comme les cicatrices de l’amazone, ni comme la preuve d’un caractère en acier trempé. Non, Mary Lambert parle de ses faiblesses sans volonté apparente d’instrumentalisation. Si elle les affiche, c’est pour mieux rappeler que nos failles et nos imperfections sont bel et bien nos traits les plus communs – à vrai dire un trait d’union entre toutes et tous.
«Au moment où vous vous permettez d’être vulnérable en disant: «Je déteste mon apparence» ou «Je me demande comment serait le monde si j’étais mort-e», les choses changent.»
«En tant que société, nous avons oublié comment aimer quelqu’un qu’on ne connaît pas. Comment réparer ça? En commençant par avoir l’honnêteté d’accepter ce qu’on ressent», déclare-t-elle au blog AfterElle.com. «Au moment où vous vous permettez d’être vulnérable en disant: «Je déteste mon apparence» ou «Je me demande comment serait le monde si j’étais mort.e», les choses changent. La plupart des gens, en fait tout le monde probablement, a ressenti ce genre de choses. Alors pourquoi ne pouvons-nous pas les dire? Lorsqu’on est honnête avec qui l’on est, on jette des ponts, et c’est ce que j’essaie de faire.»
«physiques atypiques»
Créer du lien en revendiquant sa vulnérabilité? Désamorcer, surtout, le discours de l’ascension et de la réussite que produit la toute puissante société du spectacle. Soyons clair: il n’y a pas d’unijambiste, de grand brûlé ou de trisomique 21 dans les clips de Mary Lambert. Plutôt des «physiques atypiques» tous assez bien peignés, quelques gosses à coiffure afro, emos à mèches rebelles et butch farouche. Mais peu importe, le message est là: awkward is beautiful.
Il faut dire que, en matière d’antécédents filppants, Mary fait dans le lourd. De l’excommuniation de sa famille par la communauté pentecôtiste ultra-religieuse lorsque sa mère fait son coming out (Mary a six ans), jusqu’à son propre rejet par l’église évangélique quand, à 17 ans, Mary elle-même se découvre lesbienne après avoir rencontré sa première petite amie au sein de la paroisse, depuis ce viol collectif dont elle a fait un poème où un corps démembré flotte sur la rivière jusqu’à la drogue et la dépression dont la musique l’a sauvée, il y a de quoi vider quelques camions de valium. «Je m’enfermais dans ma chambre, j’allumais mon petit keyboard et je chantais: I’m loved, I’m loved, I’m loved.»
Premier frisson
Depuis, Mary Lambert met en refrain les affres de la dictature corporelle («Body Love»), ses questionnements sur l’identité Femme, l’amour au féminin («She keeps me warm»), la jubilation à dire tout haut les petits bizarreries qui froissent la bonne société («Secrets»). «Heart on my sleeve», le titre qui donne son nom à un premier album à paraître ce mois, raconte l’émotion de la première fille, de la première fois, du premier frisson. Une production ultra clean, ultra efficace, ultra positivante, en écho à des années balafrées, souillées, évaporées. Au bout du prêche pour l’acceptation de soi, le salut par la pop. ça redonne un peu la foi, tout simplement.
Il y a eu Britney, poupée de Spears, et Beyonce, poupée gros son. Il y a eu Rihanna, poupée désir, et Lady Gaga, poupée chiffons. Et encore Katy Perry-poupéé-titienne, et bien sûr Barbie Cyrus. Mais, sur le podium des poupées pop, une nouvelle venue distille sa plastiline inédite et bouleverse le classement. Minois frais comme une panna cotta et cordes vocales à haute tension, Ariana Grande, 21 ans (pour toujours bien évidemment) s’est hissée dernièrement tout en haut du rayon.
Impossible, pour qui se commet de temps à autre dans les sphères mainstream, d’avoir échappé au RnB légèrement acidulé et judicieusement nineties de miss Grande. Un premier album, «Yours Truly», s’est hissé en haut des charts peu après sa sortie en 2013, à coup d’acrobaties vocales satellisées et de beats tout droit excavés d’une décennie durant laquelle Ariana, née en 1993, gazouillait encore en couches culottes et suçotait ses biberons, tandis que triomphaient Aaliyah (poupée martyr), Janet Jackson (poupée carton) et Missy Elliott (poupée dragon).
