Diogène cherchait un Homme.
Je cherche une femme que Diogène qualifierait d'Homme.
Demain j'ai rendez vous avec une athénienne,
je viendrais au rendez vous avec une lampe à huile et comme Diogène je lui dirai que je cherche un Homme.
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Diogène cherchait un Homme.
Je cherche une femme que Diogène qualifierait d'Homme.
Demain j'ai rendez vous avec une athénienne,
je viendrais au rendez vous avec une lampe à huile et comme Diogène je lui dirai que je cherche un Homme.
Oasis de vice au milieu du désert, Las Vegas a accueilli le 25 janvier dernier la 37e édition des AVN Awards, cérémonie de récompenses du porno mainstream américain et de la cam (si peu). La météo n’était pas très chaude ce soir-là, les robes transparentes convenaient à peine à la température passée sous les 10°C dans la soirée. Heureusement, l’intérieur du Hard Rock Hotel & Casino est chauffé. Les figures en vogue défilaient sur le tapis rouge, les badauds agrippés aux machines à sous n’ont pas dû être très attentifs à leur gain, distraits par le ballet de vedettes pour esthètes de cet art mineur et pourchassé par la censure.
Dans les travées de la grande salle, sur les chaises devant la scène où grimperont les élu·es, les personnalités s’embrassent, se serrent la pince, se saluent de loin. Il y a des invités que certaines sont étonnées d’apercevoir après des accusations d’agressions sexuelles, mais au moins Ron Jeremy n’est pas là. Il n’aura donc tripoté personne pendant la convention précédant la cérémonie.
Les hot hosts de la cérémonie (photo par Rick Garcia pour AVN)Les écrans géants sont allumés, le stream disponible sur le site AVN fonctionne, la cérémonie peut commencer. Elle est présentée par Emily Bloom et Nikki Benz. Cette dernière devait être ravie de voir Ramon Nomar gagner un prix plus tard dans la soirée, lui qui l’avait attaquée en diffamation après des accusations de violence lors d’un tournage en 2016. La grande famille du porno oublie vite.
Difficile de savoir comment est décidée l’attribution des trophées, idem pour les nominations. L’opacité règne. Cependant, il est sûr que ce sont toujours les mêmes studios qui les remportent. En même temps, cette cérémonie s’adresse au milieu californien, aux habitants de la Porn Valley. On retrouve principalement et de nombreuses fois Gamma Films (Adult Time, Girlsway et tout ce qui est dirigé par Bree Mills), Jules Jordan, les sites Vixen Media et Evil Angel. Les studios sous l’égide de Mindgeek sont sous-représentés. Brazzers n’arrête cependant pas de signer des contract stars et se positionne premier studio en termes de fréquentation dans le classement mondial des sites adultes les plus populaires. Avec cette prédominance des compagnies n’appartenant pas à la grosse firme internationale, peut-on y lire entre les lignes une volonté de résistance, ou simplement un désintérêt de MG pour ces cérémonies (ils ne sont également pas très présents dans le palmarès des XBiz Awards 2020) ? Favorisent-ils les Pornhub Awards ? La question trouvera sans doute une réponse dans un avenir proche.
Pas mal cette édition adulte des Prodiges sur France 2 (l’équipe de Teenage Lesbian par Rick Garcia pour AVN)En attendant, passons en revue les récompenses. Avec 16 prix, la plateforme Adult Time, vrai Netflix pour adultes, remporte la cérémonie. Leurs créations originales, dirigées par Bree Mills, valent le détour. Ce sont de vrais films avec du sexe. La rédaction aime et plussoie le titre de meilleur film de l’année pour Teenage Lesbian. Mills retrace son parcours de lesbienne dans les années 90 d’une manière très touchante et formidablement interprétée par Kristen Scott. Le film Perspective tire aussi son épingle du fap avec plusieurs récompenses. Il s’agit d’un thriller psychologique et sexuel tourmenté qui ne laisse pas le spectateur indifférent. Tournée en 8 jours pour 100 000 dollars, cette réalisation a rencontré la reconnaissance du public et du milieu.
