Joss Lescaf a un emploi du temps chargé, voltigeant de l’Hexagone aux States, d’une prod Fred Coppula bien de chez nous à un épisode de Blacked, le blockbuster X de Greg Lansky. Mais il nous a tout de même accordé un peu de son précieux temps pour revenir avec bonhomie sur son impressionnante carrière (chez Lansky donc, mais aussi Marc Dorcel, Jacquie & Michel…) parsemée de figures mythiques – de Brandi Love à Riley Reid. L’occasion pour l’intéressé de revenir sur son statut d’acteur noir, pas toujours évident à porter au sein d’une industrie loin d’être si inclusive. Témoignage sans filtre.
Tu as bossé pour des productions très diverses : Wicked Pictures, Blacked, Jules Jordan, J&M Elite… Peux-tu me raconter ton arrivée dans le milieu ?
J’avais 25 ans quand j’ai débarqué dans le porno, suite à une peine de coeur. A la base je faisais du strip-tease, à Toulouse puis à Paris – aux Folies Pigalle. Je vivais avec une fille qui me considérait un peu froidement. A côté de ça, dans ma vie de strip-teaseur, je vivais l’exact inverse, à assurer un vrai show avec des filles qui étaient beaucoup plus approchantes. Je ressentais une forme de frustration face à tout ça.
Quand j’ai stoppé le strip-tease, je me suis dit que j’aimerais bien sauter le pas. Je voulais baiser !… et j’avais réalisé que j’avais déjà des “capacités” confortables. A cette époque j’ai rapidement rencontré le patron du magazine X Interconnexion, Pascal Giraudeau. Il connaissait bien un de mes potes, qui m’a mis en contact. Un jour il me dit “viens assister à un shooting, on verra ce que ca donne”. Sur le plateau il y avait Yasmine et Mike Angelo. C’était la toute première fois de ma vie que j’assistais à une scène de cul. J’avais jusqu’alors une sexualité très lambda. Sur le plateau, je ne connaissais personne. On m’a fait faire des photos pour le mag : on m’a demandé de bander. Alors je me suis retrouvé à me branler devant tout le monde, tant bien que mal. J’étais super gêné mais je suis finalement parvenu à avoir une demie molle assez lamentable (rires). Puis le staff a vu “les proportions” en question et j’ai tout de suite entendu : “tiens, c’est le nouveau Joachim Kessef”, “c’est le Rocco black”.
Joachim Kessef, le poetic lover du porno français. (@joachimkessef)
C’est à ce moment que j’ai commencé à faire des films. J’ai joué dans Destination : Cap d’Agde et ça s’est très bien passé. Puis je n’ai plus eu de nouvelles d’Interconnexion… Il faut dire qu’à l’époque, c’était encore moins simple qu’aujourd’hui d’être un noir dans un film porno français. Il n’y en avait pas beaucoup. On attachait à ça un côté “exotique”. Puis sans que je sache vraiment comment, Devils Films, une maison de production américaine, m’a appelé pour me proposer du taf. Au téléphone, ils me balancent : “on veut s’assurer d’une chose : es-tu es bien black ?”. Moi je ne comprends pas, je réponds : “bah oui, je suis black”. Ils me répètent : “non, mais je veux dire, black, black ?”. Là je commence à penser : “mais ils sont tarés ou quoi ?!” (rires). J’insiste : “yeah, dark, black, really”. J’entends les mecs qui parlent entre eux : “c’est bon il est black, bien black, cool !”. Je peux te dire que j’en ai fait des tafs avant le porno mais c’était bien la première fois que des mecs semblaient heureux d’engager un “black” ! Ma carrière internationale a commencé là.
J’ai découvert le système états-unien de production. Il est différent du nôtre. Aux States ils rationalisent tout, font en sorte que tout soit plus simple, cherchent la rentabilité. C’est là-bas que j’ai trouvé petit à petit mon mode de fonctionnement.
Tu as aussitôt poursuivi ta carrière ?
