Je cherche le merveilleux sexuel. «
Je cherche l’Or du temps » proclamait André Breton, et je pourrais volontiers reprendre sa formule. L’Or du temps, c’est par excellence le merveilleux sexuel, non ? Alors j’observe avec curiosité -et un
a priori bienveillant- toutes les modalités permettant le rapprochement des hommes et des femmes (en gros : de la sexualité du club libertin de 700m² façon « usine à baise » à la sexualité initiatique de l’Amour fou) - dans l’espoir d’y croiser ce « fabuleux sexuel » dont parlait le philosophe Paul Ricœur.
Ricœur évoquait ainsi sa quête : "ce qui m'a personnellement nourri : la recherche d'un nouveau sacré dans la sexualité". Rechercher ce fabuleux, ce nouveau sacré, c’est un peu l’essence de ma vie, en tout cas son dessein poétique, son « carburant lyrique ». Quelles que soient mes déceptions dans cette quête ("les soirées de Mademoiselle Ja**", sujet de ce billet, en sont une), mon enthousiasme reste intact. Ce n'est pas parce que la société (et singulièrement les marchands) font de la liberté sexuelle un truc triste, moche et désespéré, que cette liberté sexuelle ne peut pas être, dans un autre contexte, source de
merveilleux. Je reste définitivement fascinée par cet univers de l’intime : le sexe, ses sortilèges, ses transports, sa magie poétique et son hégémonie, ses pouvoirs opératifs, ses tourments – pour moi, l’atteinte d’un point culminant de la réalité.
Bref, je ne vois pas ce qu’il peut exister de plus poétique entre un homme et une femme que le « merveilleux sexuel » qui peut les lier.
Je pense qu’à la base du merveilleux sexuel, il y a :
-
le fait d’engager sa personnalité entière dans l’acte sexuel. On peut se donner, dans le sexe, sur un infini territoire de nuances, et clairement on peut faire l’amour à moitié, ou en jouant un rôle, en étant un(e) autre, en étant ailleurs, en "se protégeant", comme on dit... On n’atteint le merveilleux que quand on prend le risque (quand l’autre nous offre la liberté) d’être à 100% soi-même
(par exemple, moi, je suis une personne très passionnée et très excessive, spontanée et sans calcul dans l’expression de ses désirs & plaisirs mais aussi très douce : rien n’est meilleur pour moi que de faire l’amour avec un homme qui me permette d’assumer tous ces traits de caractère).-
la prise de risques. Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu. Avoir un homme qu'on n'a pas vraiment voulu de toute son âme, qu'on n'a pas désiré à mort, c'est nécessairement moins propice au merveilleux... Et plus on s’est mis en danger, plus le plaisir obtenu est dense, intense, inoubliable... La rencontre inespérée qui nous tombe dessus miraculeusement au coin de la rue, cela existe peu – du reste, saurions-nous être réceptif à l’inconnu qui nous dévoilerait son désir ainsi, au coin d’une rue ? Je pense que si l’on apprenait à dévoiler plus nos envies (c’est-à-dire : s’exposer, se mettre en danger, prendre le risque d’être éconduit(e), repoussé(e)), le monde serait plus intéressant. Mais le faire pour de vrai, avec une vraie mise en danger : en écrivant clairement « je vous désire », pas en faisant quelques vagues clins d’œil qui laissent l’égo parfaitement sauf s’ils ne trouvent pas d’écho… Et comme il se trouve que très, très peu de femmes osent encore le faire, avouer leurs envies, cela bénéficie d’une sorte de « prime à l’audace » qui (d’expérience) plaît beaucoup aux hommes (et, dans de nombreux cas, peut suffire à créer la fascination). Je suis certaine que nous, les femmes, pour mener des vies plus exaltantes, devrions tout simplement exprimer nos envies avec plus de franchise auprès des hommes (mais nous, pauvres princesses élevées dans l’idée de « disposer », avons si peu l’habitude d’être éconduites que nous avons tendance à le vivre comme un affront inguérissable : incroyable comme j’ai déjà vu des femmes en vouloir à mort à des hommes, avec une haine incommensurable et une soif de vengeance presque violente, parce que ces derniers ont simplement repoussé leurs avances - ce qu'elles n'arrivent pas admettre, concevoir, pardonner : le type est nécessairement le pire des connards parce qu'il n'a pas voulu d'elle, le désir exprimé et repoussé devient soudain une haine éternelle...). En tout cas, me concernant, plus je me suis mise en danger dans ma façon d’exprimer mes désirs, plus j’ai pris des risques inconsidérés, plus j’ai été récompensée
(comment ne pas penser à J. et E. en écrivant cela…). C’est sûr qu’on ne fait pas des avances à n’importe qui n’importe comment (on se renseigne sur la disponibilité d’esprit de l’homme en question, idéalement… s'il voit une amante 4 fois par semaine, ce n'est peut-être pas le bon moment pour lui proposer mille choses licencieuses, gageons qu'il est déjà comblé sur ce plan, à cet instant de sa vie) mais me concernant, toutes mes grandes audaces de type : écrire « je vous désire follement » à des hommes qui, eux, ne me connaissaient même pas, ont trouvé des conclusions enflammées, et ont représenté, indéniablement, mes plus belles histoires. Arrivera forcément un jour où je me prendrai une grosse baffe (= une fin de non-recevoir) si je renouvelle le procédé, mais le bonheur dû aux audaces passées devrait alors me la faire relativiser.
