J’adore cette citation dont je partage entièrement l’esprit.
Je n’en peux plus que le libertinage soit défini par le simple fait de pratiquer une « sexualité de groupe »
(cf. le message véhiculé par ce très, très populaire site sur son visuel publicitaire : libertinage = 4 personnes dans le même lit). Je trouve cette acception d’un ridicule achevé... Sans parler des cases, les fameuses cases scientifiques (les bras m’en tombent)
de tous ceux qui expliquent que
« parmi les libertins, il y a les échangistes, les mélangistes, les côtes-à-côtistes, les triolistes, les candaulistes, les exhibitionnistes, les voyeuristes, les voyeuristes-onanistes, etc etc… ». Pffff…
mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de tout ça, vraiment… Quelles conneries… Dans le langage usuel, être libertin consisterait donc – à notre siècle - à être bien sagement en couple, et à s’encanailler (comprendre : tromper son ennui) en baisant
de telle ou telle façon avec des inconnus dans des clubs qui n’ont de « libertin » que le nom, ou rencardés sur le net pour des « soirées Netech’ ».
Vraiment, quel leurre ! Libertinage de pacotille, vendu « prêt à consommer » par des professionnels du « divertissement » pour occuper les samedis soirs désœuvrés de couples qui s’emmerdent comme des rats morts…
Heureusement que nous sommes encore quelques uns, semble-t-il, à nous dissocier de ce conformisme débile, consumériste et libéral, et surtout anti-érotique au possible… A considérer que la liberté commence à l’inclassable, justement, donc certainement pas à une liste de pratiques sexuelles… Vive la définition de Michel Onfray ! Surtout, ce serait difficile de ne pas parler ici des livres de Michel Onfray (qui se définit lui-même comme un "philosophe libertin"), tant cet homme a pour moi de l’importance (je l'admire profondément).
Toutes les citations ci-après sont extraites de ces livres, je précise lequel en italique. Onfray définit avant tout le libertinage par une façon de penser librement : la pensée libertine est celle qui est «
affranchie, autonome, indépendante, peu soucieuse des mots d’ordre d’une époque et des modes qui font de presque tous des domestiques et des valets. Le libertin est le contraire du serf, il est sans Dieu et sans préjugés, sans crainte et sans peur, car il n’a rien ni personne à ménager. Sans maître, donc. »
Le désir d’être un volcanCe à quoi il ajoute, sur le terrain érotique : «
Ni les dieux ni les rois ne parviennent à l’entraver – encore moins, donc, un ou une partenaire dans une histoire amoureuse, sensuelle, sexuelle ou ludique. »
Théorie du corps amoureuxIl définit le libertinage par un culte du mouvement, en opposition à tous ceux qui veulent fixer et enfermer le désir dans une immuabilité :
«
Qui propose et se propose toutes les occasions de fixer, figer, arrêter le cours des choses dans des formes socialement apaisantes [couple, foyer, enfant], mais déplorables pour l’amour et la passion ? Qui joue Parménide contre Héraclite ? Qui voudrait pouvoir toujours se baigner dans le même fleuve, immobile en son courant ? Qui recherche la paix, le calme, les habitudes, la quiétude, l’installation, fût-ce au prix de la passion, de la brûlure, de l’incandescence et de l’improvisation ? Qui préfère le chien repu, mais le cou entravé par un collier, au loup, affamé, certes, dans l’insécurité du jour et du lendemain, mais souverain, libre ? Qui souhaite faire aboutir la flamme de Tristan pour Iseut, de Roméo pour Juliette, dans la minuscule chaufferette du mariage et du couple à demeure ? Que chacun réponde en son âme et conscience. »
Le désir d’être un volcanSon constat (qui sous-tend l’ensemble de son œuvre, cf. bien sûr sa
Contre histoire de la philosophie) prend pour base une « intoxication » par deux millénaires de christianisme véhiculant un idéal ascétique, qui «
n’ont produit que haine de la vie et indexation de l’existence sur le renoncement, la retenue, la modération, la prudence, l’économie de soi et la suspicion généralisée à l’endroit d’autrui. »
Théorie du corps amoureuxDans le domaine de l’érotisme, il parle du «
lent étouffement [de la libido] par la promotion de ce qui deviendra [à la suite à Saint Paul notamment] la famille monogame occidentale, le couple et ses enfants : la crucifixion de Dionysos et la célébration de la joie des ectoplasmes. »
Manifeste hédoniste(remarque de ma part : c’est clair que toutes les filles de mon âge que je connais rêvent juste de trouver le mari parfait et d’avoir des enfants, et si elles constatent une tromperie, soit elles poussent des hurlements «
le salaud c’est fini je ne veux plus jamais en entendre parler », soit elles disent «
bon j’ai pardonné une erreur, je ferme les yeux cette fois mais je ne pardonnerai pas deux fois », soit elles disent «
je le sais bien, mais je fais comme si je ne voyais rien… car si il sait que je sais il faudra se séparer, et pour l’instant je préfère rester avec lui (en gros, je préfère mon confort, tant pis pour les faux-semblants) », soit elles disent «
oui je sais, ou du moins je m’en doute, mais ça m’arrange, au moins il ne me fait pas ch… tous les soirs pour tirer son coup et il est plus cool avec moi sur plein de sujets, car il doit se sentir coupable au fond ». Donc qu’on n’aille pas dire que les religions n’ont aujourd’hui plus le moindre impact : le modèle est bien ancré, assis sur un culte moderne de la sécurité et de la stabilité).