Thank you @avnawards for the 16 awards including movie of the year for "Teenage Lesbian" and thank you to all the talent that made this possible! We are so happy to celebrate these successes with you all! pic.twitter.com/qBHkRfIbO0
— Adult Time (@Adulttimecom) January 27, 2020
Gamma Films derrière Adult Time a également récolté la Best Niche Series avec Shape of Beauty, la Best Transgender Series et meilleure production transgenre avec Transfixed.
We are SO PROUD to be the winner of AVN 2020's Best Niche Series or Channel. We cannot thank our beautiful cast and crew enough for all the incredible work they did on this project pic.twitter.com/vXGhkjwxUt
— Shape of Beauty (@ShapeofBeautyX) January 28, 2020
Autre studio sous leur houlette, Burning Angel qui gagne le Best Action/Thriller avec le film Three Cheers for Satan, où Small Hands incarne le diable. Le mari de Joanna Angel, la cheffe du studio, remportera également le titre de Male Performer of the Year. Consécration d’une carrière.
Small Hands heureux à son cours de yoga avant la salutation au soleil (photo par Rick Garcia pour AVN)Thank you @AVNMediaNetwork and @XBIZ for your recognition this year for Three Cheers for Satan!! pic.twitter.com/PJ4OwagrRs
— BurningAngel.com (@BurningAngel) January 28, 2020
Quel travail de l’équipe derrière Bree Mills ! Si les patrons de Gamma Films se font discrets, la figure publique qu’elle incarne réussit son projet en proposant un porno audacieux avec moins de male gaze et davantage de performance de jeu, d’émotion et d’intensité. Pourtant, il est regrettable qu’elle travaille avec des réalisateurs accusés d’agressions sur des productions purement lesbiennes, comme Stills by Alan, qui fut renvoyé quelques jours après après sa dénonciation sur Twitter. Ce garçon, désormais nommé Alan X, fut embauché quelque temps plus tard par Jules Jordan.
La transition est donc faite pour présenter les 12 trophées reçus par Jules Jordan. L’entrepreneur/performeur/réalisateur/producteur, au-delà d’être le dernier bastion d’une certaine culture gonzo clichée, a collaboré avec la divine Angela White pour gagner 5 prix avec Dark Side. Un enchaînement de scènes dont un blowbang et un gangbang d’anthologie. Il y a même une triple pénétration.
Epic night at the @avnawards we won 12 awards, 5 of which were for “Angela White: Dark Side” I’d like to thank @ANGELAWHITE @manuelferrara @AmateurAllure @autumnfallsxoxo @MarkusDupree @Karma_Rx @AVNMediaNetwork pic.twitter.com/4OdKuFmSW1
— Jules Jordan (@JulesJordan) January 27, 2020
En tout, Angela White a remporté 12 titres sur les diverses productions où elle a excellé. Comme l’année précédente, elle domine ses collègues par son palmarès. Elle est désignée Most Spectacular Boobs et Female Performer of the Year pour la troisième année consécutive, le reste n’est que broutilles. Quelle carrière !
Angela White clairement en train de donner la réponse aux candidats d’Intervilles (photo par Kogafoto pour AVN)L’Australienne se retrouve au casting de Drive du studio Deeper, à la tête duquel Kayden Kross impose, comme Bree Mills, sa vision personnelle du porno. Rachetée par Vixen Media, que le célèbre Greg Lansky vient d’abandonner pour se lancer dans la weed, la suite de TrenchcoatX se démarque par un luxe sulfureux et du sexe psychologique à travers des scènes intenses. Elle ramène 12 coupes à la maison. Son Français de mari fait pâle figure avec trois étoiles sur le maillot (non, en vrai il a remporté des statuettes aussi, quatre même).