-
la fascination pour l’autre. L’estime, le respect, l’émerveillement que l’on peut avoir pour l’autre… sans lesquels il ne peut y avoir de rencontre, de
Rencontre. Sauf exception, j’ai du mal à croire que l’on puisse atteindre le merveilleux sexuel avec un/une partenaire que l’on méprise, ou du moins qui nous indiffère.
Bref, il n’y a pas de merveilleux sans la rencontre de deux personnalités (le titre de cet article aurait aussi pu être : "
le libertinage permet-il la rencontre des personnalités ?").
Je l’ai déjà écrit ici, mais ma gratitude est infinie à l’égard des hommes qui m’ont offert cet enchantement - la réciprocité du don, l’abandon érotique, l’attention à mes plaisirs pour créer la complicité charnelle… Ils m'ont offert, incontestablement, les plus belles heures et les plus grandes saveurs de mon existence.
A côté de ça, j’ai vu aussi, je vois donc régulièrement, dans mon exploration d’une sexualité libre, pas mal d’horreurs qui me rendent assez triste. Le sexe vaut mieux que cela…
Je pourrais écrire, comme Paul Ricœur que : «
la sexualité est le lieu de toutes les difficultés, de tous les tâtonnements, des périls et des impasses, de l’échec et de la joie. »
Pour un peu de joie, il y a beaucoup d’impasses...
C’est toute ma thèse ici : dans l’exercice d’une sexualité libre, le pire côtoie le meilleur. La société dans son ensemble fait plus souvent de la liberté sexuelle
le pire que
le meilleur : étalages d’organes et déballages de leurres, fantasmes renchéris sur les réflexes les plus animaux, « érotisme inculte » comme écrivait encore Ricœur. Celui qui ne fait appel qu’à la pulsion primaire, bestiale : une photo de bombasse photoshopée, déguisée en soubrette et dont on voit la chatte bien écartée sous sa jupette sans culotte, ça va exciter les hommes à coup sûr… bon, et après ? C’est ça l’érotisme, et la liberté sexuelle pour laquelle se sont battues nos grands-mères ?
Le libertinage, c’est pour partie des hommes et femmes libres, recherchant l’enchantement et la volupté de vivre, et souvent très habiles à le cultiver, foncièrement bienveillants (j’ai le plaisir d’en connaître pas mal, à Paris). C’est aussi un mot utilisé pour exploiter la pire misère humaine et sexuelle, la détresse psychologique, pour cautionner les comportements les plus bas et les plus laids, pour se faire du blé sur la déshumanisation réciproque d'hommes et de femmes dont on organise une sexualité digne d’animaux d’élevage...
Paul Ricœur distinguait, dans le sexe «
ce qui, pour moi, est merveille de ce qui pour moi est énigme, en passant par ce qui rend le sexe errant et aberrant ».
