On m’a posé la question, « Il représente quoi, Jean-Jacques Pauvert, pour toi ? ».
Réponse en forme d’hommage, à Pauvert mais aussi à Régine Deforges, morte il y a quelques mois.
Vous étiez de sacrés hurluberlus. Vous manquerez au monde.
Je sais ce que je vous dois. Je me dois de l’écrire.
Jean-Jacques,
Samedi 27 septembre 2014. Jean-Jacques Pauvert meurt. Il a quatre-vingt-huit ans. Peut-être il se souvient, au moment de partir. Je ne sais pas à quoi on pense quand on s’en va. Il avait quatre-vingt-huit ans, j’en ai vingt-trois. Il était éditeur, je ne suis presque rien. Je suis vivante, il est mort. Je ne l’ai jamais rencontré. Pourtant, je l’ai croisé le long de mes chemins de littérature. Il était éditeur, j’ai lu ses livres.
Merci, Monsieur.
Peut-être qu’il se souvient, du jour où il décida de publier l’œuvre intégrale de Sade, non épurée de ses morceaux les plus « monstrueux », sous son vrai nom, envers et contre tout et tous. Du chemin de croix, de procès en procès, dix ans de poursuites judiciaires. De la censure féroce, avide de le bâillonner. Elle dérangeait, la parole de Jean-Jacques Pauvert. Entachait le paysage littéraire. Il avait paraît-il une petite voix chantante, mais qu’il fallait faire taire.
Peut-être il se souvient de son ami Jean Paulhan fébrile, qui lui remet le manuscrit de Pauline Réage. Et de la nuit passée à dévorer Histoire d’O (voir Histoire d’O, un roman antiféministe, vraiment ?). Jean-Jacques Pauvert a vingt-sept ans, et publie le roman subversif de la jeune écrivaine. Envers et contre tout et tous.
Sûrement, il emporte ses lectures amoureuses. Pas fou, Pauvert, il prend de quoi s’occuper.
Peut-être il se souvient, de sa rencontre avec Régine Deforges. L’avoir aimée, l’avoir fait jouir, l’avoir encouragée à monter sa maison d’édition, L’Or du Temps. Régine Deforges est morte le 3 avril 2014.
Ça promet d’être sympa, là-haut.
Régine,
Régine aussi, c’était quelque chose. La première éditrice française, et éditrice de cul, s’il-vous-plaît ! Régine Deforges publie des livres « pour les gens qui ont envie de bander en les lisant ». Elle en écrit, d’ailleurs :
Ce fut Dominique qui interrompit leur rêverie en se glissant à terre entre les jambes de Léone. Sa langue chaude et habile acheva de la sortir de son agréable torpeur. Elle grogna en maintenant fortement la tête du garçon contre son ventre. De sa main libre elle chercha le sexe de Gérard qui sous ses doigts se réveilla. À genoux sur la couchette, il approcha son sexe de la bouche de Léone qui le lécha à petits coups comme un chaton lapant du lait. Dominique la fit glisser de la couchette et, la soulevant, l’enfonça sur son membre. Gérard, déçu, se caressait doucement. Ils jouirent tous les trois en même temps. (Lola et quelques autres)
Son érotisme est foisonnant, ludique, joyeux la plupart du temps : ses récits donnent à voir un trouble érotique contagieux, qui se propage au lecteur. Son écriture est celle des sens, des sensations, du refus des tabous, sincère et lucide sans être vulgairement crue, célébrant l’union des corps, de tous les corps (jeunes ou vieux, gracieux ou pas, hommes et femmes), dans un plaisir partagé. Le style est juste, sans fioritures. Son érotisme est universel. Dans ses écrits, l’érotisme est un remède, une solution plutôt qu’un problème, un instrument de (ré)conciliation sociale, un moyen de maintenir le lien et l’harmonie entre les individus, dont il faut user et abuser (elle-même regrette, à presque quatre-vingts ans, de ne pas avoir eu assez d’amants) : la sexualité n’est pas le problème des problèmes, mais la solution.
Régine Deforges est libre et revendique, pour tous et toutes, le droit de s’épanouir sexuellement, et, pourquoi pas, de le clamer…
À méditer.
Merci, au-revoir
Ça vous paraît banal, en 2014 ? Ça ne l’était pas hier. Dix ans de procès, pour l’éditeur de Sade, tout de même. Et l’interdiction d’Histoire d’O dès sa parution. À Régine Deforges, on jure que tous les bouquins qu’elle publiera seront interdits. En 1973, on l’accuse de publier des ouvrages « se résumant en une longue apologie de la perversion ». 10 000 F d’amende. Privée de ses droits civiques pour plusieurs années. « Pourquoi une jeune femme comme vous publie-t-elle de telles saletés ? » lui demande-t-on. Elle s’obstine.
Ça peut vous paraître banal, en 2014. Les évidences d’aujourd’hui occultent les combats d’hier.
Hier, le sexe était censuré au nom de la morale. Jean-Jacques Pauvert et Régine Deforges se sont battus, et même si « ça tourne encore autour du trou d’balle c’t’histoire », il faut s’en souvenir. Dire merci, au-revoir.
Sans la littérature érotique, la Littérature est incomplète. Sans le droit de publier de la littérature érotique, la liberté d’expression n’est qu’un vague concept.
Alors Monsieur Pauvert, Madame Deforges, merci, au-revoir.
On s’occupe du reste.
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