Si le mouvement drag king a débuté dans les années 1990 aux Etats-Unis, il commence seulement à se populariser. Longtemps présent dans le seul milieu lesbien et méconnu au sein même de la communauté LGBT, le drag king est pourtant un personnage intéressant, qui gagne du terrain ces dernières années. «Je pense que c’est une pratique particulièrement subversive», note Louise de Ville, comédienne et performeuse qui a animé l’atelier drag king lors de la dernière édition du festival Everybody’s Perfect, à Genève. «Le King désacralise la masculinité et ça, surtout si c’est pour faire rire, c’est toujours perçu comme un peu choquant.»
Pour les kings eux-mêmes, cela peut être un pas à franchir. «Dans les ateliers, certaines femmes s’interdisent d’abord cette dérision envers les clichés masculins», remarque Louise, qui a animé de nombreux ateliers. Ejaculation de crème chantilly, mort ramené à la vie par la fellation de sa veuve, macho: elle ne s’interdit rien et joue avec les caricatures. Sonia Rickli, membre du Swiss Drag King Show, constate: «C’est plus difficile pour une femme d’aller dans l’excès».
Barbes naissantes
Louise de Ville a débuté dans le théâtre classique et s’est vite emparée des thématiques féministes et de genre. Elle met en scène et écrit des pièces féministes (dont l’hilarant monologue «Betty Speaks») et devient aussi artiste de cabaret burlesque. Elle se lance dans le drag king, toujours portée par son exploration du genre et du spectacle. «Le cabaret offre un accès plus populaire que le théâtre. Cela permet aussi au performeur de maîtriser tout le projet: costume, mise en scène, musique, etc… »
Pour le Swiss Drag King Show, le projet se monte par hasard, quand une connaissance demande de faire une animation king lors d’une soirée. «Avant cela, je ne m’étais pas vraiment intéressée à la question. Le but a tout d’abord été de monter un show qui nous plaise au niveau visuel, musical. Je partais sans références, ce qui nous a laissées libres de nous amuser», note Sonia Rickli.
Étendards
Mais quelle est la fonction du drag king, pour ces artistes? Le personnage même du king, burlesque et caricatural, permet la critique, comme le bouffon. Pour Louise de Ville, le drag king s’inscrit dans la droite ligne de sa réflexion féministe du genre. Et c’est justement parce que le spectacle est burlesque, drôle, parfois flirtant avec le scandaleux et toujours politiquement incorrect qu’il est intéressant et constructif. «Il faut encourager les femmes a apprivoiser le masculin, et vice versa», selon la performeuse. Sa pratique du king lui a aussi permis en dehors de la scène de se défaire des pressions et des normes: «De par mes convictions féministes, je n’étais pas toujours très à l’aise avec l’expression de ma féminité. Jouer avec les codes du masculin m’a aidée à jouer avec ceux de la féminité.»
«Jouer avec les codes du masculin m’a aidé à jouer avec ceux de la féminité»
Sonia Rickli, quant à elle, n’inscrit pas sa pratique dans un militantisme, mais y voit l’occasion de «s’amuser et amuser les autres. Je ne suis pas dans une critique sociale.» Le travestissement offre à l’artiste les possibilités d’explorer des univers: «En king, j’endosse une identité totalement éloignée de la mienne et je me permets de faire des choses que je ne ferais jamais! Jouer en king c’est jouer avec une partie de soi qui peut faire ça.»
Quelle qu’en soit la vision qu’on en ait, le drag king est un personnage cathartique qui, de par son statut «ni homme ni femme», mais incarnation symbolique d’une masculinité burlesque, permet de dédramatiser et de désacraliser le genre. Louise de Ville de conclure: «Je souhaite à tous le monde de se permettre souplesse et joie de vivre le genre!»
«Jouer avec les codes du masculin m’a aidé à jouer avec ceux de la féminité»