Première communion
Depuis leurs sorties, les singles «Baby I», «Right There» ou « Popular Song» (un featuring avec Mika) ont mis des comparaisons flatteuses à la bouche de tous les commentateurs américains: la nouvelle Mariah Carey par-ci, la descendante de Whitney Houston par-là. La fuselée Ariana, elle, sourit innocemment dans ses robes à fleur de première communion. En interview avec la radio FM Hot 97, elle dit: «Je n’aime me comparer. Mais mon objectif, c’est d’être la meilleure.»
«C’est l’incarnation d’une Amérique qui veut renouer avec ses idoles d’avant la crise.»
Battements de cil, et ambition de béton. Si, tout comme Miley, Britney ou Christina, Ariana a fait ses armes à la télévision en jouant les ingénues délurées dans plusieurs sitcoms à rires pré-enregistrés sur la chaîne pour ados Nickelodeon, c’est à Broadway qu’elle s’est constitué son background musical, d’une redoutable solidité. Le rôle-titre dans le show «Annie» à huit ans. A quatorze, idem sur la production à succès «13». Plus tard, coachée par une maman CEO et bientôt repérée par Scooter Braun, gourou des managers depuis qu’il a bâti la carrière de Justin Bieber, Ariana conserve ses charmes de frêle débutante mais gravit les échelons. Jusqu’à être invitée, au début de l’année, à divertir le couple présidentiel au cours d’une soirée à la Maison Blanche. Consécration.
Plus ou moins ghetto
Il faut reconnaître que la malicieuse brindille, dont l’hérédité flotte quelque part entre la Sicile et Abruzzo, déploie un joli timbre de soprano léger qui aurait pu produire de beaux résultats sur une scène d’opéra. Mais est-ce suffisant pour expliquer l’effet Grande? Un tiers Callas, un tiers Lolita, un tiers Mary Corleone, fille tragique du Parrain incarnée par Sofia Coppola dans le dernier volet de la mythique trilogie cinématographique, Ariana raconte à qui veut l’entendre comment elle chantait en hébreu aux bar-mitzvah des gosses de son quartier, répond sèchement aux commentaires homophobes qui circulent en ligne à propos de son frère, candidat pour le moins flamboyant à la dernière saison de «Big Brother», affiche fièrement ses racines d’Américaine d’ascendance italienne, collectionne les collaborations avec les rappeurs plus ou moins ghetto, et revendique l’influence de la culture doo-wop.
Diversité, inclusion, et bons sentiments. Ariana Grande, c’est l’incarnation d’une Amérique qui veut renouer avec ses idoles d’avant la crise, tourner (laborieusement) le dos à la récession et la fracture sociale, pour réaffirmer sa foi simultanée dans le capital et la diversité culturelle. Finie, la blondeur subversive et toxique de Britney. Abandonné, le fantasme d’un mainstream alternatif façon Lady Gaga. Distancé, aussi, le triomphe très black Power de Beyonce, et le trash sans cesse ressassé de Rihanna. Ariana Grande, à l’inverse d’une Miley Cyrus, n’a pas construit son business sur la rupture, mais sur la continuité et la coalition. Elle n’a pas jeté ses robes de petites princesses, au contraire: les deux pièces fuchsia, les tutus brodés et les motifs floraux de son adolescence, ni trop sage ni trop délurée, continuent d’habiter son iconographie.
Le second album de Mademoiselle Grande, dont la sortie est imminente, ose un titre au romantisme aussi désuet qu’appuyé – «My everything». Voyons combien de temps la poupée Ariana parviendra à faire retomber l’Amérique dans ses rêves d’enfance et ses contes de fées.
Francesco Tristano? Arpenteur de l’entre-deux. Poète de la tombée du jour. Ici la part du chien, et là l’ombre du loup. Son territoire: la musique. Ses chasses gardées: techno et répertoire classique. Royaumes à la fois opposés et simultanés, que l’artiste luxembourgeois sait comme nul autre mettre en miroir et en perspective. Dernièrement, le Festival Electron de Genève vernissait une de ces compositions, en première mondiale. Piano de concert, boîte à rythmes, synthétiseurs et contrôleurs midi en dialogue serré avec les archets de la Camerata Geneva. Allegro techno vivace.
