L’Olympe de la semaine n’est pas une grande figure historique du féminisme, mais quelqu’un qui pourrait tout de même être à l’origine d’un mouvement important. En tout cas, son implication mérite bien un coup de projecteur supplémentaire. Il y a une semaine, c’est Emma Watson qui a fait parler d’elle, mais surtout de son projet. Nommée cette année ambassadrice pour ONU Femmes, elle prend son rôle à cœur et lance le mouvement HeForShe, un appel aux hommes à rejoindre le combat pour l’égalité des sexes. Le lancement du projet s’est accompagné d’un discours de l’actrice au siège des Nations Unies à New York, où elle explique ses motivations, son engagement, son projet. Son discours est percutant, pédagogue, efficace, génial. Emma Watson a dit tout ce qu’il fallait dire. Et ça fait du bien :
Elle commence par rappeler qu’elle se dit féministe, et que ça a été une évidence pour elle. Pourtant, elle constate à quel point le terme et ce qu’il représente aux yeux des gens est devenu péjoratif. Le mot féminisme est devenu en quelque sorte une définition que peu de femmes veulent assumer, et que beaucoup d’hommes voient comme la haine du genre masculin : « Plus je parlais de féminisme, plus je me rendais compte que se battre pour les droits des femmes était trop souvent associé à la haine des hommes. » Pourtant, le cœur du féminisme c’est bien cela : se battre pour les droits des femmes, pour l’égalité entre les sexes. En aucun cas il n’est question d’opposer les femmes aux hommes, mais il s’agit plutôt de se battre tous ensemble pour une égalité réelle. C’est cela l’appel d’Emma Watson : associer les hommes au combat pour l’égalité, avancer ensemble.
« S’il y a bien une chose dont je suis certaine, c’est que cet amalgame doit cesser. Une bonne fois pour toutes, la définition même du féminisme est l’idée que les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes droits, et les mêmes opportunités. C’est la théorie de l’égalité politique, économique et sociale entre les sexes. »
Emma va alors expliquer pourquoi le féminisme ne doit pas être vu de manière négative, pourquoi on a besoin du féminisme, nous les femmes, bien sûr, mais aussi les hommes.
Avec son expérience personnelle, elle raconte pourquoi toutes les femmes ont encore besoin du féminisme aujourd’hui :
« J’avais 8 ans, quand on m’a qualifiée d' »autoritaire », à mon grand désarroi, parce que je voulais diriger la pièce de théâtre que nous allions mettre en scène pour nos parents. Mais ce n’était pas le cas pour les garçons qui voulaient le faire. »
« J’avais 14 ans, quand les médias ont commencé à me sexualiser. »
« J’avais 15 ans, lorsque mes amies ont commencé à quitter les équipes sportives, parce qu’elles ne voulaient pas avoir l’air « trop masculines », trop « musclées ». »
Stéréotypes de genre donc. Mais surtout, inégalités salariales, nécessité de pouvoir prendre des décisions quant à son propre corps, manque de représentation des femmes en politiques et dans les grandes instances d’entreprises, et bien sûr respect de la femme, harcèlement, agressions sexuelles, viols. Voilà les raisons pour lesquelles nous avons besoin du féminisme. Mais ce qui est plus nouveau, ou qu’en tout cas on n’entend pas assez à mon goût, c’est que les hommes aussi sont victimes de sexisme, du patriarcat, et ont besoin du féminisme. Et ça, l’actrice le rappelle dans son discours :
« Car jusqu’à présent, j’ai vu le rôle de mon père, en tant que parent, être dévalué par la société, alors même que sa présence auprès de ses enfants était au moins aussi importante que celle de ma mère.
J’ai vu de jeunes hommes souffrir de pathologies mentales, incapables de demander de l’aide de peur d’apparaître moins virils. Le suicide est la première cause de mortalité au Royaume Uni, devant les accidents de la route, le cancer, et les maladies cardio-vasculaires.