Kayden Kross avec la larme à l’œil (photo par Rick Garcia pour AVN)D’ailleurs Maitland Ward, la contract star du studio, a remporté trois distinctions, dont Best Supporting Actress. Pas mal pour une star de la télé (inconnue en France) reconvertie dans le porno.
What a night @avnawards for @deeper_official @Kayden_Kross @VIXEN! So proud to be the face of such a groundbreaking iconic brand with such a phenomenal visionary filmmaker. I’m so proud of what Kayden and I have done and so excited for the future! Thank you so much AVN! pic.twitter.com/RyglUOFOpU
— Maitland Ward Baxter (@MaitlandWard) January 26, 2020
Encore une fois, les films pornos gagnants tentent de se rapprocher d’une cinématographie traditionnelle. D’ailleurs, Deeper est récompensé de nombreux prix techniques, comme la direction artistique, la photographie, le montage et la réalisation. Le gonzo a connu ses plus belles années, bye bye.
Le reste des sites Vixen Media n’ont pas vraiment brillé comme les années précédentes. De plus en plus de voix s’élèvent contre Blacked et la stigmatisation des performeurs noirs. Lansky se barre. Mais ils gagnent avec Tushy et Vixen sept récompenses.
Adriana Chechik très chic, la rencontre de Paco Rabanne et Jean-Paul Gautier. Shy’m veut la même pour les NRJ Music Awards (photo par Rick Garcia pour AVN)Maintenant que les puissants ont bien été présentés, passons aux personnalités plus modestes. Gianna Dior adore être la meilleure nouvelle starlette. Liya Silver gagne la version étrangère de ce titre. Charlotte Stokely est la performeuse de l’année au rayon 100 % filles. Danny D est le meilleur performeur étranger pour la deuxième fois de sa carrière. Caprice, plus si petite, est son équivalent féminin. Alexis Fawx règne sur les MILFs. Lance Hart reçoit le performeur de niche, tandis que Natalie Mars est la performeuse transgenre de l’année (en attendant que cette catégorie disparaisse pour inclure toutes les femmes sous la même catégorie, Geneviève de Fontenay en PLS).
Thanks @avnawards!!!
— 𝙻𝙰𝙽𝙲𝙴 𝙷𝙰𝚁𝚃 (@lancehartfetish) January 26, 2020
Also thanks @TheRubPR pic.twitter.com/8vZXIw2iGD
L’iconique Tommy Pistol, aka The Cook, remporte deux prix pour son jeu d’acteur. Chanel Santini, Aubrey Kate sont aussi distinguées. Adriana Chechik se démarque par son habilité orale. Le fabuleux Wolf Hudson et Misty Stone gagnent un prix pour la Best Non-Sex Performance.
Comme chaque année depuis 10 ans, Axel Braun de chez Wicked remporte la meilleure parodie, cinq trophées au total. Cette fois, c’est avec Captain Marvel XXX. Un film à voir sans doute, beaucoup disent que ses réalisations surpassent les originaux et se révèlent plus fidèles aux comics pour les Marvel. Les g33ks aiment le porn.
Pour les prix du public, les noms de Angela White, Natalie Mars, Maitland Ward reviennent. Ils sont accompagnés par Autumn Falls (débutante), Ava Adams (MILF), Violet Doll (Favorite Domme), Johnny Sins, Emily Bloom (Cam Girl) et Sofia Rose (BBW Star). Et le seul prix d’Abella Danger sera le Most Epic Ass. Une évidence !
