Depuis l’invention du mot “ménopause” en 1821, les femmes sont invitées à se «préparer» : les pires dérèglements menacent. A la différence des hommes qui ont le droit de vieillir en paix, elles sont endoctrinées avec des histoires de débâcle ovarienne. Intox ?
Dès la fin du XVIIIe siècle, certains savants mettent en garde : la
fin des menstrues, disent-ils, entraîne de graves déséquilibres. Au XIXe
siècle, ils dressent la liste des maux susceptibles de frapper les femmes : «bouffées
de chaleur, vapeurs, insomnies, rêves fatigants, difficultés respiratoires,
spasmes, troubles digestifs, hémorroïdes, infections de la matrice, voire cancers,
polypes, hémorragies en tout genre, angines, ophtalmies, affections cutanées et
rhumatismales, maladies nerveuses…». Dans La Fabrique de la ménopause, la
sociologue Cécile Charlap déconstruit ce discours médical. Au fil d’une
démonstration passionnante, elle affirme que la notion de ménopause a été
inventée sur le modèle stigmatisant de la «maladie», afin de disqualifier les
femmes.
La ménopause, construite comme pathologie ?
«Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le vieillissement est pensé
de manière identique pour les deux sexes», explique la chercheuse. Mais
progressivement la différence
des sexes est construite sur un principe d’opposition binaire : d’un côté le
mâle fort, de l’autre la femelle fragile (1). Il s’agit de prouver que les femmes
sont naturellement souffreteuses, voire débiles. L’invention de la ménopause
comme pathologie n’a d’autre but qu’appuyer ce discours qui relègue les femmes
à la maison (à la reproduction, au domaine émotionnel) et qui réserve aux
hommes l’espace public (la culture, le domaine rationnel). Mis au point comme un
outil au service de cette mise à l’écart, la ménopause conforte en Occident
l’image d’un corps féminin soumis aux «vicissitudes de [son] système
reproducteur»
Les théories farfelues sur la ménopause
Diderot dans Sur les femmes (1772) parle de la cessation des
menstrues comme d’une «maladie longue et dangereuse». Dans les années
1820, les médecins déplorent que les maladies affligeant les femmes à «l’âge
critique» soient inévitables : furoncles, hystérie, diarrhée, délire
mystique… Ils imputent ces maux à un trop-plein de sang. «Le sang, n’étant
plus attiré vers les organes sexuels, prend d’autres directions, et […] frappe
en quelque sorte à toutes les portes pour trouver une issue», explique l’un
d’eux. D’autres mettent en cause l’utérus qui, ne fonctionnant plus, «bouleverse
la machine entière» et fait disparaître la «grâce féminine». En
1857, le gynécologue Edward Tilt note qu’«à ce tournant de leur vie»,
les femmes ont la peau si flasque qu’il leur faut «des pinces à épiler
pour enlever de leur visage quelques poils épars» (?). Le docteur Gilbert
Guyot, lui, parle de mamelles «longues et pendantes.»
Condamnée par ses ovaires ?
Au XXe puis XXIe siècle, le discours sur la ménopause n’évolue qu’en surface : toutes ces maladies sont maintenant
attribuées à une carence hormonale. La cessation des cycles reste associée à l’image d’un corps
déréglé. En cause : l’arrêt de l’activité ovarienne. Analysant le vocabulaire
des ouvrages actuellement consacrés à la ménopause, Cécile Charlap note qu’ils
se nourrissent presque exclusivement des discours médicaux qui non seulement
réduisent la femme à sa seule physiologie, mais abusent de termes péjoratifs et inutilement alarmistes qui maquillent un processus naturel en séisme corporel :
«perte de sensibilité», «altération du désir», «instabilité»,
«insuffisance hormonale», «régression», «déséquilibre», «complications».
«Sensibiliser» les femmes sur les «risques» ou… les catéchiser ?
Cette rhétorique médicale fait du corps féminin le
lieu de tous les dangers. Cécile Charlap se moque : quand les médecins invitent
leurs patientes à «planifier le suivi» de leur ménopause ils ne font que
renvoyer les femmes à leur statut de malades congénitales. Pire : ils valident
l’idée qu’en perdant sa fécondité, la femme perd bien plus que ça. Ce discours
délétère participe d’une «dramaturgie» nuisible, proteste la sociologue. Alors que les hommes se voient accorder le droit de vieillir
doucement, les femmes, en Occident, sont conditionnées à subir ce qu’on leur
présente comme une «rupture biologique» brutale, généralement accompagnée de
troubles honteux. Celles qui ne développent aucun des symptômes auxquels elles
s’étaient préparées en viennent à croire qu’elles n’ont pas eu de ménopause.
Quant aux autres, elles se voient offrir des traitements hormonaux qui les font
saigner chaque mois, artificiellement, comme si –pour être une «vraie» femme–
il fallait rester menstruée.
.
A LIRE : La Fabrique de la ménopause, de Cécile Charlap, éditions du CNRS, février 2019.
NOTE 1 : Jusqu’au XVIIIe siècle, en Occident, la femme n’existe pas. On la considère comme un homme inachevé (manqué, immature), dont le développement n’est pas abouti : chez elle le sexe est resté à l’intérieur. Le vagin est un
sexe mâle, mais inversé. La différence des sexes n’est pas une différence de nature mais de degré. Pour en savoir plus : «L’invention de la femme : viens poupoule viens»
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER SUR LA MENOPAUSE :
«Ménopause : le début de la fin ?»
«La ménopause est-elle un «problème» de santé ?»
«Bouffées de chaleur : comment réagir ?»
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES REGLES : «Ovulation = perturbation ?» ; «Pourquoi les femmes indisposées ratent la mayonnaise» ;
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