J’ai vu des hommes, fragiles et en manque de confiance en eux, à cause d’une vision erronée de ce qui constituerait la réussite au masculin. Les hommes non plus ne profitent pas des bénéfices de l’égalité. »
Tout est dit. Les hommes souffrent de stéréotypes de genre. Les hommes souffrent des carcans de virilité qu’on leur impose. Les garçons n’ont pas le droit d’exprimer leurs sentiments, et n’ont pas le droit d’être faibles. La pression de la société est telle que, Emma l’a dit, beaucoup préfèrent se suicider. Mais elle va ensuite plus loin et nous interpelle sur quelque chose d’intéressant et de fondamental : si les hommes sont un jour libérés de ces exigences stéréotypées, alors les femmes le seront aussi : « Si les hommes n’ont plus besoin d’être agressifs pour pouvoir être acceptés, les femmes ne seront plus contraintes à la soumission. Si les hommes n’ont plus à avoir le contrôle, les femmes n’auront plus à être contrôlées. »
« Les hommes et les femmes devraient se sentir libres d’être sensibles, émotif-ve-s. Les hommes et les femmes devraient se sentir libres d’être fort-e-s. Il est temps que nous appréhendions l’égalité comme un spectre, au lieu d’y voir deux idéaux distincts et opposés.»
Merci. Oui le genre est un spectre. Non, il n’y a pas que deux modèles fondamentalement opposés, modèles qui enferment, oppressent et modèlent les comportements. C’est rare de l’entendre de la bouche d’une personnalité mainstream : le genre est fluide, il y a de multiples façons d’être femme, il y a de multiples façons d’être homme (et, soi-dit en passant, il y a même beaucoup de choses entre les deux). Et c’est avec le féminisme qu’on combattra les stéréotypes, et qu’on libèrera les comportements, les esprits et les identités. Comme le dit Emma Watson, « c’est une question de liberté ». Et c’est fondamentalement en ce sens que l’on atteindra l’égalité, puisque ce sur quoi sont basées les sociétés patriarcales, la supériorité de l’homme, n’aura plus aucun sens, tout comme les inégalités et souffrances persistantes.
Voilà pourquoi la démarche d’Emma Watson est, sinon tout à fait nouvelle, au moins rafraîchissante et de bon augure. Elle remet avec ce discours le féminisme au goût du jour, et fait prendre conscience de choses fondamentales en matière de combat pour l’égalité réelle.
Le fait qu’elle soit une personnalité connue, notamment des jeunes, peut avoir un impact important, en tout cas plus étendu que celui des intellectuels engagés sur la question. Son discours a été clair et efficace, et a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux. Le hashtag #HeForShe a fait le tour de Twitter, et Watson s’est trouvé des soutiens comme Harry Styles, Logan Lerman, ou encore le Prince Harry.
Elle fait appel dans son discours aux « féministes introverti(e)s », aux inadvertent feminists, aux hommes et femmes convaincus de l’égalité des sexes et qui agissent en ce sens tous les jours, par des petites choses, par des comportements. Elle cite notamment ses parents qui l’ont toujours encouragée, son entourage qui ne l’a pas enfermée dans un rôle et des stéréotypes.
C’était un discours plein de bon sens donc, et beau dans la forme. Un discours qui sentait la sincérité, une Emma Watson modeste, qui pointe avec humour l’idée qui a peut-être traversé beaucoup d’esprits : « Vous vous dites sûrement : Mais qui est cette fille d’Harry Potter, qui se tient aujourd’hui devant nous ? ». Cette question, elle se l’est posée. Sa réponse est sans appel, et chacun devrait se le dire : « If not me, who ? If not now, when ? ». Si ce n’est pas nous, aujourd’hui, qui nous unissons dans un mouvement pour l’égalité des sexes, qui le fera ? Chacun peut s’investir. Chaque femme, chaque homme, introverti ou extraverti, peut commencer par partager cet appel. Le message de l’actrice est universel, et contredit bien des idées reçues. Ce n’est pas un combat contre les hommes, mais avec eux. Ce n’est pas un combat désuet ou vindicatif, c’est une question de progrès, d’inclusion et de tolérance. Mais plus que tout, et il faut le dire et le redire : c’est fondamentalement une question de liberté.
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