Il m’est rarement arrivé de regarder mes scènes. J’ai pourtant eu un jour la curiosité d’en visionner quelques unes. Je me souviens en particulier d’une scène de double-pénétration dont les images m’avaient étonnée, déçue. Le plaisir n’était pas évident à lire, l’acte dégageait une forme de violence. Qu’avait pu penser mon public ? Avait-il joui de ce doute ? D’une possible souffrance, du jeu de soumission? Je ne regrettais rien de ce moment qui m’avait fait jouir. Je restais en revanche perplexe face aux images qu’il en restait. De toute évidence elles n’étaient pas belles, mais après tout le “sexe excitant” n’est pas forcément “le sexe beau”. Le vrai problème ? Cette vidéo était pour moi le témoin de ce que j’avais fait mais n’avait su montrer ce que j’avais ressenti.
On me pose souvent cette question : “Qu’est-ce qui se passe dans le corps et la tête d’une actrice lorsqu’elle tourne une scène très hard?” Suivez-moi. Aujourd’hui, je vous invite à aller sur un tournage, dans la peau d’une actrice porno pour une scène de double pénétration.
Vous êtes aujourd’hui bookée pour une scène avec deux hardeurs. Cela ne vous effraie absolument pas, c’est votre routine. Vous faites partie des actrices pour qui pratiquer la sodomie ou la double -pénétration est quelque chose d’absolument normal. A vrai dire vous aviez déjà plaisir à jouir de ces pratiques avant même de vous aventurer sur le plateau d’un tournage X. « Enfant de la génération porno » ? Vous n’aviez regardé que quelques films avant de faire le grand saut et regarder ce type de pratique vous rendait absolument indifférente puisqu’elles étaient étrangères à votre sexualité…jusqu’au jour où vous avez vous-même essayé. Le sexe à plusieurs, être prise par deux hommes, trois..plus, beaucoup plus.Ce n’est alors que vous avez pris plaisir à regarder ce type de scène. Vous pouviez désormais jouir à travers elle, l’ actrice X, cette femme incarnant tout ce que vous n’osiez paraître. Vous saviez ce qu’elle pouvait ressentir, et vous saviez que cela pouvait être bon.
Aujourd’hui vous êtes vous-même actrice porno. C’est votre métier. Votre corps jeune et élastique ne se lasse de s’ouvrir toujours plus. Il est votre outil, votre vêtement, votre sextoy, vous le maniez à merveille et vous comptez bien user et abuser de toutes les sensations qu’il peut vous procurer. Avoir choisi le porno est pour vous porter un déguisement qui vous permet de vous glisser avec insouciance et sans cas de conscience dans le personnage de la poupée, la salope, la pute. Vous, fille » de bonne famille » qui avez noirci vos copies sur les bancs de la fac, vous vous amusez désormais de ce petit jeu de rôle où vous vous donnez le droit de ne pas penser, où vous revendiquez le droit à paraître tour à tour légère, perverse, innocente, quitte à en paraître bête, quitte à ce que le monde vous rejette.
On vous demande de jouer le plaisir et ça tombe bien, vous excellez à partager ce que vous ressentez. Et le plaisir est bien là. Quand il ne parvient pas à vous surprendre, vous le prenez.Il est au rendez-vous quasiment à chacune de vos aventures filmées. Parfois il vous arrive d’avoir un peu mal, c’est vrai, mais il arrive aussi que cette douleur vous excite. Vous avez un don. Votre cerveau est le filtre de vos sensations et il est joueur. Il aime défier les limites. On vous dit parfois folle et c’est peut-être le cas. Vous entretenez cette démence qui vous fait danser sur un fil, où la peur de la chute vous excite, où le vide vous appelle, où le goût de l’infini vous porte. Et vous rêvez de sauter puisque vous volez. Vous êtes faite pour ça. Flirter avec les extrêmes.
Votre scène est sur le point de commencer.