Voilà l’anti-libertinage par excellence pour Onfray : le couple bourgeois, englué dans des mythes d’amour éternel et de fidélité absolue («
la castration symbolique de tout jeune marié qui se respecte »), avec pour points cardinaux :
monogamie / cohabitation / fidélité / procréation.
Or «
le désir est naturellement polygame, insoucieux de la descendance, systématiquement infidèle et furieusement nomade. » Le désir d’être un volcanCe fameux mariage bourgeois a donc des conséquences déplorables : «
l’adultère qui l’accompagne toujours en contrepoint, la névrose familiale et familialiste, le mensonge et l’hypocrisie, le travestissement et la tromperie, le préjugé monogamique, la libido mélancolique, la féodalisation du sexe, la misogynie généralisée, la prostitution élargie, sur les trottoirs et dans les foyers assujettis à l’impôt sur les grandes fortunes. »
Théorie du corps amoureux De quoi conduire tout droit «
dans les bouges, les bordels ou sur le divan des psychanalystes » car «
Adopter le modèle dominant suppose une violence infligée à sa nature et l’inauguration d’une incompatibilité d’humeur radicale avec autrui en matière de relation sexuée. »
Théorie du corps amoureuxAlors quoi ?
Onfray postule «
une réponse aux malaises de tous ordres qui avancent Thanatos et ses ombres – là où peuvent et doivent triompher Eros et ses lumières. » Le désir d’être un volcanNotamment :
« Un pas sera fait quand nous cesserons de condamner la libido et que nous proposerons une libido libertaire avec un éros léger qui indexe la sexualité non pas sur l’amour, la fidélité, la monogamie, la procréation, la cohabitation, mais sur le projet moins ambitieux d’une intersubjectivité libre, joyeuse, pacifiée, voluptueuse dans laquelle l’objectif est moins l’idéal familialiste paulinien [Paul de Tarse]
que la proposition ouverte d’une construction de son érotisme dans la liberté du consentement d’autrui ».
Manifeste hédonisteMichel Onfray se revendique donc comme « philosophe libertin » et appelle à :
- « un libertinage solaire et un éros léger ;
- une métaphysique de l’instant présent et de la pure jouissance d’exister ;
- un épicurisme ouvert, joyeux et poétique ;
- rejeter « la vie mutilée, fragmentée, explosée, éparpillée que fabrique notre civilisation aliénante indexée sur l’argent, la production, le travail, la domination. » Théorie du corps amoureux
(Nota : même Eric Zemmour, familialiste au possible, reconnaît parfaitement que foyer et désir ne peuvent faire bon ménage. La différence étant que lui prône le maintien du foyer à tour prix, et le statu-quo des faux-semblants (tout le monde sait bien que l’homme va voir ailleurs, mais tant pis…), quand Onfray (et moi, modestement ;-)) rejettons le modèle familialiste. Zemmour explique assez bien : « Dans les sociétés patriarcales traditionnelles, on avait pris acte de la dichotomie [entre foyer et désir]. Il y avait les épouses pour le mariage et les enfants ; les maîtresses pour l'amour ; les courtisanes ou le bordel pour le plaisir. Chacune de ces femmes faisait un sacrifice : l'épouse avait la sécurité et le statut social, le respect, mais rarement le plaisir et le romantisme des sentiments ; la maîtresse, courtisane ou non, avait celui-ci et parfois même le plaisir, mais pas la sécurité ni le statut social ; la prostituée semblait la moins bien servie, mais elle avait l'argent, parfois elle avait même l'amour... Seul l'homme parvenait, ravi, à rassembler ce kaléidoscope ; il avait tout ce dont il rêvait mais en plusieurs personnes.» Zemmour tourne aussi en dérision le mythe moderne de « tout vouloir » : « Les femmes aujourd'hui veulent tout : amour, désir, statut. Mariage et plaisir, enfants et romantisme. La plupart du temps, elles n'ont rien. Qui trop embrasse mal étreint. […] (Et) les ventes de viagra augmentent en flèche. » (Eric Zemmour, Le premier sexe) Pour en revenir à Onfray : le libertinage solaire qu’il prône est à l’opposé du mariage bourgeois :
« Le libertinage solaire n’est en rien pourvoyeur de ce qui s’abîme dans une relation bourgeoise fixée et figée dans le couple au sens classique du terme, car il vise autant que faire se peut l’éternisation de la passion, sa durée la plus longue sous les auspices les plus denses.
