Mon petit poney, mon petit poney, oh oh oh… Vous l’avez en tête ? Pas de bol, parce que ce n’est pas exactement de ce genre de petits poneys magiques que nous allons parler aujourd’hui. Chose promise, chose due, je reviens vous parler de ma dernière lecture des éditions La Musardine avec Princesse Johanna de Léo Barthe, qui nous a malheureusement quittés ce vendredi. Et si les amateur·ice·s de pet-play – a fortiori de ponyplay – vont être plus que satisfaits, vous verrez que, à ma plus grande surprise, il n’y a pas qu’à eux que le livre peut plaire. Le livre a remporté le prix de Sade 2021 et forcément, ça m’a intrigué.
Pour faire un bon livre, il faut d’abord une bonne histoire, alors quelle est celle de ce petit roman à la couverture presque kitsch, qui prendra cependant sens plus tard dans la lecture ? Le livre nous fait entrer directement dans le vif de ce sujet. On se retrouve plongé dans le quotidien de Isa, qui en bonne femme moderne (vous noterez l’ironie) a un amant, et qui vit une vie très chargée oscillant entre son boulot d’architecte où elle est confrontée à un collègue misogyne et baise avec Philippe, son amant dont on ne saura finalement pas grand-chose. Rien de bien exceptionnel jusque là, me direz-vous et vous auriez raison, car le livre aurait pu se contenter de faire le récit de la vie sexuelle d’Isa et de Philippe et c’est tout. Mais ce n’est pas le cas.
Comme dans le porn, il faut faire preuve d’originalité pour se démarquer sur la scène littéraire érotique, j’attendais donc avec impatience de voir ce que Princesse Johanna avait de si spécial. Rassurez-vous, le suspense ne dure pas bien longtemps. Très vite (trop peut-être à mon goût, je reviendrai dessus plus tard), les choses sérieuses arrivent puisque, par amour pour son amant, Isa va accepter de rejoindre le haras de Madame Vérone. Un haras bien particulier, rempli de pony-girls au cul nu et à quatre pattes bien dévouées à se faire enculer, et d’étalons plus ou moins fougueux, plus ou moins bien membrés mais fermement frustrés par la maîtresse des lieux.
« En quelques jours il m’amena à la conviction que la beauté féminine résidait essentiellement dans les fesses dont l’harmonie était ce que toute femme pouvait désirer ardemment. Toute la personnalité d’une femme reposait, à l’en croire, sur la certitude de l’exceptionnelle splendeur de son cul. »
Princesse Johanna – P 13
ANAL ET PONY PLAY
Au premier abord, je suis bien forcée de l’admettre, Princesse Johanna n’avait rien pour me plaire. Je ne suis pas adepte de pet-play, peut-être encore moins de pony-play d’ailleurs, et j’avais vraiment peur que le fait d’être étrangère à ce kink puisse m’exclure radicalement du livre. On ne va pas se mentir, je n’ai probablement pas tout apprécié à sa juste valeur de par cette raison, cependant, ça n’a pas été aussi radical que ce que je redoutais, et c’est plutôt cool.
Enfin, il faut mentionner les sabots qui requièrent plusieurs essayages pour être parfaitement ajustés du genou à la cheville. Il s’agit d’une gaine assez rigide, mais pour le pied la réalisation est extrêmement délicate. […] Cette contrainte oblige la jument à marcher toujours sur la pointe des pieds et à accentuer la cambrure des reins.
Princesse Johanna – P. 77
Il m’a fallu un petit moment pour admettre le cadre dans lequel se déroule l’action, car à l’inverse d’une scène BDSM dans un donjon, ou dans un bar, la vie d’Isa, dans le haras, s’étend sur la durée. Elle y entre, comme on entre au couvent, et n’en ressortira que quelques mois/années plus tard. La temporalité de l’œuvre reste trouble et il est difficile de savoir sur combien de temps se déroule exactement l’action, mais en tout cas, ça dure. Et la vie de pony-girl chez Madame Vérone ne laisse place à aucun temps mort.
Il garde fixé sur elle un regard éperd, de plus en plus désespéré tandis qu’elle se tord de plaisir sous les assauts des étalons qui la bourrent avec violence et elle jouit le visage dans l’extase, tendu vers lui qui la scrute avec désespoir. On ne peut savoir si les gouttes qui ruissellent sur son visage sont des éclaboussures ou des larmes. Finalement, il jouit allongé répandant sa semence sur son ventre.