Le sexe
errant et aberrant, c’est l’égoïsme et le narcissisme de la jouissance quand on méprise l’autre, c’est la petitesse en action dans le sexe. C’est aussi ce qui mène le sexe à l’insignifiance. « Ce qui est insignifiant est proprement déshumanisant. En fait, un certain mode d’accès au sexe le déshumanise profondément et met en danger la sexualité elle-même. »
Voilà, il y a une certaine pratique du « libertinage » qui est la dépersonnalisation de l’autre et la déshumanisation du sexe, un libertinage très laid qui incarne la sexualité
errante, aberrante et insignifiante pointée par Paul Ricœur. La pure « décharge » (désolée du terme…) dans l’indifférence la plus complète pour la bite/la chatte qui a partagé cet instant biologique. Par exemple, l’homme qui va payer 120€ pour entrer dans une « soirée privée » (mouais…) et qui va considérer, de facto, qu’il a LE DROIT de baiser les femmes présentes (il a payé pour ça). Femmes dont il se contrefout : dans sa tête, il est au bordel… Femmes qui ne sont pas toujours très privilégiées - il dira d'elles, un peu plus tard "elle est vraiment imbaisable, en dehors je n'en voudrais pour rien au monde, mais bon elle dépanne : elle ne dit jamais "non" à rien" (propos que j'ai entendu pour de vrai, au bar d'un club, par un homme qui revenait du "coin câlin" où il venait de "se soulager" auprès de "la dépanneuse" en question). On est à l’autre extrême du spectre : d’un côté la merveille, de l’autre la déshumanisation. Et au cœur de ce « libertinage »-là, il y a quelque chose de totalement désespéré dans la pratique du sexe, il y a la désolation de la pire solitude humaine, une vraie envie de pleurer parce que personne, au fond, ne vit cela autrement que par défaut (eh ben oui, les mecs qui viennent-là pour tirer leur coup préféreraient une amante géniale, c'est certain, les filles idem, je suis prête à parier qu'elles ne seraient pas contre un peu plus de considération...)
Cette liberté sexuelle-là est celle qui s’accommode du désenchantement. Quelle tristesse…
Je pense que, depuis toutes ces dernières années d'exploration, la soirée « libertine » qui m’a rendu la plus amère et la plus triste fut une « soirée de Mademoiselle Ja** » à laquelle je me suis rendue, par pure curiosité, en juin dernier. J’y ai vu le sexe «
errant et aberrant » de Ricœur, j’y ai vu une déshumanisation assez radicale des personnes présentes - les hommes me semblaient proches de l'état le plus végétatif en début de soirée, puis littéralement en rut, se vengeant d'avoir passé plus d'une heure en mode "carpette" sur les pauvres rares chattes présentes. Mon chéri me glissait à l’oreille «
Comment ça peut exister, un truc pareil ! Mais qui sont tous ces gens qui viennent à ce genre de soirée, c’est atroce, en dehors d’ici ils ne doivent jamais baiser de leur vie, je ne vois que ça ! » et je dois dire que je partageais la dureté de son jugement…
Apparemment, c’est assez connu puisque, par la suite, tous mes amis à qui j’ai raconté avec vécu un des moments les plus glauques de ma vie libertine m’ont tous dit « Ah ben oui, les soirées de Ja** ! Tu pouvais bien t’en douter ! ». Une autre « Ah ben oui, les soirées de Ja**, tout est dit ! », ou encore « Mais comment t'es aussi naïve, son fonds de commerce c'est d'attirer sur les réseaux sociaux, tu te doutes bien qu'elle attire surtout les mecs en manque, alors après tu t'étonnes que ce soit glauque ? ».
Mais bon, moi je ne savais pas, donc je raconte ma soirée :
1. C’et quoi, " les soirées de Mademoiselle Ja** " ? (sur le papier) « Mademoiselle Ja** » organise des « soirées privées » dans les clubs libertins (enfin, qui n’ont rien de privées, tout au contraire : elle cherche le maximum de monde !). Sa prestation consiste à annoncer des soirées dans tel ou tel club en diffusant un flyer sur les réseaux sociaux (toujours sur le même modèle : elle en petite tenue au milieu, bien photoshopée, le lieu et le n° de téléphone pour réserver indiqués dans des bulles autour), puis à battre le rappel auprès d’un maximum de troupes :
- les membres des deux sites de rencontre libertins (Netech****** et Nouslib****) où elle est beaucoup connectée pour faire la pub de ses soirées, avec une photo d’elle pour le moins… explicite (efficace pour inciter les hommes à venir à ses soirées, je présume ?).
- le fichier de mails dont elle dispose.
La preuve : maintenant que je suis dans ses fichiers, je reçois entre 1 et 3 mails d’elle chaque jour. Pour chaque soirée, elle l’annonce la veille (J-1), le matin (H-9) puis quelques instants avant (H-1). Bref, si vous n’avez pas compris qu’il faut aller à la soirée !!!
Conclusion : elle n’organise pas de « soirées privées », elle fait rabattrice pour les clubs échangistes en mal de clients (j’imagine qu’elle prend un % sur le chiffre d’affaires qu’elle génère au sein de chaque club).C’est sûr que quand c’est la jolie Ja** à poil sur ses affiches qui envoie trois mails pour dire de venir à sa folle soirée, ça doit attirer plus que quand c’est le propriétaire du club…
Ja** rabat pour quatre clubs parisiens : Le Château des Lys, Le Fullmoon, Le Liberty et Le Forty-One.