Avant de vraiment m’installer, j’ai pratiqué le porno en dilettante. Au début de mon parcours je constatais qu’être un acteur noir dans le porno n’était pas du tout viable – cinq scènes dans le mois était le max que tu pouvais espérer faire. Durant de nombreuses années je ne forçais pas plus que ça. Mais depuis quatre ans le marché a changé. Ce n’est pas que c’est plus facile, mais c’est plus “viable”. Aujourd’hui, le noir fait vendre. J’ignore si les mentalités ont évolué pour autant. En France on trouve encore des actrices réputées qui ne veulent pas tourner avec des acteurs noirs. A l’étranger, des USA aux pays de l’Est, ils sont plus en mode business. Mais dans le cadre de ce qu’une actrice va oser faire, les blacks ça reste l’étape ultime, juste après la double pénétration. Dans la chaîne alimentaire du porno, je me situe là (rires). Le performer noir occupe une place particulière, il n’aura jamais les mêmes rôles que les blancs.
Joss Lescaf et sa cravate de notaire (Photo IMDB)
Pourquoi les actrices françaises auraient plus de soucis avec tout cela selon toi ?
Je crois qu’en France l’imaginaire “racaille” est bien plus installé dans la conscience des gens. J’ai l’impression que les acteurs noirs sont associés à l’image d’une « petite délinquance » qui ferait chier les meufs le soir dans le métro – ce que montrent les reportages diffusés à la télé. Il y a un gros souci d’information et de communication. Certaines actrices préfèrent rester sur leurs préjugés au lieu de renseigner. C’est une peur inconsciente parfois. Etre un acteur porno noir en France t’impose une discipline. Nous avons une mauvaise réputation. Avec plein d’acteurs, ce qui précède l’acte importe peu, mais quand tu es un acteur noir, il faut faire gaffe à tout ça. Puis le mec qui passe derrière toi peut être jaloux. Mais le plus souvent le “pourquoi” d’un refus reste dans les coulisses.
Tu parles de “Rocco noir”. Cela te dérange que l’on se serve de ton sexe comme d’un objet marketing, que l’on « exotise » ton corps ?
Sincèrement, non, car c’était déjà le cas quand je faisais du strip : mon corps était un objet marketing. C’est une marque de fabrique et un gage de qualité. Ce corps, ce n’est pas moi, mais un personnage. Je joue un rôle. J’ai une vie en dehors du porno. Quand tu es une marque, tu es identifiable. Je ne comparerai pas ca à l’image de la “femme objet” qui est bien plus problématique. Etre un “homme objet” sert mon business. Je fais juste mon job. Hier par exemple, je bossais pour le prochain Fred Coppula. Il sait que je ne casse jamais les couilles. Je respecte toujours les actrices et je fais en sorte qu’elles soient à l’aise. Même quand je vais chez LegalPorno, où ce n’est pas toujours confortable, je fais simplement ce pourquoi on me paie.
Comment se passe un tournage pour Blacked ?
Blacked c’est très compliqué. Quand tu vois la séquence tu te dis : c’est juste une scène de cul bien filmée. Bah non ! Dès que l’on attaque la scène, j’ai l’impression de remettre mon titre en jeu (rires). C’est un gros gros niveau. Lansky exige de toi une espèce d’intensité et de communion avec ta partenaire – une actrice que tu connais depuis vingt minutes grand max ! Tu dois exprimer une forme de passion et de vérité tout en tendant l’oreille à un réal’ très rationnel qui va te demander de bouger ton corps comme ça, ton pied comme ci, etc, qui calcule le placement des traits de lumière qui passent sur ton corps durant la pénétration…
Comment est Greg Lansky sur un plateau ?
Greg Lansky pour Rolling Stones
Greg Lansky est un ovni sur la scène porno. Il sait ce qu’il veut. Quand toi tu regardes une boîte d’allumettes dans un supermarché, lui, il visualise le supermarché en entier, ses éclairages et le parking. Il dirige l’équipe mais sans empressement, ni énervement. Il te guide sans vraiment “diriger”, avec bienveillance. Je ne suis pas juste impressionné par le rendu de l’image, mais par Lansky en soi, qui est un iceberg. Pointu, perfectionniste sans être maniaque, à l’anglo-saxonne. Il fait en sorte que même le gars qui ramasse les lingettes soit aussi exigeant que lui. Un tournage pour Blacked te prend facilement la journée. Il faut compter la réal, les séances photos de l’actrice, les séquences solo. C’est très intense.
Tu te souviens de ta première rencontre avec Lansky ?
