Nous sommes tous-tes le produit d’une société patriarcale, dans laquelle des constructions sociales norment notre quotidien. Parmi les règles implicites, les stéréotypes de genre s’imposent à nous dès la naissance. Pour autant, nos âmes d’humains ne sont pas si facilement apprivoisables et chacun-e de nous se révèle avoir son identité propre, qui vient parfois bousculer ces destins tracés. Les différentes orientations sexuelles, les variétés d’identités de genre sont là pour l’attester, autant que toutes ces personnes à qui on colle l’étiquette de « garçon manqué » ou « fille manquée ».
Dans la peau d’une fille « garçon manqué » face aux stéréotypes de genreDans les années 90, être une petite fille signifiait souvent porter des jolies robes, préférer « naturellement » le rose au bleu, regarder Princesse Starla et les joyaux magiques, jouer avec des Barbie et des poneys aux cheveux multicolores, faire de la GRS et rester entre filles à la récré sur les côtés de la cour. Quand tu ne rentrais pas dans ce cliché, tu étais… un garçon manqué !
J’avais quelques Barbie que j’affectionnais et des jolies robes finement sélectionnées par maman, mais je me battais toujours pour porter des baggys, jouer avec des voitures télécommandées, des pistolets à eau gros calibre ou me prendre pour un Power Ranger avec mes cousins ! Je rejoignais les garçons pour faire une partie de basket-ball au milieu de la cour et sacrilège, ma couleur préférée était le bleu ! Il n’a pas fallu longtemps pour qu’on me colle cette étiquette de « garçon manqué ».
Capture du clip « Like a Boy » de CiaraJ’avais donc raté cette belle occasion d’être un garçon ! Cette expression exprime clairement que si tes goûts et façons d’agir correspondent aux caractéristiques sociales attribuées aux garçons, tu aurais donc un « trouble » de la sexualité et du genre. Ce type de dénomination, utilisée par grande paresse intellectuelle, garçon manqué ou fille manquée, peut causer de réelles perturbations dans la manière dont on se perçoit enfant. Cela n’est pas sans impact sur la façon dont on se construit, sur le rapport qu’on entretient aux autres et à son corps.
Durant mes dernières années à l’école primaire, je me suis posée beaucoup de questions. J’avais une voix plus grave que les autres petites filles (une voix rauque commune dans ma famille) et j’excellais en sport « comme les garçons ». Contrairement à la majorité des autres petites filles, j’aimais beaucoup jouer et parler avec les garçons sans que ce soit « un amoureux ».
Un jour, la question sort : « Maman, tu crois pas que je suis un garçon caché dans un corps de fille ? » Drôle de question, car je me sentais pleinement fille. Je n’avais pas réellement le sentiment d’être un garçon, je ne me sentais pas du tout transgenre. Mais, cette société qui me renvoyait constamment à une inadaptation au genre féminin me faisait douter.
À l’approche des fêtes de Noël, quand le postier livrait le Saint-Graal, à savoir le catalogue de jouets, j’allais directement vers les pages bleues, ciblées pour les garçons. Ces jouets-là me donnaient plus envie et me correspondaient plus. Ce genre de détails à la con vous voyez. Comment ne pas douter de qui tu es ?
Image d’un catalogue de jouets Carrefour L’ image de la bonne pote, mais qui émascule les garçonsSi je devais résumer mon entrée corporelle dans l’adolescence, je dirais ceci : fléau de l’acné, des poils en masse arrivés plus tôt que chez mes copines, un sentiment de honte de voir ma poitrine se former, puis le complexe d’avoir finalement des petits seins, l’embarras de faire une tête de plus (voire deux) que quasiment tous les garçons de la classe (et même d’être plus poilue que certains), l’étonnement d’être plus forte en sport que plein de garçons. Le petit démon du doute dans ma tête qui se balade encore : « Parfois, on dirait que je suis même plus un garçon que les autres garçons, qu’est-ce qu’on fait avec ça du coup ? ».
Photo by RF._.studio on Pexels.comPuis sans crier gare, vinrent les premiers compliments maladroits des garçons et l’admiration de quelques copines. Ma puissance en sport était devenue un motif de respect social et de séduction physique. J’ai porté un peu moins de baggys et plus de jeans moulants (la mode des tailles basse à la Britney Spears, qui s’en souvient ?). Les garçons étaient toujours des potes, mais parfois du désir s’entremêlait avec l’amitié. L’arrivée des premières vraies attirances traçait son chemin.