2. L’inscriptionSur le site Nouslib*****, je tombe sur la fiche de Ja**, qui du coup m’ajoute à ses fichiers, et je commence à recevoir 2 à 3 fois par jour ses mails. Mi-juin dernier, je décide d’aller à une de ses soirées, voir un peu comment cela se déroule. J’appelle sur le numéro en « 06 » indiqué sur les affiches, vers 18h pour le soir même (21h). C’est Ja** qui me répond, avec élégance : elle s’exprime bien, avec beaucoup de courtoisie ; bien évidemment, il n’y a aucune sélection particulière, elle se contente de me dire, sans demander ni nos âges ni notre expérience dans le libertinage, que nous sommes "plus que les bienvenus", que nous avons "toute notre place au sein de ses soirées", qui sont connues pour être "les plus belles soirées de Paris" et patati patata pour récupérer une chatte de plus à sa soirée (la mienne...).
Si Ja** s'exprime oralement avec élégance, trois éléments attirent mon attention, lorsqu’elle dit :
- «
Bien évidemment, vous et votre ami êtes mes invités personnels. Vous donnerez donc ce mot de passe … qui vous permettra de bénéficier de l’entrée et de toutes les consommations gratuites. » => Il n’y a pas de secret, quand c’est 100% gratuit pour les couples, cela signifie qu’un max de beurre sera fait sur les « hommes seuls » - vous avez alors soudain l’impression, en tant que femme, de venir faire la pute gratuite pour que l’organisatrice puisse facturer un maximum d’hommes à qui elle a implicitement promis le droit de vous baiser – en échange de votre Coca gratuit toute la nuit (même les conso sont offertes, ça dit bien qu'elle a VRAIMENT besoin de chattes à ses soirées).
- «
Je voudrais m’assurer que vous savez bien comment cela se passe, les soirées avec des hommes seuls. Ce soir il y aura 30 couples, 20 hommes seuls et 2 femmes seules, vous comprenez ce que ça implique les hommes seuls ? » Je réponds que « oui oui, je comprends, ce n’est pas une soirée réservée aux couples », «
voilà, il y aura des hommes seuls, qui auront le droit de participer, donc des moments de pluralité ».
- Au moment de clore la conversation, elle est très insistante : «
je compte vraiment sur vous ce soir, hein, vraiment vraiment, vous ne faites pas faux bond, je compte sur vous, à tout à l’heure, vous êtes mes invités ».
Bon ben c’est clair… ne pas s’attendre à la soirée la plus chic du siècle… son coup de "bien comprendre ce que signifie la présence d'hommes seuls", c'est bon oui, c'est assez clair...
3. Le lieu : le club échangiste "Château des Lys"
C’est donc une soirée un vendredi soir de juin, au Château des Lys, club échangiste situé 103 rue Marcadet, dans le 18e.
Le club est composé d’un rez-de-chaussée avec bar, piste de danse et salle à manger dans le fond, puis d’un étage avec les traditionnels « coins câlins » de toutes sortes.
Grosse déception liée au club :
Tous est vieillot, tout fait abîmé, les équipements sont tous un peu déglingués… Le pire étant vraiment, vraiment, vraiment les sanitaires (pas chics du tout, très, très loin de là, vraiment genre toilettes publiques pas entretenues) et le fumoir (petite salle sans aucune lumière, avec juste un seul tabouret en tout et pour tout, donc quand on est 6 ou 7 dans le fumoir, il y a un assis, et 6 personnes qui fument debout comme des cons…).
La salle à manger c’est une bonne vieille table posée dans la pièce, et ça fait vraiment « bonne franquette », serviettes en papier et assiettes en carton… La partie bar et piste de danse, ça fait boom de collégiens, avec les banquettes un peu cheap en revêtement pastique rouge entourant tous les bords de la pièce, boule à facettes et projos.
C’est… ben c’est pas du tout ça, en fait, les équipements.
Vraiment, si un jour je devais faire une soirée privée en club, je pourrais sans problème louer les Chandelles, le Mask, le Taken club, etc. : je serais très contente du décor…
Mais alors le Château des Lys, non !! Ca fait cheap, déglingué… et surtout gros gros problème des toilettes / salles de bain qui vraiment, ne sont pas à la hauteur.