Un credo: aspirer au minimalisme, à l’épure. Parvenir à l’essence. «Le minimalisme est une esthétique qui m’interpelle, en musique, mais aussi dans l’architecture ou le design”, explique-t-il, trentenaire aux airs d’elfe éternel. “Certaines personnes reprochent à la techno d’être répétitive. Mais ils confondent répétition et minimalisme. Toute musique est répétitive: Bach est répétitif, Mozart aussi, Wagner à l’extrême. C’est par cette répétition qu’on peut éprouver la sensation du chemin parcouru, du temps écoulé. Là où la techno est fondamentalement différente, c’est dans sa composante minimale.»
Vénérables mélomanes
Qu’il se produise avec Carl Craig, prince des DJ et roi de Detroit, qu’il joue Bach en récital ou officie comme soliste sur la scène des plus grandes salles du circuit classique, Francesco Tristano emporte avec lui quelque chose de l’autre monde; c’est sa force, sa subversion, et sa distinction. Au Victoria Hall de Genève voilà quelque temps, au terme d’un Concerto en sol Ravel au toucher libre comme l’air, il donnait en bis, seul face au clavier, une version acoustique de «Strings of Life», track légendaire dont la mythologie remonte à Derrick May et aux fondements du mouvement techno. Une réinterprétation? Un remix, façonné en live devant un parterre de vénérables mélomanes.
«J’aime dire que Bach est le plus illustre artiste de remix de l’histoire de la musique»
Double-jeu, et double-je. Ici, la musique électronique délestée de ses circuits, de ses machines et de ses amplifications, comme pour mieux attester combien sa raison d’être relève d’un esprit et d’une esthétique plutôt que d’une circonscription exclusive aux clubs et aux pénombres de la nuit. Là, le répertoire classique mis en translation, intégré à des dispositifs de scène qui flirtent avec l’électro, le jazz ou l’improvisation, comme lorsque Francesco Tristano s’empare d’extraits de Bach au beau milieu d’un live dont la pulsation parle à la musculature autant qu’à l’intellect. Récemment, deux projets attestent de cette manière amphibie de vivre l’art: d’abord un EP avec Psycatron chez Inflyte Records, «Random Person», dont les basses frappent sec et les ornements pianistiques font subtilement référence au meilleur des années 1990; et puis l’annonce d’un nouvel album à quatre mains avec la virtuose Alice Sara Ott, à paraître sur le prestigieux label Deutsche Grammophon. Au programme: Ravel, Stravinski, et une prometteuse composition de Tristano, «A Soft Shell Groove», d’ores et déjà disponible au téléchargement.
Philosophie du sampling
Le secret de cette réussite transgenre et transversale? Non pas une volonté de fusionner artificiellement des styles sans réelles surfaces de contact, comme c’est si souvent le cas dans la nébuleuse du crossover musical, mais plutôt un vécu intense de chaque espace, dans ses codes, ses techniques, ses publics propres. Francesco Tristano: «J’étais parti à New York pour étudier le piano classique à la Juilliard School. C’est là-bas que j’ai découvert la scène techno. Je passais mes jours à travailler Bach et Mozart, et mes nuits à découvrir le meilleur de la culture du clubbing et de l’électro.»
La pensée Tristano est déjà là, entre les lignes, interstice dans lequel les manières d’hier et d’aujourd’hui s’interfécondent, et mettent en dialogue l’institution et l’alternative. «J’aime dire que Bach est le plus illustre artiste de remix de l’histoire de la musique. Il s’est approprié Vivaldi, Haendel ou Telemann, les intégrait à sa propre musique. Je pense qu’à l’avenir, on va revenir à cette organicité, y compris en musique contemporaine. Ecrire et présenter sa propre musique, la remixer, la faire remixer… Le modèle qui veut que compositeur et interprète soient deux fonctions distinctes est arrivé à ses limites.» Une philosophie du sampling, une éthique de la fluidité. Francesco Tristano, en matière de culture, articule une certaine conception de la liberté.
Sia est une chanteuse qui parle de ses chiens aux journalistes. Qui écrit des hits en quinze minutes pour Beyonce et David Guetta. Et fait la Une du magazine Billboard avec un sac en papier sur la tête. On pouvait y lire, tracé au stylo feutre: «Cette artiste est à l’origine de 12 millions de singles vendus, participe à la nouvelle bande-son de «Hunger Games 2» et ne veut pas être célèbre.» Eh ben voyons.
