À 20 ans, l’artiste Mathilde Biron se définit comme une touche-à-tout amatrice de nu et d’impudeur. Photographie, design, stylisme… Quel que soit le médium, le corps est un fil rouge qu’elle déroule avec finesse et émotion sur le site Mathilde Hortense. L’esthétique de ses clichés argentiques a quelque chose de vaporeux, cinématographique, excitant. Le Tag Parfait lui a posé quelques questions indiscrètes.
Comment caractériserais-tu tes créations ?
Mon travail tourne presque exclusivement autour du corps, du genre, de la rencontre et de l’identité dans l’espace social. Je m’intéresse à nos dualités : ce que l’on est, ce que l’on perçoit de nous et ce que l’autre perçoit de nous. Je peins, je photographie, je couds, j’explore, j’écris aussi. Pour autant je me demande toujours si mettre des mots n’est pas créer une limite ? On m’a souvent qualifiée de petite Sophie Calle. Je dois vivre des expériences pour ensuite les raconter. J’aime mettre les pieds là où les autres ont peur d’aller, montrer ce qu’on ne veut pas voir. Au début de mes études en école d’art, j’ai fait beaucoup de choses consensuelles, qui ne dérangaient pas, n’émouvaient pas. Maintenant j’ai besoin d’une certaine mise en danger pour vibrer.
En quoi l’intimité t’inspire-t-elle ?
Évoquer l’intimité aujourd’hui pose énormément de questions. Il s’agit avant tout de territoire et de frontière. L’intime s’étale partout au grand jour, mais dans des domaines très inégaux. J’essaie, je crois, de proposer une radiographie des états d’âme de la société, indissociablement des états du corps.
Comment obtiens-tu la confiance de tes modèles ?
Posant et m’exposant moi-même nue sur les réseaux sociaux, je pense que c’est très rassurant pour les modèles. Ils se disent : « si elle le fait, pourquoi pas nous ? ». Je n’ai jamais demandé à quelqu’un de poser pour moi. Les gens sont toujours venus à moi, souvent avec une grande curiosité, à la recherche de l’expérience inédite. Ça s’est passé comme ça pour la série In bed with par exemple.
Et comment captes-tu leur intimité ?
On discute beaucoup. À notre première rencontre et pendant le shooting, j’aime bien prendre le temps, discuter, boire du vin, prendre des notes… Je capte l’intime dès que je pénètre dans l’appartement du couple. Ensuite tout se fait très naturellement. Je ne dis rien, ne demande rien. Le couple fait ce qu’il veut, comme s’il était seul. Je reste toujours en retrait, la plus discrète possible. Je m’adapte et je capte ce que je vois. Puis je pars.
Est-ce plus difficile de photographier une personne habillée ou nue ?
Le plus difficile est en fait de photographier quelqu’un qu’on ne connaît pas. J’ai toujours une appréhension dans ce cas. J’ai longtemps photographié mes amis. Avec des inconnus, c’est plus compliqué, il faut établir un cadre, des limites, une confiance. Mais après, si cette personne se laisse aller, se déshabille et prend part à la photographie, alors c’est très beau. C’est comme une nouvelle première fois, m’ont dit certains de mes modèles, en voyant le résultat des prises de vue.
Comment distingues-tu l’érotisme de la pornographie ?
L’érotisme suggère quand le porno montre explicitement. Il est intellectuel et fait appel à l’imaginaire. Tout peut être érotique. Une main dans les cheveux, un pincement de lèvres, du Chanel N°5, des regards qui se cherchent, se fuient, des peaux qui s’aimantent… Dans le porno, je parle de celui que l’on consomme massivement aujourd’hui, on nous montre un gros plan de chatte, de pénis. Rien de suggestif. Juste du cru, du brut. Alain Robbe-Grillet écrivait d’ailleurs que : « La pornographie, c’est l’érotisme des autres ».
Tes travaux se situent-ils dans l’un de ces genres ?
En fonction de l’ouverture d’esprit des spectateurs, ils peuvent être considérés comme pornos. C’est le cas pour ma mère qui a grandi dans une famille catho, appartient à une génération différente et a peu d’éducation artistique. Mais mes travaux sont avant tout perçus comme fortement érotiques et artistiques. Dans mon projet In bed with, le grain de l’argentique et certains flous soulignent une certaine intimité dans la prise de vue, créant une tension érotique presque dérangeante.
La pornographie peut-elle être artistique ?
Bien sûr, elle peut être artistique, et elle l’est déjà sur quelques sites pornos féministes comme Lucie Makes Porn ou Four chambers. Les contenus proposés ne sont absolument pas des supports masturbatoires. Le leitmotiv c’est plutôt de montrer le vrai des corps, le beau de leurs rencontres, la sensualité. Les scènes de « cul », qui ont une réelle qualité audiovisuelle, peuvent parfois s’apparenter à des essais de genre. Mais devons-nous encore parler de pornographie ?