Dommage car le lieu aurait du potentiel (bel escalier, éléments de décor sympas au 1
er), mais il faudrait au moins rafraîchir sérieusement la salle en bas, refaire les sanitaires et recruter quelqu'un qui nettoie un peu en continu, comme cela existe dans tous les clubs.
Bref, le Château des Lys est un lieu qui, déjà, ne m'inspire pas du tout de classe...
4. L'ambiance, les règles implicites
Première énorme surprise, l’ambiance du lieu. La salle ressemble donc à une bonne vieille boom avec des projos rouges / verts / bleus, et alors tous les hommes sont assis sur les banquettes, le regard dans le vide, la plupart les bras croisés, et attendent, sans rien dire, sans se parler entre eux, sans rire, sans avoir l’air de s’amuser. Rien de tout cela : juste le regard vide. Ca ressemble à une énorme salle d’attente bondée où tout le monde est silencieux et a le regard fuyant pour ne pas donner l’impression de fixe l’autre en face... Sérieusement, c’est hyper surprenant : vous entrez dans une salle à peu près rectangulaire, toutes les banquettes sont recouvertes d’hommes assis, et personne ne bouge, personne ne sourit, personne ne vous regarde, personne ne danse, personne ne se lève, rien… Il y a la musique du DJ, et tout le monde qui attend les bras croisés ou avec un verre un main, le regard vide – mais qui attend quoi au fait ? Qu’est-ce que c’est que cet étrange rituel ?
Quelques mots sur les proportions : on était vraiment loin des 30 couples et 20 hommes seuls indiqués par Ja**. C’était franchement risible… Quand je suis arrivée, il devait y avoir 7 ou 8 femmes en tout et pour tout, pour au moins 45 hommes, donc le ratio couples / hommes seuls était "plutôt déséquilibré", dirons-nous… (tarif pour les hommes seuls : 100€ l’entrée).
Bon, je n’ai pas bien saisi à quoi servait le système de réservations de Ja**, car c’était un employé du club qui faisait les entrées, et il ne filtrait pas : il suffisait qu’un homme arrive en disant « bonjour, je viens à la soirée de Ja** », il réglait ses 100€ et pouvait entrer… Et de toute évidence, cet employé n’avait pas eu la consigne de refouler après que 20 "hommes seuls" prévus soient entrés à l’intérieur, c’est clair…
Avec mon chéri, nous avons commencé par un tour à l’étage pour visiter, et il n’y avait personne dans les coins câlins. Non, tout le monde attendait bel et bien en bas, assis dans la pièce principale le regard vide, sans oser monter (en même temps qu’auraient-ils fait ? Tant que les rares femmes étaient en bas, ils restaient tous en bas). Mais ce qui est super curieux, c’est qu’ils ne semblaient pas du tout attentifs aux femmes, dans la salle… Ils attendaient sans chercher à engager la conversation, entrer dans des jeux de regards, comme si les quelques femmes présentes étaient transparentes.
Quand on est redescendu après notre petit tour du propriétaire, on a commandé deux verres (mon chéri était effaré, totalement effaré, il m’a dit : «
là on touche le fond, je veux bien que tu tiennes à ton blog mais là, quand même, qu’est-ce que c’est que cette soirée, mais où on est tombés !! C’est vraiment le pire, non là je suis désolé mais ce n’est pas possible, ça ce n’est pas du libertinage DU TOUT »). Il n’y avait plus un seul centimètre de banquette disponible – tous les hommes étaient assis dessus en rang d’oignon - et aucun n’a décollé d’un millimètre pour proposer au moins à la fille que je suis de s’asseoir… On a donc bu nos verres debout, comme deux idiots, en se demandant ce qu’on faisait là… C’était totalement flippant, en fait, tous ces mecs assis sans bouger, le regard livide… Je dis à S. de ne surtout pas me laisser seule (sans rire, je trouvais ces mecs inquiétants…)
5. Les participantsDans la salle, assises sur les banquettes, quelques femmes, 4 il me semble. Comment dire… toutes ont en commun d’être très peu privilégiées physiquement – l’une d’entre elle portait une petite robe genre sex-shop, ultra-moulante avec des parties en grosses mailles sur les côtés qui laissaient largement voir son corps, et elle ne portait aucun dessous. Classe ! Surtout, disons que cette petite robe était au moins 3 tailles trop petites pour elle, ça ne la mettait pas du tout en valeur, ça faisait un peu « mon mari m’a obligé à revêtir cette horreur qu’il a du acheter au sex-shop du coin, et ça ne me va pas du tout… ».