Son dessein n’est pas la vie sous le même toit, la maternité ou la paternité, les habitudes, l’ennui, le mariage, puis un jour l’adultère, mais l’entretien de l’incandescence consubstantielle à la relation sinon passionnée, du moins amoureuse, des premiers temps radieux. »
Le désir d’être un volcanLes premiers temps radieux, on les retrouve auprès d’autres individus aussi libres… Avec pour «
impératif catégorique de ce libertinage nouveau la maxime de Chamfort : « Jouir et faire jouir sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, le fondement de toute morale. » »
Du libertinage féodal au libertinage solaireAvant même que Zemmour ne lui objecte son goût pour Sade et Bataille (et la transgression morbide) en précisant «
je pense que ce sont eux les vrais libertins » ( !! ), Onfray avait établit une typologie des libertinages dans le premier tome de son
Journal hédoniste. J’ai écrit plusieurs fois sur ce blog qu’il y avait selon moi le libertinage « avec ou sans séduction », autrement dit, « avec ou sans supplément d’âme », mais sa typologie ci après entre libertinage féodal / bourgeois / solaire me parle aussi parfaitement…
1. Le libertinage féodal. Oh que oui…
«
Le libertinage que j’appellerai féodal s’est manifesté – et peut encore se manifester – sur le terrain d’une cruauté objectivante : mon désir est mon plaisir et autrui n’est jamais qu’un pur objet, pour moi, dans ce processus de réalisation de mes fantasmes. Tout ce qui n’est pas le libertin qui veut est chose parmi les choses, objet parmi les objets. De même nature que la pierre et l’arbre, le ciel et la foudre parmi quoi il vit, l’autre, pour le libertin féodal, est fragment d’un monde qui tout entier lui appartient. Il se contente de réaliser le projet cartésien : se rendre maître et possesseur de la nature dans laquelle les autres gisent comme poissons dans un vivier. Sade formule le projet sans complexe : « La destinée de la femme est d’être comme la chienne, comme la louve : elle doit appartenir à tous ceux qui veulent d’elle. » […] Le portrait du libertin féodal tient en quelques traits : il est un grand transformateur d’êtres en choses, de sujets en objets ; il fait de la guerre et du théâtre des métaphores pour un jeu cruel qui désigne un gagnant et un perdant, un bourreau et une victime ; enfin, il recourt au verbe comme à une arme soporifique, il use de sa faconde tel un magnétiseur spécialiste en narcoses. Je ne veux pas retenir ces lignes de force qui ne m’agréent pas dans la perspective d’un hédonisme bien compris. »
Le désir d’être un volcan[Commentaire : oh que oui… On peut bien sûr parler de tous les hommes qui considèrent leur compagne comme « leur propriété » qu’ils forcent donc à participer (ou du moins à les accompagner) dans des soirées en club ou autre…
Lire par exemple le témoignage édifiant de Monique Celdran, Libertinage l’Enfer du Décor : après quelques mois de liaison son compagnon parvient à la manipuler complètement, à l’obliger à participer à des soirées libertines, puis à se faire tatouer, piercer, etc… tout cela étant vécu par elle dans une immense souffrance, dont le compagnon qui devait la considérer comme un meuble se foutait complètement). On peut aussi évoquer tous ceux qui se comportent comme des petits maîtres dans les clubs – combien de fois ai-je entendu au bar de tels lieux : « on va tous lui passer dessus », « elle va prendre cette salope », « de toute façon c’est une nympho », etc… Et ce y compris dans les clubs prétendument huppés de la capitale…
2. Le libertinage démocratique et bourgeois. Oui, aussi…«