Et si c’était vrai? Difficile, lorsqu’on la voit se déployer à pleine gorge sous son carré blond platine, de ne pas trouver à Sia Furler une touche de spontanéité fort peu commune sur le circuit de la pop à paillettes. L’Australienne émigrée à Los Angeles, où le meilleur et le pire de l’industrie bronze sous des promesses hautes comme les palmiers, a pris le temps de cabosser son timbre éraillé et inimitable. Drogue, médicaments, dépression: ses apparitions dans les médias, soigneusement dosées, sont autant d’épisodes révélateurs qui confirment son statut de freak dans le grand show du micro d’argent. Comme lorsqu’elle laissait entendre au coin d’une interview, en 2008, qu’elle vivait une relation tumultueuse avec une Américaine rencontrée cinq ans auparavant sur MySpace, ou qu’elle déclarait à Billboard avoir enfin surmonté son tempérament d’alcoolique qui s’ignore.
Atours discoïdes
Faut-il croire la sincérité d’une jeune femme qui encaisse désormais des millions de dollars et compose pour les cadors des hit-parades? Dans les six derniers mois, Sia s’est illustrée en duo avec Britney Spears sur l’album «Jeans», a prêté sa voix au blockbuster «Wild Ones» de Flo-Rida, et produit le nouveau Kylie Minogue, dont les atours discoïdes se parent pour l’occasion d’une dimension plus soul. En remontant à peine plus loin, on trouve des featurings avec Beyonce, Rihanna et David Guetta – eh oui la turbine vocale sur «Titanium», c’est elle.
Et pourtant, Mrs Furler, 38 ans au compteur, a le profil exact de l’anti-star. Elle se comporte comme si tout lui était arrivé par hasard: c’est sa marque, et son statut. Il y a tout juste quatre ans, juste avant un projet de mise en retraite qui trahissait le bord du gouffre, Sia était encore cet étrange oiseau du paradis au gazouillis de fournaise, qui déconcertait les foules les plus averties. Ici, elle apparaissait accoutrée en condor foutraque, autour du cou un châle de mouton pleine fleur – et s’effondrait de chaleur avant la fin du concert. Là, elle s’affublait d’une cape mi-espagnole mi-ukrainienne arborant des vagins brodés. A chaque fois, humour de biais, ricanement ravageur, et surtout un souffle monumental, légèrement cendrée sous sa musculature généreuse. On songe à Marina and the Diamonds, Joan ou the Policewoman, voire une version transgenre de Joe Cocker aux heures les plus fauves.
Une seule métaphore
Brûlée par une carrière qui flambe depuis 1997, Sia frôle l’éclipse totale fin 2010. Elle ne souhaite écrire plus que pour les autres, elle veut s’abstraire de tout célébrité, elle refuse en bloc les interviews. Et c’est justement cette force du «non» qui va donner une dimension planétaire à sa carrière, au gré d’une formule magique qui lui permet, selon la légende, de fomenter des tubes en quelques minutes. «Quand j’écris pour les autres, je reste à un niveau maximal de simplicité et d’efficacité», confie-t-elle à Billboard. «Niveau paroles, il faut qu’il y ait une seule métaphore, qu’on répète beaucoup de fois, avec beaucoup de variations. Les gens aiment qu’on leur parle de succès, des revers du succès, et de fête. Les chansons avec un refrain triste ou un caractère peu enthousiaste sont plus difficiles à placer.»
Cynisme ou naïveté? Sia préfère parler de ses chiens, qui désormais l’accompagnent partout en tournée – pour peu qu’elle y reparte jamais puisque ses contrats avec les maisons de disque la libèrent désormais de toute obligation de promo. «Je me fous du succès commercial. J’ai de la chance, je peux rester assise chez moi avec mes clebs sur la canapé, enregistrer dans un placard de mon bureau, envoyer le tout et si je suis chanceuse me faire des millions de dollars.» «Chandelier», le premier titre de son nouvel album à paraître en mai, est un étrange assemblage de lieux communs RnB et de libertés mélodiques. Dans une pop-culture aux marges plus saturées que jamais, Sia fait du mainstream le degré ultime de l’alternative.