Il y en avait une autre qui défiait les sommets de vulgarité… C'est-à-dire une femme, la cinquantaine environ, maquillage ultra-outrancier, qui avait une robe moulante façon cuir, avec deux trous au niveau de la poitrine (et elle ne portait pas de soutien-gorge, elle non plus, aussi ses deux seins dépassaient des trous du décolleté), et un trou triangulaire au niveau des fesses (et pas de culotte, donc on voyait vraiment ses fesses…). La classe ! Genre la robe « si t’as pas compris que je suis venue me faire baiser, alors que je te montre mes seins et mon cul !!! ». Dans un rituel SM oui, peut être, je verrais cette robe « seins et raie des fesses à l’air », mais choisir pour aller à une soirée libertine, et bien… cela dit bien la vision du libertinage de la dame :-)
Les deux autres femmes étaient à l’avenant…
Je le dis vraiment sans la moindre prétention, et avec beaucoup de tristesse d’écrire un truc pareil, mais disons que en dehors de ce club, aucune de ces femmes ne devait être de celles qui attirent les regards et la convoitise des hommes. J’ignore ce que pouvaient être leurs vies, mais elles ne devaient pas être très coutumières des sollicitations romantiques (et, je me répète, je l’écris avec beaucoup de respect, et puis si ça se trouve je me trompe !!). En fait, mon chéri m’a dit, avec toute sa finesse d’homme ( ! ) et toute la liberté que l’on peut prendre dans un propos strictement privé : « les femmes qui sont là, c’est vraiment la Cour des miracles, elles me font de la peine ».
Ce qui était pathétique, c’était le spectacle de la mauvaise foi et l’imposture des hommes assis à côté d’elles, qui n’en avaient strictement rien à foutre d’elles, qui ne feignaient même pas la séduction la plus élémentaire, mais qui dans moins d’une heure seraient pourtant à 10 sur chacune pour les baiser et les sodomiser sans ménagement…
Un peu à l’écart de cette salle hyper flippante où tout le monde reste assis immobile, il y a deux filles qui parlent entre elles, qui ont à peu près mon âge et semblent du même style, même genre que moi. Mon chéri me demande d’aller les approcher, tranquillement, me renseigner sur ce qu’elles cherchent ici, s’il peut y avoir une ouverture… Elles mettent tout de suite les choses au clair : « Pas de malentendu, on vient ici toutes les deux pour se soutenir mutuellement, on accompagne des hommes, on ne cherche pas d’autres relations qu’avec nos partenaires respectifs ». En discutant quelques minutes avec elles, elles m’avouent évidemment qu’elles sont payées, et m’apprennent leur motivation : l’entrée est gratuite pour les couples, ce qui évite à leur « client » de payer l’hôtel donc « on peut gratter un peu plus pour nous vu qu’il n’a pas les frais d’hôtel, on lui dit qu’on connait un bon plan et on l’entraîne ici », elles peuvent être ensemble donc « se soutenir », le monde autour leur offre une certaine sécurité, la foule qui ne manque pas de se former autour de quiconque «passe à l’acte » fait que leur « client » ne s’éternise pas, « ça va vite, c’est vite passé, le sexe est assez rapide ».
Bref… Je retourne expliquer à mon chéri que «c’est mort » avec les deux filles qui avaient l’air « normales ».
Quant aux homes présents… C’est très loin d’être la grande classe. L’immense majorité d’entre eux est en tee-shirts et jeans… Dans mon souvenir, seuls deux sont chics (chemise, …). Surtout, ils ont tous l’air tellement cons, assis sans bouger à regarder dans le vide !! Mais qu’est-ce qu’ils attendent ??!! Pourquoi personne ne se parle ? Pourquoi personne ne se sourit, au moins ?
Certains hommes présents me font franchement flipper.
Cette scène me reste en tête comme quelque chose de terriblement déshumanisant, pour tous les hommes (et les quelques femmes) présents. Ils attendent comme des bestiaux, regroupés dans une pièce, assis sans sembler s’amuser, dans l’attente d’un éventuel signal qui leur permettra d’aller tirer leur coup… Les femmes attifées de tenues « sex shop » ne sont même pas séduites avec un minimum d’attention, elles attendent comme les hommes… Tandis qu’un peu plus loin, deux filles qui ont la trentaine sont là pour se prostituer en « se soutenant mutuellement »… Cela me reste en mémoire comme une scène particulièrement glauque, d’une tristesse infinie. C’est ça le libertinage, « les plus belles soirées privées de Paris » comme s’en vante Ja** sur ses affiches ?