Vous souriez à vos partenaires du jour ; vous avez déjà tourné ensemble plusieurs fois. Vous connaissez la femme de l’un, le passé de l’autre. Vous plaisantez du fait que le premier ne vous a jamais eu pour lui tout seul; vous avez toujours été au minimum trois dans vos ébats. Vous n’éprouvez pour eux aucun sentiment. Vous les appréciez, simplement. Vous leur faites confiance, « Ils bossent bien », chacun connait son rôle et vous savez ce que l’on attend de vous : effectuer une scène de double-pénétration de quarante minutes intenses, faire de ce moment un instant de plaisir pour vous, pour eux, mais surtout pour tous ceux qui vous regarderont.
Vous aimez cette sensation mêlée de sérénité et de doute. Vous êtes confiante, vous ne craignez rien. Vous pouvez arrêter à tout moment, vous pouvez partir, vous pouvez appeler votre agent, vous pouvez changer de métier. Vous n’êtes pas là par hasard. Mais vous ne savez pas non plus tout de ces prochaines minutes, d’ailleurs, vous ne voulez pas. Vous voulez qu’on vous surprenne, qu’on vous piège, que le plaisir vous submerge, que votre cerveau éclate. Vous êtes la caisse de résonance d’inavouables pulsions. Vous ne demandez qu’à ce que l’on joue de vous, tant qu’on le fait bien.
La caméra coupe. Il vous arrive avec elle de vous arrêter, quittant vos partenaires quelques minutes pour boire une gorgée d’eau, reprendre votre souffle, bavarder, rire, rassurer: non la claque sur les fesses n’étaient pas trop forte, oui vous leur promettez de leur faire signe si ça va trop loin….ou pas assez. Aujourd’hui vous vous sentez particulièrement bien. Une force insoupçonnée vous anime. Votre chair est en fusion, votre vision se brouille, vos oreilles bourdonnent, vous êtes en transe . Si la caméra a coupé il n’est pas question d’arrêter. Vous savez qu’un tel moment est pour vous de plus en plus rare.
Si chaque abandon semble vous libérer vous savez qu’il vous enchaîne davantage, car l’expérience rend plus fort, plus résistant. A connaître tous les rouages de la soumission, on finit par devenir maître. Il vous faut chaque fois un peu plus. Vous vivez un moment d’extase, un moment VRAI, vous flottez dans une bulle de parfait bien-être. La scène continue. Le réalisateur vous suit et à vrai dire, il n’a pas le choix. Ce n’est plus “du sexe pour la caméra”, mais “une caméra pour du sexe”. Il sait que ce moment fait la différence, il est celui que les fans savourent : un plaisir réel, palpable, démesuré. Les hardeurs sont vos partenaires de danse. S’ils savent vous diriger, vous les suivez. Si vous savez les suivre ils vous donnent davantage. Vos corps et vos esprits battent en rythme.
“Coupez!” Lorsque finalement cette danse s’ achève, vous vous regardez mutuellement et souriez. Vous savez… Vous avez repris possession de votre corps, les hommes à qui vous vous êtes donnée ne sont plus vos maîtres mais les mêmes collègues de travail à qui vous direz un énième “au revoir” en échangeant une bise. Ils ont repris leur visage, leurs défauts, cette beauté flagrante que vous leur aviez pourtant trouvée. Le charme s’est envolé. Votre scène est finie et vous avez joui, infiniment.
Certains ne retiendront de votre scène que la brutalité de ses pratiques sexuelles, d’autres sauront percevoir le moment de grâce qui aura su unir trois personnes. Le sexe est un langage et comme tout langage il peut trouver plusieurs sens, plusieurs interprétations. Il peut être perçu comme message de violence alors qu’ il parle de plaisir. Il ne s’agit pas juste de pratiques comme il ne s’agit pas juste de vocabulaire. Il existe un contexte, il existe des codes. Ce moment de sexe était magnifique et je n’ai pourtant pas ressenti de plaisir à en regarder les images. Simple pudeur vis à vis de mon jeu de soumission? C’est très probable. On peut aimer s’exhiber sans être narcissique, on peut vivre le porno sans le regarder; vivre sa sexualité sans se filmer. Le plaisir est partout et sous des formes parfois surprenantes. A nous de le saisir au vol, de le créer, le cultiver ou le renouveler. Une chose est sûre : il ne prend sa vraie valeur que lorsqu’ il est partagé.
Katsuni
Photo: “The Doom Generation” de Gregg Araki
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