PNL a lâché un like ah oué oué oué (photo par Rick Garcia pour AVN)Voilà pour les AVN Awards 2020. La liste complète se trouve sur leur site, si vous voulez revoir tout en détail. Vous pouvez lire également un compte-rendu détaillé de la cérémonie, par quelqu’un qui y assistait en personne. Une soirée sans trop de drama et personne en garde à vue. AVN ignore toujours la cam, malgré des prix du public, les plateformes de clips, les fétiches, le BDSM (Kink a gagné un seul prix). Ne parlons pas des amateurs de Pornhub évidemment. Ils restent entre eux, bien au chaud dans le Hard Rock Hotel & Casino à se congratuler de vendre des DVDs et à accepter des personnes pourtant répréhensibles dans leurs rangs. Par exemple, que faisait Max Hardcore parmi les invités ?
Cependant, les femmes réalisatrices et productrices ont été mises à l’honneur. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
À l’année prochaine ! (Natalie Mars par Rick Garcia pour AVN)Petit mot sur les GayVN Awards. La cérémonie a eu lieu le 20 janvier, toujours au Hard Rock. On y retrouve des noms connus, comme Natalie Mars dans une scène bi avec Ella Nova, Ricky Larkin et Wesley Woods. Cade Maddox est le meilleur performeur, tandis que DeAngelo Jackson est le meilleur acteur. Comme meilleurs réalisateurs, Jake Jaxson et RJ Sebastian brillent pour Le Garçon Scandaleux chez CockyBoys et distribué par Pink TV. Nous attendons d’ailleurs le compte-rendu plus complet et expert sur leur site. Naked Sword gagne la meilleure scène de groupe, sous doute une belle bataille d’épées à la The Witcher, et Kink la meilleure scène fétichiste. Pour savoir qui a été désigné par les fans Favorite Daddy, Twink, Bear, Bottom, FTM Star, Butt, etc., nous vous invitons à lire directement la liste. Vous remarquerez que les catégories ne différencient pas les personnes par leur couleur de peau. Ce serait donc possible ?
Image de une : Angela White aux anges
«Les chirurgiens esthétiques auraient‑ils pris la place des couturiers d’antan, vendant bouches ou nez à des femmes fourvoyées ?» Dans “Les Embarras du féminin”, Cristina Lindenmeyer affirme que l’hystérie est loin d’avoir disparu. Elle a juste fait un lifting.
«Son visage est lisse, ses pommettes, légèrement remontées. Sa bouche protubérante, ses dents d’une blancheur excessive attirent mon attention. À la regarder de plus près, je remarque l’absence de toute ride d’expression. Cette femme, assise devant moi, se lève, et alors je suis surprise de voir son dos voûté. Je suis prise par un sentiment de trouble !» La première fois qu’elle reçoit V** dans son cabinet, la psychanalyste Cristina Lindenmeyer est frappée par l’allure «trafiquée» de sa patiente. Qu’y a-t-il derrière ce masque de peau liposucée ? Une banale histoire de petite fille qui se pense laide ou décevante ? Non. Une hystérie. L’hypothèse peut sembler ahurissante.
Officiellement, l’hystérie n’existe plus
Cela fait longtemps que l’hystérie a officiellement disparu de la typologie des troubles mentaux. Eliminée du Manuel international de santé mentale (rest) dans les années 1970, l’hystérie reste fortement associée à l’image de femmes demi-nues, échevelées, dont les crises de convulsion attirent des foules de voyeurs excités. Les hystériques du XIXe siècle font figure de frustrées qui refoulent leurs désirs et miment le coït sous couvert de convulsions. Il semblait naturel que ces femmes disparaissent en même temps que le puritanisme de cette lointaine ère victorienne… Qui pourrait croire qu’à notre époque – marquée par les plans culs et l’idéal du «droit à l’orgasme» – il existerait encore des femmes hystériques ?
«Comment je vais faire sans mes implants ?»