Princesse Johanna – P 110
Dès son entrée, Isa est dépersonnifiée. Son prénom est délaissé pour faire place à celui qui sera son nom de jument : Princesse Johanna. Il ne faudra pas beaucoup plus longtemps pour qu’elle soit amenée chez la vétérinaire qui sera chargée de lui faire faire un harnais bien particulier, contraignant les membres à la station à quatre pattes, et pour qu’elle soit placée dans son box, avec du foin. Si vous aimez le pony-play, nul doute alors que vous serez servis. Pour ma part, je dois admettre que ces éléments m’ont gêné, sans doute parce qu’ils me mettaient plus mal à l’aise qu’ils ne m’excitaient. Je ne m’étendrai donc pas sur la qualité du role-play puisque je ne suis pas qualifiée en la matière. Cependant, mes maigres connaissances en équitation m’ont donné l’impression de quelque chose de plutôt bien nourri et soucieux du détail.
Le décor est donc posé, Madame Vérone accueille ses clients qui peuvent jouir – littéralement, tu l’as ? – du spectacle proposé. Au programme : duel d’étalons avec des juments sur le dos, punition d’une petite jument qui aime un peu trop se caresser, c’est un monde de voyeurisme d’un certain standing. On sent que le client type de Madame Vérone est aisé, qu’il appartient à la haute, et que ce n’est pas un lieu pour tout le monde. C’est un cliché que je déplore un peu. J’entends bien l’idée que ce joyeux foutoir ait un coût, mais en revanche, il est dommage de laisser voir le pony-play et le voyeurisme dont sont adeptes les clients, comme des penchants, un peu honteux, que l’on vient vivre entre soi et surtout à l’abri des regards indiscrets. Néanmoins, notes positives : les rapports ne sont pas uniquement hétérosexuels, et les clients de Madame Vérone sont aussi des clientes.
La main qui la visite semble hésiter, remonte au creux du sillon jusqu’à hauteur des reins en s’attardant un peu pour tapoter de l’index son trou du cul. Malgré elle, la petite jument commence à souhaiter un acte plus décisif, mais la main, comme prise d’une hésitation, reprend le même parcours en s’attardant plus à chaque reprise sur les points les plus sensibles et enfin, parvenue pour la quatrième fois sur la corolle de son trou du cul, la perfore, sans hâte, puis assez vite se retire.
Princesse Johanna – P102
Mais dans les faits ça donne quoi ? Très vite, on comprend que le pêché mignon de Madame Vérone, c’est la sodomie et les doigts dans le cul. J’avoue que c’est aussi l’un des miens, donc pourquoi pas, je suis plutôt bon public en la matière. Les fesses des pony-girls sont globalement le centre des attentions, si bien qu’on en oublie presque qu’elles ont une bouche — et ce malgré une première scène de fellation au creux d’un éclair à la vanille – ou même un sexe.
Les positions sont variées, les rythmes aussi et, c’est suffisamment rare pour être apprécié et souligné, les bites aussi. La description du pénis a toujours une place très marquée dans la littérature érotique et on appréciera ici le fait qu’elles ne soient pas toutes longues et épaisses. Les corps des membres du haras, qu’ils s’agissent des étalons ou des juments, sont d’ailleurs, dans leur globalité, variés et différents. C’est très appréciable de ne pas avoir des personnages tous clichés, même si on aura rarement l’occasion de connaître d’eux autre chose que le cul, la queue, et le port de tête. Chez Madame Vérone, lorsqu’il désobéit, on se fait donc enculer, et lorsqu’on a bien travaillé, on peut aussi se faire enculer. Cependant, la jouissance n’est pas toujours au rendez-vous et peut même faire l’objet d’une punition supplémentaire. Amateur·ices de frustration, vous y trouverez aussi votre compte.
ISA, OU LA LIBERTE DE LA FEMME ?
La première partie du et la majeure partie même – est donc dédiée à la vie de Princesse Johanna au haras. Mais quid de la suite ? Souvenez-vous, si elle est entrée chez Madame Vérone, c’est par amour pour Philippe qui voulait, grosso modo, qu’on lui prenne le cul pour pouvoir mieux en jouir lui-même. Arrive cependant le moment où Princesse Johanna devrait quitter le haras pour redevenir Isa. Oui. Mais ça ne se passe pas comme ça, parce que Philippe s’est lassé, et surtout, il a rencontré quelqu’un d’autre et s’est marié, abandonnant son ancienne amante qui, en l’apprenant, perd sa joie de vivre et sombre dans ce que Madame Vérone qualifie de folie sexuelle. Dans les faits, Princesse Johanna veut qu’on la prenne, et veut se toucher, à en perdre la tête, ou à s’en faire mal. Madame Vérone est formelle : elle doit quitter le haras. C’est le personnage du peintre qui lui offrira une porte de sortie en l’emmenant hors des murs du haras, pour s’occuper d’elle.
