C’est venu spontanément de la bouche d’une soumise, comme un jet de sperme expulsé d’un tuyau de chair. Elle me lance : « Les brattes, c’est des filles qui ont peur! »
Peur? de qui, de quoi? Peur d’aimer « ça »? du regard qui s’ensuit? des jugements? « Non Monsieur. Elles ont peur de lâcher prise, de donner le pouvoir à un mâle, d’égratigner leur orgueil de femelle, de… »
Elle n’avait tout à fait tort, la nanamouskouri, mais je lui ai quand même remis son baillon en bouche. J’avais aut’chose à faire que d’entendre parler des brattes, cette race en voie de multiplication comme les bébés phoques et les boutons d’acné sur un ado manquant de batteries pour sa manette…
Encore une autre
Au même moment, ça cogne à la fenêtre à grands coups de boum boum tchica-tchic.
J’aperçois une forme indistincte qui gesticule dans la pénombre. Il fait moins 200 degrés à l’extérieur. On se croirait à Aauchikwaachikanaaniusich à Noël. Qu’à cela ne tienne, j’ouvre à l’aide d’un cure-dent, non sans peine, la fenêtre emprisonnée dans la glace créée par la condensation et le manque de sel.
Après avoir secouée bien vigoureusement sa robe de latex enneigée, la nana (c’est une nana) me demande, dans la langue des signes, la permission d’enlever le voile de caoutchouc qui lui recouvre la bouche. Celle-ci a la forme d’un cul de poule bernache, comme les icelles qui déambulent le samedi après-midi en bordure du boulevard Lasalle, le long du fleuve.
Je souscris à sa demande.
– « Les brattes, Monsieur, c’est des filles qui ont peur… »
– « Ah non, pas une autre! »
– « Je le sais, Monsieur, je…! »
Je ne l’ai pas laissée continuer, j’ai refermé la fenêtre aussi sec. J’avais du frimas sur la mandibule, c’était pas le temps de niaiser. Surtout que les bernaches en mettent partout sur la piste cyclable, c’est franchement dégueulasse.
Quand la traduction fait « ichhhh »
Que veut dire être bratte dans un contexte BDSM?
Pour en avoir le coeur propre, j’insère le mot « brat » dans l’outil de traduction en ligne.
Celui-ci fait : « Ichhhh! » Comment ça, « ichhhh »?
Hu hum, je comprends vite sa réaction. Les traductions du mot « brat » nous font quitter les hauteurs de Vienne, pour les soubassements d’une école pré-maternelle ou un Centre de la Petite Enfance, on ne sait plus trop la dénomination…
gosse
kid, child, brat, lad, nipper, cub
l’enfant
child, baby, kid, infant, young, brat
môme
kid, brat, lad, chick, tyke, laddie
le moutard
brat
le galopin
urchin, brat, scamp, ragamuffin, monkey
Jouer avec une môme?
Bon. J’aime bien la moutarde et les muffins, j’ai toujours aimé grimper partout, et entre amis, on se surnomme les galopins. Mais je ne suis pas certain de vouloir jouer avec une môme. La dernière fois, je me suis pris un clou dans le pied en tentant de me sauver avec la corde à danser de la voisine. Quelques minutes plus tard, dans l’hospitalière enceinte du Children’s Hospital, j’ai appris l’existence du mot « tétanos ». Je n’avais quand même que 8 ans…
– « Tennekiou! »
Je m’en souviens comme si c’était demain.
Brat, brat, tout de même… c’est quoi? Apprendre à obéir en désobéissant? En se la jouant Abdallah aux mille grimaces? Drôle d’idée… Ça paraît que ces gens-là ne font pas de ski. Ils ne gaspilleraient pas autant leur énergie.
Jouer avec une môme (bis)
J’aime jouer avec ma soumise.
Pas que frapper, attacher, griffer, etc. Non. J’aime le jeu, rigoler, me moquer d’elle dans certaines situations… oh gentiment ou de manière plus mordante… Mon BDSM est taquin, rieur, effronté. Avant, pendant et après une interaction. On peut très bien être strict avec le sourire.
