Quand vous descendez la poubelle, vous savez que «poubelle» est un éponyme, soit un mot dérivé du nom d’Eugène Poubelle, son inventeur. Mais quand vous entamez une bacchanale ? Quand vous buvez un bloody Mary ? Quand vous faites du boucan à minuit ?
Auteur d’une
quarantaine d’ouvrages consacrés aux aspects les plus singuliers de la langue
française, Daniel Lacotte signe un «dico des mots aux origines amusantes,
insolites ou méconnues» dont le titre vaut à lui seul un poème : D’où vient cette pipelette en bikini qui marivaude dans le jacuzzi avec un gringalet en bermuda ? Chacun des mots qui compose ce titre est tiré d’un patronyme
d’homme ou de femme célèbre. Qu’il s’agisse d’inventeurs, de stars, d’écrivains
ou d’explorateurs, ces personnes sont entrées dans notre vocabulaire quotidien,
sans qu’on se souvienne parfois d’elles. Conviant les oubliés au festin de la
langue, Daniel Lacotte dresse le portrait de tous ceux et celles grâce à qui nous
pouvons nommer, entre autres, nos pratiques sexuelles, nos péchés mignons ou
nos objets fétiches…
Aphrodisiaque
: boire l’amour jusqu’à la lie
Le mot vient
d’Aphrodite, «déesse de l’amour et de la beauté dans la mythologie grecque».
Elle se déplace sur un char tiré par des colombes, trompe son mari boîteux et a
trois enfants avec son amant Arès (dieu de la guerre). Le premier s’appelle
Eros, le deuxième –nommé Antéros– est le vengeur des amours malheureuses et le
troisième est une fille : Harmonie. Le nom d’Arès a donné le mot aréopage
(ne pas confondre avec aéropage, qui n’existe pas), par allusion à la
colline d’Arès –située à l’ouest de l’Acropole à Athènes– choisie comme lieu
de réunion par le tribunal de la cité : «aréopage désigne donc, depuis le
milieu du XVIe siècle, un ensemble plus ou moins solennel d’individus (savants,
lettrés...) réunis pour débattre d’affaires relevant de leur compétence. Par
dérision, on parle aussi d’un aréopage d’imbéciles, de voleurs, de cuistres,
etc.»
Bistouri :
quand les bitumeuses se font suriner
«En argot,
l’expression “gibier à bistouri” désignait une prostituée de très modeste
condition, voire malsaine.» Le genre de prostituée qui se faisait
volontiers poignarder ? Le mot bistouri vient du nom de Pistoie, une ville de
l’Italie du nord, où étaient fabriquées des dagues affutées nommées pistorino,
puis –par altération– bistorit à partir du XVe siècle. Ces dagues auraient
ensuite donné leur nom aux instruments de chirurgie…
Dinde : poule
à plume ou poule à poil ?
Généralement,
la femelle du dindon est fourrée d’une farce onctueuse (aux marrons)… A
l’origine, il s’agit d’un volatile venu d’Inde. De nos jours, c’est une fille
facile. «Dans le langage populaire familier, et à l’instar des gallinacées
de basse-cour qui tortillent du croupion, la dinde est une accorte et
alliciante jouvencelle assez peu farouche et pas frileuse pour un rond qui,
elle aussi, se laisse fourrer (posséder sexuellement dans la langue argotique)
sans regimber.»
Mégère :
femme en furie, femme à la folie
Femme
foncièrement méchante, la mégère est un genre de dominatrice aux origines
illustres. «Dans la mythologie grecque, les Érinyes (Furies chez les
Romains) sont trois sœurs : Alecto, Tisiphoné et... Mégère. Probablement
inspirées des démons étrusques qui torturent les morts dans les Enfers, les
Érinyes sont des déesses vengeresses du monde souterrain. Elles parcourent la
terre en hurlant un chant terrifiant et en harcelant les personnes ayant
commis des crimes. Le mot apparut au XVIIe siècle.»
Nana : une
beauté à succès
Une nana,
synonyme de «fille», désigne d’abord la femme de joie, par allusion au titre du
roman d’Emile Zola : Nana (neuvième livre du cycle des Rougon-Macquart). C’est
l’occasion pour Daniel Lacotte de rappeler, non sans un malin plaisir, que Zola
a raté deux fois son baccalauréat et que «plus il est rejeté par les
bien-pensants de la littérature, plus il suscite l’intérêt du public» qui
s’arrache le roman Nana : 55 000 exemplaire sont vendus le premier jour de sa
publication.
Sandwich : se
faire prendre sans se salir
Un
aristocrate britannique se trouve à l’origine de cette figure sexuelle : John
Montagu (1718-1792), comte de Sandwich, premier lord de l’Amirauté de la flotte
britannique de George III. «Passionné par les parties de cartes, il se
refusait à abandonner la table de jeu pour aller manger. En 1762, son cuisinier
lui apporte un morceau de viande et un morceau de fromage intercalés entre deux
tranches de pain. Le comte de Sandwich ne manque pas de vanter les mérites,
dans les cercles de jeu, de cette technique audacieuse qui permet de continuer
à saisir les cartes sans les salir.»
A LIRE : D’où vient cette pipelette en bikini qui marivaude dans le jacuzzi avec un gringalet en bermuda ?, de Daniel Lacotte, éditions Vuibert, collection «Goût des mots»,
sortie le 25 octobre 2018.