Cela peut paraître aberrant et pourtant. Cristina Lindenmeyer affirme que cette maladie non seulement n’a pas disparu mais s’est considérablement banalisée. Elle en veut pour preuve la multiplication des «demandes de chirurgie esthétique, souvent formulées par des femmes» qui s’offrent un lifting plutôt que de se confronter à leurs problèmes d’ego ou de psyche. V**, par exemple, vient la voir avec une question : «Comment je vais faire sans ces implants ?» Un médecin lui a expliqué qu’ils étaient défectueux. Il faut les retirer. Pour V**, cette perspective est insupportable : «Sans elles, je ne suis rien». Cristina Lindenmeyer est attérée. Faut-il à ce point douter de soi pour ainsi «s’engager dans les voies d’une “hyperféminité” de façade» ? Et tout cela avec la bénédiction des chirurgiens?
L’hystérique : une femme qui fait son show
Pour Cristina Lindenmeyer, l’hystérique est avant tout une femme qui se sert de son corps comme d’une scène de théâtre. Il s’agit d’attirer l’attention. Dans quel but ? Pour faire diversion. La stratégie de l’hystérique est par essence contradictoire : attirer les regards (sur sa bouche siliconée) pour détourner l’attention (de son malaise). Elle fait de son anatomie une mise en scène tapageuse qui à la fois exprime et dissimule «les conflits inconscients les plus variables.»
L’hystérique : hyper-érotique en apparence
Citant la psychanalyste Jacqueline Schaeffer, qui utilise la formule du «rubis qui a horreur du rouge», Cristina Lindenmeyer explique : le rouge est la couleur que le rubis exhibe, en même temps qu’il absorbe toutes les couleurs du prisme. Telle est la nature paradoxale de l’hystérique qui «s’exprime corporellement avec un comportement séducteur très érotisé en même temps que sa sexualité génitale est contre‑investie et cliniquement marquée par la frigidité et l’inhibition. Ainsi, elle brouille les pistes et le plaisir de séduire prévaut au détriment du plaisir génital.» Insistant sur l’«étonnant contraste entre cette inflation d’artifices féminins employés et le désert libidinal qui affecte son être», Cristina Lindenmeyer décrit l’hystérie comme un refus du féminin manifesté par une surabondance de signaux empruntés aux canons de la bombe standard : gros seins et bouche pulpeuse.
Paraître au point de… disparaître
«En définitive, les artifices féminins déployés pour tromper l’autre la protègent (de sa difficulté) d’être une femme. C’est ici précisément que l’offre sociale, et particulièrement celle de la société de consommation qui est la nôtre, profitant de cette configuration narcissique et de son sentiment d’incertitude, retient l’hystérique emprisonnée dans ses rets. Ce symptôme en phase avec la société actuelle lui permet de rester au niveau du paraître et de faire l’impasse sur l’être», conclut Cristina Lindenmeyer, non sans critiquer le recours aux transformations esthétiques «de comblement» (antirides) ou «d’augmentation» (mammaire, mais également technologiques et biotechnologies, thèmes aussi développés dans son livre) comme une nouvelle modalité de la gestion de l’angoisse. Une gestion hystérique donc puisqu’elle évacue sa détresse en «sauvant» les apparences.
Innovation et aliénation, scientificité et illusion
Dans cet ouvrage qui traite non seulement des chirurgies plastiques, des prothèses de jambe ou des reconstructions du sein, Cristina Lindenmeyer questionne la logique inconsciente de «réparation» du corps à travers quatre destins de femmes marqués par l’épreuve : cancer, anorexie, mutilation, enfant malformé… L’offre technoscientifique comme réponse à ces épreuves n’est pas la solution, dit-elle, parce qu’elle réduit l’humain à n’être que le support de ses maladies, et son corps à n’être qu’une machine défectueuse. Il y aurait d’un côté le «désordre» et de l’autre la «guérison conçue comme le retour à l’ordre». Mais quel ordre ? Celui d’un monde matérialiste, qui juge les individus à l’aune de leur productivité.