Bien sûr. Pour ma première collab’ avec Blacked il m’a carrément confronté à Riley Reid ! Avant de me rencontrer il m’avait déjà étudié. Il savait que j’avais un fond de timidité, du coup il ne m’a jamais dit avec qui je devais tourner. Il a fini par m’avouer : « je ne voulais pas te le dire car je craignais que tu sois trop impressionné« . Et c’était donc Riley Reid. Très lourd.
Riley et Joss pour Blacked
Voilà ce qui s’est s’est passé : j’ai atterri un dimanche matin à Los Angeles. Un assistant de Greg m’a accueilli. Il m’a dit “je sais que tu es fatigué mais on doit faire certains trucs”. Là, il m’emmène chez le tailleur, me fait faire des costumes sur mesure et m’achète des pompes, des chemises, une ceinture. Ensuite il me dit “bon, maintenant on va te faire tes courses pour le mois”. On s’est rendu dans un supermarché et c’est ce qui s’est passé. Sur ce il ajoute “…tes ongles de pied, ça va ?”. Je lui réponds que oui, en précisant qu’il ne va pas forcément être charmé par le spectacle. Direct, il me conduit chez le pédicure. Résultat, j’avais l’impression d’avoir du vernis à ongles aux pieds durant un mois. Puis enfin, il me dépose dans l’appartement qu’il m’avait loué (durant le tournage, j’y loge en solo). Du grand luxe.
Par delà ce chouchoutage, être performer exige une vraie discipline ?
Carrément. Je suis tenu d’aspirer à un certain niveau de performance. Je le ressens quand je revois certaines scènes qu’à ce moment là je n’avais plus l’énergie. Je me souviens d’un tournage avec une actrice brillante, Dolly Little. Dans l’histoire je me faisais passer pour son prof de français, elle jouait l’élève. Elle était super légère, une quarantaine de kilos. A l’époque je n’étais pas aussi rodé niveau discipline qu’aujourd’hui. Je m’en suis vite rendu compte car je n’arrivais pas du tout à la porter ! (rires) Se gérer au niveau de la nutrition c’est important.
Dolly Little, poupée rousse (Photo IMDB)
Et Riley Reid ce n’était pas trop impressionnant comme rencontre ?
Je ne m’intéresse pas aux stars : une femme peut m’impressionner mais je n’ai pas le côté “vedette” à l’esprit. Après, Riley est adorable. Sa renommée est dingue mais elle reste simple. Jamais elle ne m’a pris de haut. Elle sait mettre en condition pour que ta scène, et la sienne par la même occasion, soit réussie.
Moi je retiens surtout ton impressionnante scène avec Brandi Love.
On m’en parle tout le temps ! C’est devenu une scène-référence de “l’interracial” a priori. Cette performance m’a fait comprendre ce que recherchaient les Américains qui regardent du porno. Lorsqu’une figure leur est familière, ils veulent la voir ressentir une forme de jouissance authentique – quelque chose de réel. Avec Brandi Love on s’est immédiatement très bien entendu. Elle a un contact, une façon de te toucher. Quand on faisait des photos tous les deux, c’était “nous deux”, quoi. Je pense qu’on a saisi cette communion intimiste que recherche Greg. Ce n’est pas juste un délire d’acrobaties, c’est à dire de super-performance.
Brandi Love, l’impératrice des MILFs, in Blacked.com
Le porno-champagne à la Dorcel, pour qui tu as bossé, cela te parle moins ?
Je fais un Dorcel tous les deux ans à peu près, j’en ai refait un récemment. Avec Tony Carrera on s’entend bien. Le porno de Dorcel est léché, calculé et aseptisé, manque de piquant et de réalisme à mon goût. Mais en étant dirigé dernièrement, j’ai découvert qu’ils visaient plus l’authenticité désormais, une forme d’intensité axée autour de la femme et de ses fantasmes.
…et Jacquie & Michel Elite ? Tu appréciais J&M avant de tourner pour eux ?
Je connaissais bien Matt HDX, Oliver Sweet (Sweet Prod), etc. Je déconne en français avec eux, comme je suis tout le temps à l’étranger c’est plaisant. Le délire “merci qui” m’amusait. Le fait qu’ils se fassent snober par certaines actrices est surprenant. Une actrice sans contrat qui refuse J&M, c’est comme si elle disait “je ne bosserai pas pour Brazzers”.