Elle dit non, arrache de son corps la jupe que Madame Vérone a tenté de lui mettre, essaie rageusement de la lacérer, et comme le tissu résiste, elle renvoie le contenu de la valise sur le sol et la piétine en grognant. […] Isa, puisque tel est son nom désormais, fait voler ses cheveux sombres, semblables en ce moment à la crinière d’une cavale affolée. Le peintre a une idée.
Princesse Johanna – P136
Je dois admettre que cette deuxième partie de l’œuvre m’a moins convaincue. Il est évident que se faisant, l’auteur mène une réflexion sur l’émancipation de la femme, et sur la reconquête de l’identité après avoir tout cédé, même son prénom, par amour et par dévotion. Cependant, c’est à mon sens, un peu maladroit. Si l’utilisation de l’art comme médium de reconstruction est juste, le parcours d’Isa est étrange, et ce pour une bonne raison : on sait, au début de l’oeuvre qu’elle est entrée dans ce haras pour combler les désirs de son amant. Cependant, cet amant disparaît presque entièrement de la narration jusqu’à l’énonciation de son abandon. Il est indéniable que cet abandon doit avoir un effet sur Isa, mais comment peut-il la mener à rejeter aussi fortement la vie au haras et sa rigueur alors même que Madame Vérone la perçoit comme l’une de ses meilleurs pony-girls ? Alors-même que la narration semble nous affirmer qu’Isa est heureuse dans cette nouvelle condition, non pas par dévotion pour Philippe mais par sensation d’être à sa place ? Ce paradoxe m’a semblé un peu étrange et m’a empêché d’entrer entièrement dans la deuxième partie de l’oeuvre. Sous couvert d’une reconquête d’identité individuelle et donc, de liberté, Isa passe d’un homme à un autre, puis à un autre, là où elle semblait se suffire à elle-même au haras. La question du véritable lieu de la liberté est donc posée.
LE GOÛT DES MOTS
Vous l’aurez compris sur le plan de la narration et de l’action, la lecture de Princesse Johanna a été, pour moi, une expérience en demie-teinte. Pourtant, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, et ce pour une raison essentielle : l’écriture.
Albert obéit et en un tournemain déboutonne le pont de sa culotte. Soudain échappant à toute entrave, l’organe mâle surgit comme un diable de sa boite. Bite fort honorable dans sa tenue et son gabarit qui sont peut-être des critères de sélection quand Madame Vérone recrute son personnel.
Princesse Johanna – P 23
J’aime quand la littérature érotique s’assume et qu’elle dit les choses. Pour autant, si je fais le choix de lire plutôt que de regarder un porno, ce n’est pas seulement parce que l’endurance des personnages est illimitée, et que la durée de l’action étant étendue dans le temps, il y a encore plus de quoi glisser la main entre ses cuisses. C’est aussi pour le plaisir du texte. Et en cela, Léo Barthe – dont le patronyme rappellera d’ailleurs l’auteur du Plaisir du Texte – réalise un travail remarquable. Il est rare de voir une langue aussi finement travaillée dans la production contemporaine. Sans jamais tomber dans le cliché – ce qui pourrait pourtant être facile avec un terrain comme celui du pony-play – le travail des mots est précis et poétique. Il émane du texte une forme de charme étrange, parfois un peu suranné mais qui ne tombe jamais dans l’artificialité à laquelle peut parfois recourir la langue érotique. S’il est donc question ici de poésie, c’est principalement d’une poésie du trou du cul, qui n’en demeure pas moins remarquable. Même lorsqu’il s’agit des passages qui m’ont moins plu sur le plan de l’excitation, j’ai pris plaisir à la lecture, et surtout, la langue est si efficace et agréable qu’elle a réussi à me faire poursuivre l’œuvre alors même qu’il y avait plusieurs éléments qui me gênaient sur le plan du kink et sur le plan narratif. On regrettera cependant peut-être que Léo Barthe – de son vrai nom Jacques Abeille – n’entre pas davantage dans la psyché féminine pour voir que justement, la liberté d’Isa aurait peut-être été à chercher ailleurs qu’aux côtés d’un pas tout à fait inconnu.
Une fois n’est pas coutume, La Musardine a donc fait un pari audacieux avec ce livre singulier. Que vous soyez curieux, ou adeptes des pratiques en question, Princesse Johanna constitue une très belle lecture, qui ne laisse pas sa·son lecteur·ice insensible. Pour le plaisir et pour vous convaincre, ou non, de tenter l’expérience, on vous en lit un petit morceau.
Images : extraits de « Etre cheval » le sublime documentaire de Jérôme Clément-Wiltz