C’est le sexe dans sa pire pauvreté psychologique. C'est-à-dire que ce n’est pas la partouze joyeuse, bon-enfant et un peu « à la bonne franquette » où les apparences comptent peu (on peut venir en tee-shirt, en short, on s’en tape), ce n’est pas non plus un simulacre de séduction, même grossier. Ce sont des hommes et des femmes qui attendent immobiles qu’on veuille bien leur donner l’autorisation d’aller au 1
erétage baiser les uns les autres, alors que 5 min avant ils ne se parlaient même pas, quand ils en avaient l’occasion.
Sincèrement, ça m’a effarée, tous ces gens assis en rang d’oignon, immobiles, pendant un temps infini, à regarder dans le vide. Et je n’en rajoute pas, je revois encore certains hommes dont le regard était perdu dans le vague, les bras croisés sur leur petite banquette…
6. Ja**Cela fait environ 20 ou 25 min que nous sommes là (à faire le tour, boire un verre, fumer une clope, fumer une 2
e clope, etc), et rien n’a changé. Tout le monde est toujours dans la salle, pas une seule personne ne danse, ni rien. Nous n’avons toujours pas vu la fameuse Ja**, et nous imaginons donc que tout le monde attend qu’elle se pointe pour monter dans les coins câlins ?
On a très envie de partir, mais un membre du staff du Château des Lys nous indique que Ja** ne va pas tarder, d’une minute à l’autre, elle est dans le coin, etc… (les deux filles avec qui j’avais parlé, qui se prostituaient, m’avaient dit l’avoir croisée un peu avant que j’arrive, donc elle était bien dans les parages, visiblement…
Donc on se décide à l’attendre, cela doit bien faire 40 min que nous sommes dans le club quand elle arrive. J’avoue qu’entre temps, on avait réussi à piquer un bout de banquette et à s’asseoir à deux (oui oui absolument, on avait réussi à piquer un tout petit bout de banquette juste à côté de la poste des toilettes, cf.mon petit plan ;-)…). Ja** donc : elle est belle, même très mignonne (bien qu’elle doive être un poil photoshopée sur ses affiches), assez rayonnante, elle porte une robe élégante qui lui va très bien (haut bustier noir, bas en jupons superposés un peu façon tulipe, enfin c’est élégant et très joli, pas du tout vulgaire). Elle est très à l’aise, tout le monde la reconnait à son arrivée, un petit attroupement commence à se former autour d’elle…
Mon chéri veut absolument la saluer et lui fait signe, elle nous fait la bise comme si on se connaissait depuis 20 ans, très chaleureuse, et nous dit que ça lui fait très plaisir de nous revoir (bon, c’était la 1e fois qu’elle nous voyait, et cela m’étonne que vu le peu de filles qui étaient là elle ne remarque pas que l’une d’entre elles (moi) était nouvelle, mais bon, aucune importance, on acquiesce à son plaisir de nous « revoir »). On échange quelques mots avec elle qui confirment mon impression : c’est une fille élégante, sympathique, à des années lumière de la vulgarité qu’elle affiche sur ses flyers racolleurs.
A mon avis (bien sur ce ne sont jamais que de pures suppositions), Ja** voit parfaitement la médiocrité générale de ses soirées, mais elle se dit qu’elle bosse, que c’est du taf, qu’elle gagne sa vie, qu’il faut bien le faire, "rabatteuse" pour les clubs échangistes, c'est un taf ingrat, c'est clair… C’est mon hypothèse, car vraiment je n’arrive pas à « associer » la jeune femme élégante et avenante croisée à la soirée, et la fille à poil au centre de l’affiche, qui montre sa chatte sur les sites libertins, tout en écrivant sur un de ses flyers (« asian fantasm ») : «
Faire l’amour à une asiatique, le rêve de tout péquin… » (bref, qui organise le fantasme sur sa propre personne pour attirer des mecs qui n'ont pas du baiser depuis au moins un an...) ou encore «
Mais si je préfère un homme poli pour me chérir, gare tout de même à ne pas trop te polir le chinois avant de venir me voir. Je ne te parle pas simplement d’avoir le bambou… Tu tiens le bon bout pour que je t’offre mon petit panier d’amour. » Hummm, la classe…
