«Gimme, gimme, gimme a man after midnight! Won’t somebody help me chase the shadows away?» Le vœu d’ABBA a été, en tout cas partiellement, exaucé. Pour chasser les ombres du quotidien genevois, le Phare agit comme un excellent répulsif à tracas. Et l’homme providentiel que le groupe suédois cherchait s’appelle Pierre Ogay, 47 ans au compteur.
Calme et un peu réservé, mais pas sur la défensive. Au contraire, derrière ses petites lunettes rectangulaires et son air nonchalant, ses yeux aspirent à la quiétude et transmettent une lueur agréable en provenance directe du soleil, sans passer par les nuages. Pierre, comme un enfant insouciant, a ouvert le Phare il y a maintenant pratiquement douze ans: «Avant c’était une boutique de vêtements. Je n’ai pas touché au nom, cet endroit était beau, je m’y sentais bien. Il y avait de la chaleur.» Gardant ainsi l’esprit du lieu. Impossible de poser la question rationnellement, le quadra est en contact direct avec ses émotions, pour laisser libre cours à la création et à l’imagination, le temps d’une rêverie, le temps d’un verre.
Dernier bastion
Le premier jour du printemps, en 2003, le Phare allumait sa première lampe. Tout un symbole, et pas des moindres. Pierre l’a voulu ainsi. Le bar devait être un endroit où les âmes en perdition dans leurs tracas quotidiens devaient trouver un refuge momentané pour abandonner la terre ferme houleuse. «Il n’était pas question d’ouvrir un bar exclusivement gay. Cela n’a pas de sens de rester en ghetto. Cela me rend heureux de voir cette mixité, je me sens plus à l’aise dans un endroit comme celui-ci», confie le propriétaire et gérant.
Familles, enfants du quartier qui viennent chercher un sirop, queers en tous genres, employés de banques, aucun n’est persona non grata. Le Phare joue avec la liberté: «C’est comme une calèche. Mes employés sont les chevaux qui doivent suivre un itinéraire. Je leur laisse carte blanche, tant qu’on suit la route.» De cette autonomie vient sûrement le tutoiement spontané entre clients et serveurs. «Plus que de simples passagers, ils deviennent des copains ou des habitués. »
«Il faut garder un esprit libre à Genève!»
Après douze ans, un risque de lassitude pour Pierre qui aime bouger et découvrir de nouvelles aventures? «Oh non! Les petits bistrots comme celui-ci disparaissent à Genève, remplacés par des bars lounge aseptisés, où les gens sont servis par des collets montés sans égards.» Tables serrées et bancs communs permettent aux clients du Phare de se rencontrer, et «c’est aussi un endroit où chacun accepte la table d’à côté, avec ses différences». En juillet prochain, le bar fermera durant une année, pour cause de rénovation dans le quartier… Mais pas question d’abandonner le navire: «Il faut garder un esprit libre à Genève! C’est cela qui me donne l’énergie pour continuer.» Et comme la lumière au milieu de l’océan genevois, le Phare attire les papillons de nuit pour un petit vol de liberté.
Pour mieux revenir
Si Pierre du Phare apprécie son lieu, il lui est tout aussi nécessaire de s’échapper quelques instants de la frénésie pour retourner au travail revitalisé. Et c’est plutôt en dehors de Genève qu’il trouve la paix. Quand il reste dans la cité de Calvin, c’est la direction d’un petit tea-room portugais qu’il prend, situé sur la rue du Beulet: «Les gens du quartier viennent se retrouver ici, ça parle portugais partout, ça rend l’endroit chaleureux ! Un vrai bistrot de quartier comme je les aime. Surtout, les pâtisseries faites maison sont délicieuses. Le patron est toujours présent et donne de la vie à ce petit bouiboui.»
Sinon, direction le Valais, l’air pur. A Fully, Pierre a son petit mazot en plaine. Là-bas, il en profite pour faire de l’escalade et de l’alpinisme: «J’aime la simplicité et le rythme lent du Valais.» Tout près, il se rend volontiers au Camping de la Sarvaz sur la route de Fully à Saillon: «Il servent de délicieux filets de perche du Lac de Rarogne. Un régal!»
Qui dit Valais dit aussi vignobles, évidemment. Le patron du phare a sa petite adresse préférée, L’Oenothèque de Fully, au 128 Rue de Saillon: «La femme qui travaille là-bas connaît tout sur les vins. Discrète au départ, si le courant passe bien elle peut parler pendant des heures. C’est une œnothèque simple, mais entre le plaisir de discuter avec cette dame et la découverte de nouveaux cépages, c’est un bon moment.» Santé!
» Le Phare, 3 rue Lissignol, Genève le-phare.ch