Le libertinage féodal se métamorphose, avec la révolution industrielle, en un libertinage que j’appellerai démocratique et bourgeois. Les salons, les boudoirs et les sofas sont remplacés par les chambres d’hôtel borgnes, les portes cochères et les soupentes de garnis meublés. Apparaissent alors Nana ou Emma Bovary, avers et revers de la même médaille. Puis, cette forme particulière de libertinage se développe jusqu’à Sartre via Georges Bataille. Celui qui l’avait précédé, féodal, se définissait par la cruauté objectivante ; celui-là bourgeois, met en avant le principe de consommation accompagné peu ou prou d’un sentiment de culpabilité qui se manifeste dans l’association du sexe au sale, au dégoûtant, au méprisable. […] Libertins consuméristes, familiers du bordel ou des minitels, amateurs de listes et néoféodaux, ils sont l’exact envers des prêtres auxquels, pour cette raison, ils ressemblent tant, ce en quoi Georges Bataille peut paraître leur parangon : un mixte de curé défroqué et de jouisseur de bidet. Et ils sont proches des ecclésiastiques castrateurs et les gnostiques modernes du genre de Bataille : tous pratiquent l’épectase, plutôt rue Blondel. […] Bataille familier des maisons closes, Sartre jonglant dans son emploi du temps pour pratiquer un libertinage qui, au dire des proies qui furent siennes, montrait un homme moins habile au lit que devant sa machine à écrire, tous deux ont illustré les vertus prudhommesques du bourgeois au lit, complexé, malhabile, peu inventif, inhibé – nocturne. »
Le désir d’être un volcan [là encore, cela me parle complètement… combien d’hommes mariés, par exemple, viennent dans la plus grande honte errer dans les lieux libertins, espérant pouvoir grappiller une petite transgression de pacotille… tout en se disant que ces femmes qui se donnent se déshonorent, et vivant dans l’illusion que leur foyer est « beau », lui, et que leur femme, elle, « ne ferait jamais une chose aussi immonde » (combien disent :
moi, jamais je ne viendrais avec ma compagne ! cela ne me viendrait jamais à l’esprit de lui proposer, quelle horreur !), et pas très fiers de faire un truc un peu moche pour avoir un peu de sexe…
3. La proposition de Michel Onfray : « un libertinage que je veux solaire, rayonnant et irradiant »« Que propose d’autre le libertinage solaire, s’il ne veut ni une relation féodale, ni sa modalité bourgeoise ? Un contrat hédoniste visant la durée maximale des jubilations et des jouissances ; une existence à deux dont le lien soit la passion. […] Dans ce libertinage solaire, l’autre est un sujet, la métaphore est moins le champ de bataille que la chambre, le verbe n’est utilisé comme moyen de s’informer des désirs et des plaisirs de l’autre, puis de lier ses destins le temps d’un contrat hédoniste et libertaire. On y congédie la fixité et la mort, tout en ayant souci du regard de l’autre et de la différence radicale des sexes. […] Le libertinage solaire exige le contrat, l’accord tacite des deux protagonistes. De sorte que, paradoxalement, il peut aussi bien recycler le libertinage féodal si d’aventure il est de part et d’autre pratiqué en accord. […] Obtenir l’assentiment de l’autre, donc, est fondateur d’une légitimité dans la relation. Mais pour savoir ce que l’autre veut, il faut aussi dire ce que l’on désire. D’où une fine volonté de communiquer, de lancer des signes, de faire d’imperceptibles gestes permettant une information de qui l’on désire. Ce qui suppose, corrélativement, qu’on soit également averti, soi, de ses propres désirs, conscient de ce que l’on veut, clair sur ce à quoi on aspire, ni en deçà, ni au-delà.» Le désir d’être un volcan[Voilà ! Ce que j’appelle « libertinage avec séduction » est mieux exprimé par Onfray : « communiquer, de lancer des signes, de faire d’imperceptibles gestes permettant une information de qui l’on désire ». et le « connait-toi toi-même » me semble fondamental également…]
Bref : merci Michel Onfray !Plus d'infos et toutes les références de ses livres : http://mo.michelonfray.fr/