7. Bon, alors, le sexe ?
Après cet interminable épisode d’attente dans la grande salle, tout le monde commence à monter au 1
er étage. Et là… des attroupements se forment dans les coins câlins, je n’aime pas du tout l’ambiance, c’est électrique, il y a une très grande tension, presque une agressivité générale, comme si les hommes devaient rattraper le temps perdu et « profiter enfin de leur dû » : ça se bouscule beaucoup, des mecs me poussent (!!) pour me faire entrer dans les coins câlins (!!), il n’y a aucune considération ni aucune séduction vis-à-vis des femmes, c’est juste « de l’acte », du sexe débarrassé de tout ce qui le rend humain, intéressant, exaltant. Si les quelques filles présentes étaient venues là pour se faire baiser, au sens le plus brut et animal du terme, elles sont absolument servies…
Je fusille du regard ceux qui ont tenté le truc subtil de me pousser sur les matelas ( !!) puis fais un tout au 1
er dans cette ambiance : tous les mecs ont déjà le sexe à l’air, bandent comme des malades avec le regard agressif, alors qu'il n'y a pas encore une seule fille déshabillée (ils s'en foutent, visiblement, ils sont prêts, ils ont tous enlevé leurs jeans)... je n'aime pas du tout, j'ai juste envie de partir le plus vite possible de cette ambiance...
Comme je refuse coup sur coup pas mal d’approches pour le moins subtiles (ironie), j’entends plusieurs hommes dire « laisse tomber ça doit être une pute elle aussi » (hum, classe, merci !). Je ne lâche pas la main de S., que tout cela finit par faire plutôt rire, un peu genre «
Voyage en terre inconnue » : il y a donc des hommes et des femmes qui organisent leur sexualité de cette façon-là, et y trouvent du plaisir ?
Pour donner un exemple, à un endroit de l’étage, à droite du couloir il y a un petit renfoncement, on y accède en descendant quelques marches, c’est un espace avec un grand matelas recouvert de plastique. Le couloir est séparé de cet espace par une petite rambarde, si bien qu’on est tout juste contre la scène, on peut absolument tout observer depuis le couloir, en s’accoudant à la rampe.
Lorsque nous passons, avec S., la rambarde est recouverte d’un attroupement d’une bonne dizaine d’hommes qui observent la scène sur le matelas, dans un silence religieux, hormis les bruits liés à leur intense activité de branlette en direct. La scène, c’est une malheureuse femme (à moins qu’elle adore ça et qu’elle soit très heureuse ?) prise entre 4 ou 5 mecs en tee shirts et plus rien en dessous sinon leur érection, qui se partagent les faveurs de sa bouche et de son sexe. Le pauvre malheureux qui est en train de la besogner est non seulement entouré de 3 comparses le sexe à l’air qui attendent leur tour, mais aussi de 10 observateurs contre la rampe. Bref, nul doute qu’avec toute cette pression autour de lui, il profite à fond du moment de plaisir qu’il est en train de vivre, en toute intimité……. Et la fille, ben, un bout de viande - enfin c’est ent out cas mon jugement sur la scène : si elle a une fibre exhib hyper-ultra-développée, elle doit bien y prendre son pied, d’une façon ou d’une autre… Tout ceci, donc, sur fond sonore d’ « astiquation » continue et de petits râles dû aux 10 mecs en train de se branler en surplombant la scène…
Et voilà, c'est comme ça un peu partout au 1er, des attroupements de la sorte autour des femmes, dans les "coins câlins", qui sont plus branlettes que câlins, mais bon... Pour 100€ l'entrée, un "homme seul" a le droit à ça...
Ce soir-là, S. et moi ne ferons strictement rien. Nous repartons peu après, en ayant entre temps constaté que vraiment, les sanitaires sont hyper salles (le genre de truc, ça vous passe de suite votre envie de faire pipi), ce qui achèvera de nous convaincre que le lieu et la soirée se valent, en termes de "pire".
On ne doit que 10€, le prix du voiturier, c'est tout, car "nous étions les invités de Ja**".
Mouais.....
8. ConclusionConclusion : sur la base de ce que j'en ai vu, il me semble que les hommes qui étaient à cette soirée s'imaginaient purement et simplement être au bordel. Dans un bordel, il n'est absolument pas nécessaire de feindre un semblant d'intérêt pour les filles, de leur faire la conversation, rien de tout cela... Juste une passe. Juste l'acte. Cela m'a fait penser à cela. J'ai trouvé cette soirée rabaissante et humiliante tant pour les hommes (l'interminable attente en bas, le regard vide...) que pour les femmes. Le sexe errant et aberrant de Ricœur, malheureusement...