Et dans le même souffle lui faire dire « merci Monsieur… avec le sourire! »
Or, même quand elle me dit des énormités, notre jeu est sérieux. La personne devant mouah me confie son équilibre, sa sécurité, tout son être. Je prends donc mon rôle au sérieux.
Si elle boque à chaque fois que je lui fais une demande parce qu’elle a besoin de me faire savoir qu’elle a une haute opinion de sa soumission, qu’elle ne se donne pas facilement ou que sais-je, le drapeau orange sur fond noir déployé sur la piste est formel : c’est l’arrêt aux puits.
L’antithèse de la soumise
Richard Freiherr von Krafft-Ebing, psychiatre.
Une femme m’approche dans Fetlife. Elle me partage un lien vers un texte qui décrirait le genre de soumise qu’elle croit être. Après avoir lu quelques paragraphes sur la soumise de service, l’accroc à la douleur physique et la masochiste morale chère à Krafft-Ebing, « l’inventeur » des termes sadisme et masochisme, je tombe sur ceci :
« The brat is the antithesis of a good submissive. Not only do they not do what you want, they also don’t do what they want. They – ostensively- want you to have power over them. But don’t want to give it to you without a constant fight.
Adapté à la volée, ça donne ce qui suit :
« La bratte est l’antithèse de la soumise. Non seulement elle ne fait pas ce que vous voulez, mais elle ne fait pas non plus ce qu’elle veut. Elle aspire à ce que vous exerciez votre contrôle sur elle, mais pas avant une bonne bataille. »
Remarquez, que l’aspirante-soumise donne du fil à retordre à l’aspirant-dominant avant d’entrer en relation, au moment des négociations, c’est normal et même souhaitable. Quelques turbulences initiales ne peuvent que donner un bon aperçu des capacités de gestion de la personne dominante, au delà de ses déclarations et de ses postures.
La pire chose à faire
L’auteur poursuit :
« A brat wants to control what sort of energy or attention they get from you and when they get it. The worst thing you can do is play into their hand. Ultimately they will not be getting what they want and neither will you.
The only way to control a brat is to cut off their attention.
« La bratte veut contrôler ce qu’elle reçoit de vous et le moment où elle peut l’obtenir. Autrement dit, elle décide et vous amène à suivre. La pire chose à faire ici, c’est d’entrer dans son jeu parce qu’ultimement, vous n’obtiendrez pas ce que vous voulez et elle non plus. Le meilleur moyen de gérer une telle personne, c’est de lui retirer votre attention.
« If a submissive start getting bratty during a scene, I let them know that I have a special tool I use on brats that can be found in every room around the world: the door. Works for me. »
« Pour ma part, si la soumise adopte un tel comportement pendant une séance, je lui fais savoir que j’ai à ma disposition un outil très utile dans ces situations. C’est un outil que l’on retrouve partout : la porte. Ça fonctionne pour moi. »
Ça a toujours bien fonctionné pour moi aussi.
Ma soumission se mérite
– « Non, non, vous ne m’avez pas compris, Monsieur. Ma soumission, elle se mérite. »
– « J’espère bien, mademoiselle. Il en va de votre sécurité et de votre intégrité. Remarquez, la domination aussi se mérite. De là à en faire un combat de volontés, c’est un peu improductif : on va à l’encontre de ce dont on a envie. La soumission (et la domination), ce n’est pas une lutte afin de déterminer qui est le plus fort ou la plus forte. C’est un choix conscient, réfléchi. Je ne parle pas de la lutte en tant que jeu. »
Plus loin, j’ajoute : « C’est comme si, en cuisinant, il fallait se battre avec les ingrédients… »
Pendant que le souvenir de ce dialogue qui n’a rien d’imaginaire m’arrache un sourire mowgliesque, un bruit sourd provient du mur. Il s’apparente au murmure de quelqu’un qui porterait un baillon jusqu’au triple menton. Le sourire au bec, je donne un taka-tou-katataka (un coup de pied droit les orteils renversés) dans le mur qui se fend. Crac!