L’origine du mal
Citant Georges Canguilhem, qui dénonce le concept de «guérison» comme «fin d’une perturbation et retour à l’ordre antérieur, ainsi qu’en témoignent tous les termes à préfixe “re” qui servent à décrire le processus : restaurer, restituer, rétablir, reconstituer, récupérer, recouvrer», Cristina Lindenmeyer attire l’attention des médecins devenus si «complaisants » avec l’ordre social et pour qui le «retour à l’ordre, donc à la guérison, telle qu’elle se fonde sur le modèle social, renvoie en médecine à un modèle devant garantir l’illusion d’un état antérieur de stabilité. Autrement dit à cette illusion s’ajoute l’idée de retour au point d’origine, là où le mal a commencé à se développer.» Au-delà du bien et du mal, Cristina Lindenmeyer invite à s’interroger. Et si nos souffrances psychique étaient également le début du commencement ?
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A LIRE : Les Embarras du féminin, de Cristina Lindenmeyer, postface de Jean-Michel Besnier, éd. PUF/Humensis, oct. 2019.
«Les chirurgiens esthétiques auraient‑ils pris la place des couturiers d’antan, vendant bouches ou nez à des femmes fourvoyées ?» Dans “Les Embarras du féminin”, Cristina Lindenmeyer affirme que l’hystérie est loin d’avoir disparu. Elle a juste fait un lifting.
«Son visage est lisse, ses pommettes, légèrement remontées. Sa bouche protubérante, ses dents d’une blancheur excessive attirent mon attention. À la regarder de plus près, je remarque l’absence de toute ride d’expression. Cette femme, assise devant moi, se lève, et alors je suis surprise de voir son dos voûté. Je suis prise par un sentiment de trouble !» La première fois qu’elle reçoit V** dans son cabinet, la psychanalyste Cristina Lindenmeyer est frappée par l’allure «trafiquée» de sa patiente. Qu’y a-t-il derrière ce masque de peau liposucée ? Une banale histoire de petite fille qui se pense laide ou décevante ? Non. Une hystérie. L’hypothèse peut sembler ahurissante.
Officiellement, l’hystérie n’existe plus
Cela fait longtemps que l’hystérie a officiellement disparu de la typologie des troubles mentaux. Eliminée du Manuel international de santé mentale (rest) dans les années 1970, l’hystérie reste fortement associée à l’image de femmes demi-nues, échevelées, dont les crises de convulsion attirent des foules de voyeurs excités. Les hystériques du XIXe siècle font figure de frustrées qui refoulent leurs désirs et miment le coït sous couvert de convulsions. Il semblait naturel que ces femmes disparaissent en même temps que le puritanisme de cette lointaine ère victorienne… Qui pourrait croire qu’à notre époque – marquée par les plans culs et l’idéal du «droit à l’orgasme» – il existerait encore des femmes hystériques ?
«Comment je vais faire sans mes implants ?»
Cela peut paraître aberrant et pourtant. Cristina Lindenmeyer affirme que cette maladie non seulement n’a pas disparu mais s’est considérablement banalisée. Elle en veut pour preuve la multiplication des «demandes de chirurgie esthétique, souvent formulées par des femmes» qui s’offrent un lifting plutôt que de se confronter à leurs problèmes d’ego ou de psyche. V**, par exemple, vient la voir avec une question : «Comment je vais faire sans ces implants ?» Un médecin lui a expliqué qu’ils étaient défectueux. Il faut les retirer. Pour V**, cette perspective est insupportable : «Sans elles, je ne suis rien». Cristina Lindenmeyer est attérée. Faut-il à ce point douter de soi pour ainsi «s’engager dans les voies d’une “hyperféminité” de façade» ? Et tout cela avec la bénédiction des chirurgiens?
L’hystérique : une femme qui fait son show
Pour Cristina Lindenmeyer, l’hystérique est avant tout une femme qui se sert de son corps comme d’une scène de théâtre. Il s’agit d’attirer l’attention. Dans quel but ? Pour faire diversion. La stratégie de l’hystérique est par essence contradictoire : attirer les regards (sur sa bouche siliconée) pour détourner l’attention (de son malaise). Elle fait de son anatomie une mise en scène tapageuse qui à la fois exprime et dissimule «les conflits inconscients les plus variables.»