Tu reçois souvent des messages de fans qui te parlent de ta “Big Black Cock” ?
Tout le temps. Des gars sont même obsédés par le prépuce de ma bite. J’ai tourné des vidéos où l’actrice joue avec. On atteint un certain niveau de fétichisme ! Il y en a aussi qui veulent que je baise leur femme sous leurs yeux. Aujourd’hui les producteurs contentent les fans, font en sorte d’être en adéquation avec ce qu’ils veulent, et ça passe par la “BBC”. Ce qui donne des scènes impressionnantes. Prends mon pote Jason Luv : il est en contrat avec Blacked. Quand tu le vois arriver dans une pièce, c’est un monument. Sa présence est dingue. S’il se met à tourner en Europe, c’est sûr que des mecs vont débander (rires). Après une scène que j’ai shooté avec lui, Greg m’a appelé pour me dire : “J’ai entendu dire que la scène avec Jason s’était bien passée…c’est vraiment cool, parce que les autres n’y arrivent pas !”. Apparemment, Jason dégage tellement d’assurance qu’il fait direct débander les mecs. J’ai dit à Greg : “mais vous m’avez carrément envoyé au casse pipe en fait !”. Pareil avec Julio Gomez, qui a une bite de dingue, tu as l’impression d’être minuscule en comparaison. Mais j’ai un style différent de Julio et Jason, alors je trouve ma place.
Le charismatique Jason Luv, grand habitué de Blacked (@iamjasonluv)
Le porno a-t-il changé le regard que tu portes sur ton corps et ton identité ?
Avant de faire du porno, je ne pensais pas que j’avais une si grosse bite. J’étais persuadé que tous les mecs avaient la même bite. J’étais pudique… Le strip c’était très différent, j’étais pas tout le temps à poil, c’était un show, avec bande-son et compagnie.
Dans une moindre mesure, penses-tu que Blacked fait évoluer les mentalités concernant la place des personnes de couleur dans le porno ?
Ecoute, récemment, on m’a contacté pour une prod X française, en me proposant…un rôle de marabout ! (rires). J’ai refusé évidemment. En tant qu’acteur porno, je n’exige pas forcément d’être propriétaire d’une villa, mais ce genre de caricatures, non merci. Greg ne pense pas comme ça. Tu n’es pas une menace dans ses films, tu ne baises pas dans une cave. En plus, je crois qu’il sait filmer les femmes, qui dans ses vidéos dominent les mecs d’une façon ou d’une autre. Le fait que Blacked soit aussi populaire permet de faire évoluer les mentalités. Blacked est une locomotive, le coeur des prods Lansky, bien avant Tushy, qui n’existerait pas sans Blacked. Avec Blacked Raw on est plus dans la performance, plus gonzo.
Pourquoi tourner pour Dorcel et J&M alors que tu pourrais juste te la couler douce chez Blacked, vivre le rêve américain ?
Car je me considère avant tout comme Français. Je suis un ancien combattant de l’armée française, j’ai été décoré, c’est ici que je suis bien, alors que j’ai voyagé partout, des States au Brésil. Oui c’est vrai, le racisme est encore palpable en France mais il est avant tout du à une profonde ignorance. Je suis optimiste par rapport à l’évolution des mentalités.
Et le discours de Macron à l’encontre du porno ?
C’est d’une hypocrisie dingue évidemment. On a l’impression que c’est toujours la faute des autres. “Mon enfant traite mal les femmes, c’est à cause du porno”. Vraiment ? Déjà, le porno ne s’est pas invité chez toi tout seul. Au fond, il reste un bouc émissaire pour tenter d’expliquer pourquoi certains mômes traitent les femmes de « salopes ».
Quand tu ne fais pas de porno, tu fais quoi ?
Je bosse pour des projets en parallèle, je fais de la plongée. Je fais en sorte de continuer à faire du porno sans avoir à courir les scènes.
On pourra te voir où prochainement ?
Dans deux longs métrages. Je vais bientôt partir à Budapest pour enchaîner les scènes “basiques”. Je produis des films depuis des années, même si très ponctuellement, donc j’ai quelques projets de côté, encore en gestation. Je coache des acteurs et actrices sur ManyVids aussi, afin qu’ils corrigent leur communication et perfectionnent leurs ventes.
Happy end. (@Blacked)