Pourtant d’un naturel très timide, il m’est arrivé de prendre les devants pour faire avancer un jeu de séduction qui s’éternisait trop. Pourquoi attendre toujours qu’ils fassent le premier pas et ne pas oser draguer les mecs ? Ce que je n’avais pas compris, c’est que les règles de la drague sont établies et que les modifier est également inquiétant pour eux. À 13, 17 ou 20 ans, même constat : les garçons paniquent vite, voire font marche arrière devant une fille « trop » entreprenante. Ce sont eux les chasseurs et nous les proies dans l’imaginaire sexuel. Visiblement, encore une fois je n’avais pas bien compris les codes pour être une « vraie fille ». Retirer son rôle de chasseur à la gent masculine, c’est semblable à les émasculer. Sur cette question de la masculinité, je vous invite à lire d’ailleurs l’article Sexualité masculine, virilité et clichés.
Grande, douée en sport, musclée, pas discrète pour un sou et en plus je fais le premier pas ? Oh, elle veut pas se calmer la petite avec ses attitudes de mâle dominant ? Ajoutons à cela qu’une fille/femme noire est de base perçue comme agressive et indomptable (avec tout ce que cet adjectif évoque comme imaginaire colonial évidemment). Ma place dans la féminité n’allait clairement pas être si simple à trouver.
Une sexualité assumée, encore un attribut masculin ?J’ai eu la chance de lire très tôt des livres pour ados qui informaient en matière d’éducation sexuelle. Merci à mes parents, qui me laissaient lire tout ce que je voulais, me laissant développer ma passion pour la lecture. De plus, ma mère n’était jamais réticente à répondre aux questions que je me posais, que ce soit sur le sida, la grossesse ou les règles par exemple. Tout cela a contribué à ne jamais avoir peur d’en parler ouvertement avec les filles comme les garçons, à considérer cela comme un élément naturel de la vie, et à me permettre une entrée sereine dans ma sexualité ensuite.
Photo by Andrea Piacquadio on Pexels.comPourquoi cacher son désir à une personne qui nous attire ? Pourquoi se refréner de coucher le premier soir quand on en crève d’envie ? Je ne voyais pas pourquoi se perdre dans de telles considérations. Encore une fois, je ne restais pas à ma place de fille, mais vous l’aurez compris, c’était foutu depuis longtemps pour y arriver. J’étais une ado et jeune adulte libre dans ma tête et dans mon corps. Forcément, ce n’était ni très bien vu du côté des filles, ni de celui des garçons. Des deux côtés, les egos flippent, ton attitude dérange. Une fille qui assume sa sexualité est une biatch, mais un mec est un Don Juan, on connaît le refrain par coeur.
Ma propre définition d’être une femmeAvec le recul, j’ai toujours pris ma place, même au milieu des espaces mascuins, sans m’en rendre compte et naturellement. Peut-être parce que j’ai toujours vu des femmes être les figures de l’autorité au sein de ma famille. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait prendre moins d’espace que les garçons dans la cour d’école, parler moins fort qu’eux, être moins libre qu’eux. Merci d’ailleurs à ma mère qui m’a toujours répété en boucle : « tu es belle et intelligente ma fille, tu ne vaux pas moins qu’une autre personne, quand tu arrives quelque part, tu ne dois jamais te cacher, mais prendre l’espace ».
Aujourd’hui, en pleine trentaine, je me sens être la femme que je veux être. Je navigue entre les stéréotypes de genre, selon mon humeur, car j’ai toujours été comme cela. Il faut oser inventer son propre territoire, y croire soi-même, conquérir son for intérieur et courir avec les loups.
Photo by Alexander Suhorucov on Pexels.comCe n’est pas une question d’avoir une poitrine, d’aimer le rose, d’être dans des rôles de genre établis, d’avoir une apparence normée ou de vivre sa sexualité selon une norme construite. Je suis convaincue que nous sommes la femme que nous voulons bien être et pouvons être, malgré un cadre patriarcal contraignant. Comme tout être vivant, on évolue avec le temps et notre environnement. Le chemin des filles et des femmes est plein d’embûches dans le monde entier. Nous partageons cette épreuve commune. C’est une lutte de chaque jour, mais oser et le vouloir est déjà un pas vers l’accomplissement. Je vous souhaite donc à toutes de tracer votre chemin et de devenir la femme que vous êtes !
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