Je la vois aussitôt. Elle profite de la cohue particulaire pour se présenter à mouah de manière perpendiculaire. Elle me regarde, effarée, effarouchée, la chevelure blanchie par le gyproc de Gibraltar. Je lui retire son ravioli, non sans lui signifier : « Chutttt! Je veux pas entendre parler de vos salades niçoises. Mouah, je mange mes anchois avec une cuillère de bouah. »
– « Monsieur, j’ai peur… »
« J’espère bien que tu as peur, ma chérie. Il est très légitime d’avoir peur. C’est bon signe. Le contraire serait même inquiétant. Par contre, cette peur ne doit pas nous servir de guidon, sinon, elle va te/nous paralyser. On ne sera jamais en mesure de faire plus de trois pas sans se prendre une crevaison. »
Il faut me dominer
– « Noooooon, Monsieur. Vous n’avez pas compris! Moi, je ne me soumets pas, il faut me dominer. »
– « Aaaaah oui, d’accord! Vous, ça vous prend un alphaplusdomseigneurgénéralmasterwolfboss qui a toujours raison. Ah ok. »
Et César faisait comment alors pour savoir jusqu’où aller avec ses troupes, il jouait aux devinettes? Il scrutait le vol des corbeaux à la recherche d’un oracle concluant? Il demandait la permission à chaque pas qu’il faisait?
Non.
Au même moment, le plafond craque, il en tombe un bout de papier sur lequel est écrit…
« Brat : Dénomination pour une personne soumise particulièrement rebelle. Elle va remettre en question les ordres de son Maître ou sa Maîtresse, et ne va s’y soumettre qu’après d’âpres négociations ou affrontements. »
Remettre en question les ordres de son Maître? Sauf demande hurluberlue, ce travail de (re)mise en question se fait en amont ou en aval, pas pendant.
La peur de soi
Peur? C’est bien, la peur. C’est le début de… Blague à part, peur de quoi, à part des connardes et des connards (soyons inclusives)? Peur d’aller à la rencontre de soi-même?
Ahhhhh, vous avez peur de ME rencontrer?
Nahhhh, je vous crois pas pantoute. Vous avez bien plus peur de vous que de mouah, même si… D’ailleurs, si ça se trouve, les plus belles rencontres se sont faites avec des personnes qui avaient justement peur de…
Non non, pas des rencontres à la Stephen King ou de de de De Palma. Non, c’est pas tellement mon genre. Mouah, je suis plutôt du style Bugs Bunny (« what’s up sub? ») ascendant Gainsbarre (« Ouvre-toi… »); plus du genre à partir avec la femme du boulanger et un sac de carottes polaires en vue d’aller goûter le bouleversement quantique quelque part dans les monts Chic-Chocs…
La sortir d’elle-même
Et là, en la possédant, c’est-à-dire en la sortant d’elle-même, il se peut qu’elle « régresse », la pitoune. La quarantenaire mûre a soudainement 8 ans. Ou 9, 10? Elle redevient la petite fille qu’elle est encore somewhere over the rainbow. Elle se sent bien, enveloppée, rassurée, même (et surtout) après s’être fait bardassée le cul avec ardeur et tendresse…
Tout ça sur une petite musique de nuit du céleste chérubin? Que nenni. Un air furieux de Rage Against the Machine accompagne cette bonne fessée chargée, gorgée, égorgée comme une vierge sur l’autel de mes pharaoniques liturgies! Que surgissent des corps ces liqueurs bouillantes jusqu’à l’épouvante, en passant par les gorges de Coaticook.
Il faudra bien revenir un jour sur le fait qu’à l’apparition de cette petite fille, surgit aussi un p’tit gars. Ou l’inverse, va savoir.
Celui qui le dit c’est celui qui l’est (ou celle)
La soumise du début, finalement, elle ne parlait pas des brattes, elle parlait d’elle-même…
C’est elle qui avait peur. La belle projection. Enfin, belle…
L’article « Les brattes, c’est des filles qui ont peur! » est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.