L’hystérique : hyper-érotique en apparence
Citant la psychanalyste Jacqueline Schaeffer, qui utilise la formule du «rubis qui a horreur du rouge», Cristina Lindenmeyer explique : le rouge est la couleur que le rubis exhibe, en même temps qu’il absorbe toutes les couleurs du prisme. Telle est la nature paradoxale de l’hystérique qui «s’exprime corporellement avec un comportement séducteur très érotisé en même temps que sa sexualité génitale est contre‑investie et cliniquement marquée par la frigidité et l’inhibition. Ainsi, elle brouille les pistes et le plaisir de séduire prévaut au détriment du plaisir génital.» Insistant sur l’«étonnant contraste entre cette inflation d’artifices féminins employés et le désert libidinal qui affecte son être», Cristina Lindenmeyer décrit l’hystérie comme un refus du féminin manifesté par une surabondance de signaux empruntés aux canons de la bombe standard : gros seins et bouche pulpeuse.
Paraître au point de… disparaître
«En définitive, les artifices féminins déployés pour tromper l’autre la protègent (de sa difficulté) d’être une femme. C’est ici précisément que l’offre sociale, et particulièrement celle de la société de consommation qui est la nôtre, profitant de cette configuration narcissique et de son sentiment d’incertitude, retient l’hystérique emprisonnée dans ses rets. Ce symptôme en phase avec la société actuelle lui permet de rester au niveau du paraître et de faire l’impasse sur l’être», conclut Cristina Lindenmeyer, non sans critiquer le recours aux transformations esthétiques «de comblement» (antirides) ou «d’augmentation» (mammaire, mais également technologiques et biotechnologies, thèmes aussi développés dans son livre) comme une nouvelle modalité de la gestion de l’angoisse. Une gestion hystérique donc puisqu’elle évacue sa détresse en «sauvant» les apparences.
Innovation et aliénation, scientificité et illusion
Dans cet ouvrage qui traite non seulement des chirurgies plastiques, des prothèses de jambe ou des reconstructions du sein, Cristina Lindenmeyer questionne la logique inconsciente de «réparation» du corps à travers quatre destins de femmes marqués par l’épreuve : cancer, anorexie, mutilation, enfant malformé… L’offre technoscientifique comme réponse à ces épreuves n’est pas la solution, dit-elle, parce qu’elle réduit l’humain à n’être que le support de ses maladies, et son corps à n’être qu’une machine défectueuse. Il y aurait d’un côté le «désordre» et de l’autre la «guérison conçue comme le retour à l’ordre». Mais quel ordre ? Celui d’un monde matérialiste, qui juge les individus à l’aune de leur productivité.
L’origine du mal
Citant Georges Canguilhem, qui dénonce le concept de «guérison» comme «fin d’une perturbation et retour à l’ordre antérieur, ainsi qu’en témoignent tous les termes à préfixe “re” qui servent à décrire le processus : restaurer, restituer, rétablir, reconstituer, récupérer, recouvrer», Cristina Lindenmeyer attire l’attention des médecins devenus si «complaisants » avec l’ordre social et pour qui le «retour à l’ordre, donc à la guérison, telle qu’elle se fonde sur le modèle social, renvoie en médecine à un modèle devant garantir l’illusion d’un état antérieur de stabilité. Autrement dit à cette illusion s’ajoute l’idée de retour au point d’origine, là où le mal a commencé à se développer.» Au-delà du bien et du mal, Cristina Lindenmeyer invite à s’interroger. Et si nos souffrances psychique étaient également le début du commencement ?
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A LIRE : Les Embarras du féminin, de Cristina Lindenmeyer, postface de Jean-Michel Besnier, éd. PUF/Humensis, oct. 2019.