Il y a eu Britney, poupée de Spears, et Beyonce, poupée gros son. Il y a eu Rihanna, poupée désir, et Lady Gaga, poupée chiffons. Et encore Katy Perry-poupéé-titienne, et bien sûr Barbie Cyrus. Mais, sur le podium des poupées pop, une nouvelle venue distille sa plastiline inédite et bouleverse le classement. Minois frais comme une panna cotta et cordes vocales à haute tension, Ariana Grande, 21 ans (pour toujours bien évidemment) s’est hissée dernièrement tout en haut du rayon.
Impossible, pour qui se commet de temps à autre dans les sphères mainstream, d’avoir échappé au RnB légèrement acidulé et judicieusement nineties de miss Grande. Un premier album, «Yours Truly», s’est hissé en haut des charts peu après sa sortie en 2013, à coup d’acrobaties vocales satellisées et de beats tout droit excavés d’une décennie durant laquelle Ariana, née en 1993, gazouillait encore en couches culottes et suçotait ses biberons, tandis que triomphaient Aaliyah (poupée martyr), Janet Jackson (poupée carton) et Missy Elliott (poupée dragon).
Première communion
Depuis leurs sorties, les singles «Baby I», «Right There» ou « Popular Song» (un featuring avec Mika) ont mis des comparaisons flatteuses à la bouche de tous les commentateurs américains: la nouvelle Mariah Carey par-ci, la descendante de Whitney Houston par-là. La fuselée Ariana, elle, sourit innocemment dans ses robes à fleur de première communion. En interview avec la radio FM Hot 97, elle dit: «Je n’aime me comparer. Mais mon objectif, c’est d’être la meilleure.»
«C’est l’incarnation d’une Amérique qui veut renouer avec ses idoles d’avant la crise.»
Battements de cil, et ambition de béton. Si, tout comme Miley, Britney ou Christina, Ariana a fait ses armes à la télévision en jouant les ingénues délurées dans plusieurs sitcoms à rires pré-enregistrés sur la chaîne pour ados Nickelodeon, c’est à Broadway qu’elle s’est constitué son background musical, d’une redoutable solidité. Le rôle-titre dans le show «Annie» à huit ans. A quatorze, idem sur la production à succès «13». Plus tard, coachée par une maman CEO et bientôt repérée par Scooter Braun, gourou des managers depuis qu’il a bâti la carrière de Justin Bieber, Ariana conserve ses charmes de frêle débutante mais gravit les échelons. Jusqu’à être invitée, au début de l’année, à divertir le couple présidentiel au cours d’une soirée à la Maison Blanche. Consécration.
Plus ou moins ghetto
Il faut reconnaître que la malicieuse brindille, dont l’hérédité flotte quelque part entre la Sicile et Abruzzo, déploie un joli timbre de soprano léger qui aurait pu produire de beaux résultats sur une scène d’opéra. Mais est-ce suffisant pour expliquer l’effet Grande? Un tiers Callas, un tiers Lolita, un tiers Mary Corleone, fille tragique du Parrain incarnée par Sofia Coppola dans le dernier volet de la mythique trilogie cinématographique, Ariana raconte à qui veut l’entendre comment elle chantait en hébreu aux bar-mitzvah des gosses de son quartier, répond sèchement aux commentaires homophobes qui circulent en ligne à propos de son frère, candidat pour le moins flamboyant à la dernière saison de «Big Brother», affiche fièrement ses racines d’Américaine d’ascendance italienne, collectionne les collaborations avec les rappeurs plus ou moins ghetto, et revendique l’influence de la culture doo-wop.
Diversité, inclusion, et bons sentiments. Ariana Grande, c’est l’incarnation d’une Amérique qui veut renouer avec ses idoles d’avant la crise, tourner (laborieusement) le dos à la récession et la fracture sociale, pour réaffirmer sa foi simultanée dans le capital et la diversité culturelle. Finie, la blondeur subversive et toxique de Britney. Abandonné, le fantasme d’un mainstream alternatif façon Lady Gaga. Distancé, aussi, le triomphe très black Power de Beyonce, et le trash sans cesse ressassé de Rihanna. Ariana Grande, à l’inverse d’une Miley Cyrus, n’a pas construit son business sur la rupture, mais sur la continuité et la coalition. Elle n’a pas jeté ses robes de petites princesses, au contraire: les deux pièces fuchsia, les tutus brodés et les motifs floraux de son adolescence, ni trop sage ni trop délurée, continuent d’habiter son iconographie.
Le second album de Mademoiselle Grande, dont la sortie est imminente, ose un titre au romantisme aussi désuet qu’appuyé – «My everything». Voyons combien de temps la poupée Ariana parviendra à faire retomber l’Amérique dans ses rêves d’enfance et ses contes de fées.