Au moment de passer l’année, on s’arrête pour lire un poème d'amour intitulé Souvenirs, qui vaut bien mieux qu’un article de presse, parce qu’il n’y a pas d’actualité. Il n'y en a jamais eu.
Le poème Souvenirs se trouve dans un journal de voyage composé par «Un homme qui ne sait ni voyager ni tenir un journal». C’est
Henri Michaux qui le dit, dès la première ligne d’Ecuador, publié
en 1929 et relatant une excursion qu’il fit en Equateur, de l’embarquement à
bord du Boskoop en 1927 au trajet retour via le fleuve Amazone, à bord
d’une pirogue faisant du sur-place… Quand il publie ce livre, Michaux perd son
père et sa mère, qui décèdent coup sur coup. C’est décidément, le livre qu’il
faut pour commencer l’année, parce qu’on peut lire dans tous les sens chaque
fragment de ce journal troué, aux dates parfois inversées, mais qu’importe, les
paysages sont toujours les mêmes dehors. Et dedans, c’est toujours le labyrinthe. Michaux a disparu en 1984, ou plutôt il est devenu éternel :
«Dans les bras tordus des désirs à jamais inassouvis sera sa
mémoire.»
Souvenirs
(La veille du départ, le voyageur regarde en arrière,
c’est comme s’il perdait courage.)
Semblable à la nature, semblable à la nature, semblable à
la nature,
A la nature, à la nature, à la nature,
Semblable au duvet,
Semblable à la pensée,
Et semblable aussi en quelque manière au globe de la
terre,
Semblable à l’erreur, à la douceur et à la cruauté,
A ce qui n’est pas vrai, n’arrête pas, à la tête d’un clou
enfoncé,
Au sommeil qui vous reprend d’autant plus qu’on s’est
occupé ailleurs,
A une chanson en langue étrangère,
A une dent qui souffre et reste vigilante,
A l’araucaria qui étend ses branches dans un patio,
Et qui forme son harmonie sans présenter ses comptes et ne
fait pas le critique d’art,
A la poussière qu’il y a en été, à un malade qui tremble,
A l’oeil qui perd une larme et se lave ainsi,
A des nuages qui se superposent, rétrécissent l’horizon
mais font penser au ciel.
Aux lueurs d’une gare la nuit, quand on arrive, quand on
ne sait pas s’il y a encore des trains.
Au mot Hindou, pour celui qui n’alla jamais où l’on en
trouve dans toutes les rues.
A ce qu’on raconte de la mort,
A une voile dans le pacifique,
A une poule sous une feuille de bananier, une après-midi
qu’il pleut,
A la caresse d’une grande fatigue, à une promesse à longue
échéance,
Au mouvement qu’il y a dans un nid de fourmis,
A une aile de condor quand l’autre aile est déjà au
versant opposé de la montagne,
A des mélanges,
A la moelle en même temps qu’au mensonge
A un jeune bambou en même temps qu’au tigre, qui écrase le
jeune bambou.
Semblable à moi enfin,
Et plus encore à ce qui n’est pas moi.
By, toi qui étais ma By....