En arrivant, le «bonjour» poli de convenance accompagné du vouvoiement de rigueur. En partant, un «salut» chaleureux doublé du tutoiement avec la bise à la clé. Après seulement une heure passée avec Valentine, cela n’a rien de surprenant. La patronne du Elvis&Moi accueille les personnes dans son bar comme des amis dans son salon. L’endroit est à son image : rock, kitsch et baroque à la fois, comme une extension de chez elle. «Je voulais un lieu à moi, une déco à moi. C’est mon concept.» Portraits du King (son idole) s’alignent partout, entourés de statuettes de Betty Boop ou de nains de jardins.
Impossible de poser son œil sur du vide, pour la simple raison que chaque centimètre carré, vertical ou horizontal, est décoré. En une décennie, la quadra, qui a gardé sa fraîcheur et son énergie d’adolescente, a fondé une véritable et incontournable institution de la nuit gay fribourgeoise. Mais l’âge avançant, Valentine, aussi attachée de presse du festival Rock Oz’Arène, rend son tablier: «Je me sépare de mon Elvis… Il faut pouvoir tenir le rythme très soutenu, et aujourd’hui j’aspire à une vie tranquille. J’aime la nature et les animaux, mais c’est incompatible avec un bar.» Une séparation qui secoue Fribourg, même les médias en parlent. Valentine reste sereine : «La vie t’apporte ce dont tu as besoin au moment voulu.»
Le bar pour tous
Ce qu’elle a apporté à la ville ne peut pas être résumé en quelques lignes. Si ce haut lieu de détente et d’amusement nocturne n’est pas officiellement gay, il est très gay-friendly. Mais les homos en tous genres ne viennent pas que pour la musique et la déco : «Je suis un peu la maman des gays à Fribourg. Ils viennent aussi pour discuter avec moi, je joue parfois la conseillère sentimentale, dévoile Valentine. Je partage une même sensibilité. Et à ma manière, je suis aussi différente.» Déjà à l’adolescence, elle arborait un look dissemblable de ses camarades, ce qui lui a valu quolibets et injures. Un passé révolu, mais qui imprègne sa façon de considérer l’autre aujourd’hui. Derrière son apparence rockabilly ascendant punky, se dévoilent sans se cacher sa sensibilité et son émotion quand elle est face à la discrimination : «Je pleure quand je vois comment sont traités les homosexuels en Russie, c’est horrible. Je ne supporte pas la méchanceté juste parce qu’on est différent. Avec un joli cœur on devrait pouvoir faire ce qu’on veut». La messe est dite.
Meilleure amie des homos, Valentine accueille en son salon les soirées gays Yes We Queer depuis plus de cinq ans. Si la clientèle est majoritairement de l’autre bord lors de ces événements, les hétéros viennent aussi très volontiers, car chez Elvis&Moi règne le métissage. Les costards-cravates côtoient les tatoués de haut en bas. Grâce à la patronne, qui aime tout le monde «tant qu’on est gentil.» «J’ai mis beaucoup de mon âme et de mon cœur dans cet endroit», confie-t-elle. Une dévotion qui lui a valu d’être ordonnée par les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Valentine est donc aussi Sœur Elvis à vie. Une situation exceptionnelle pour une femme qui ne l’est pas moins, puisqu’elle est la seule fille – hétérosexuelle de surcroît – du couvent des Grues. Et si elle vit sa vie ailleurs, elle aura toujours en son cœur Elvis. Peut-être un jour allumera-t-on des cierges devant son effigie.
Les bons endroits pour les rares moments de repos Entre le bar et le festival Rock oz’Arènes, Valentine court, court et court encore. Peu de temps pour la quiétude et la détente, même le week-end. mais voici quelquesunes de ses bonnes adresses fribourgeoises quand elle trouve l’accalmie.Quand elle est loin d’Elvis, elle aime être transportée dans un autre pays. A la Rue d’or 5 à Fribourg, elle pousse la porte du Banshees’ Lodge: «Une véritable taverne irlandaise, tout est en vieux bois, éclairé à la bougie. Je me sens ailleurs, dans un cadre chaleureux.» Valentine aime aussi, sans surprise, être transportée dans un autre temps, y compris pour manger. Au Café du Théâtre, au numéro 22 de la Rue du Pont-Suspendu, elle mange dans un décor rétro-rustique: «C’est assez rétro. Il y a de la musique youtze, les assiettes sont monstrueuses, comme à l’ancienne dans une ambiance rustique et champêtre.» Toujours affairée derrière le bar, elle ne crache pas sur une bonne séance de massage pour se relaxer. Elle n’a qu’à faire quelques pas, pour rejoindre son voisin du numéro 15 de la rue de Morat. Sous les mains de Manu Ontiveros Tlaloc, elle retrouve toutes ses capacités: «C’est un chaman mexicain qui masse divinement. Il est vraiment adorable, et il y sait faire pour me remettre en place. on est même devenus amis, c’est dire à quel point il est bien.»
» Elvis&Moi, 13 Rue de Morat, Fribourg www.elvis-et-moi.ch