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A l’origine, le Cap d’Agde fut construit à l’initiative du Général de Gaulle pour répondre à l’essor du tourisme populaire de masse. La première commune touristique de France s’est établie par hasard à côté d’un camping tenu par deux frères naturistes (qui par la suite s’improviseront investisseurs dans l’immobilier). C’est seulement en 1985, qu’un copain coquin des deux frangins décide d’ouvrir le premier club échangiste du camp naturiste – le Cap D’Agde avait la réputation d’être le Ibiza de l’époque. Depuis, le camp et sa plage, dites de “La Baie des Cochons” n’ont cessé de devenir un haut lieu de pèlerinage pour les libertins d’Europe. L’été dernier, j’ai eu l’occasion de découvrir toute la complexité de ce lieu unique, bien moins hétéronormé que l’on pourrait le croire. Entre considérations architecturales, pseudo analyses socio-démographiques et confessions coquines pudiques, je vous propose une plongée dans la station balnéaire la plus chaude d’Europe.
Du tourisme populaire au tourisme libertinIl est 15h00, j’ai les mains moites en attendant P. – mon copain – devant le guichet de l’entrée. Le camp est entièrement clôturé et son accès est réglementé. Pour franchir la porte, on doit se munir d’un pass. Une fois la porte passée, comme je l’avais imaginé, je me retrouve plongée dans une ambiance hypersexualisée. Sous les arches des galeries marchandes, on se remémore l’atmosphère de Pigalle, tant les sex shops, les magasins de lingerie coquine et de vêtements fetish sont nombreux. Les boulangeries proposent des meringues et autres pâtisseries en forme de zizis. Aux tables des restaurants coexistent jovialement les familles de naturistes et les libertins, reconnaissables à leurs accessoires ostensibles : larges cockrings en acier, seins refaits, chaînettes de taille et talons hauts.
En marchant pour rejoindre notre appartement, je constate que l’architecture elle-même favorise l’exhibitionnisme : les bâtiments sont construits en arc de cercle, fenêtres donnant sur l’intérieur. Depuis les terrasses on peut tout voir sur 180°, y compris les voisins des appartements du dessous – les balcons étant agencés en paliers descendants. L’intérieur même des studios semble avoir été pensé pour les voyeurs : la douche est en plein milieu de notre salon. Comme je l’apprendrais plus tard, cette infrastructure providentielle n’est pas le fruit de l’imagination débridée d’un architecte pervers, mais conçue pour offrir un ensoleillement maximal aux vacanciers venus en masse des quatre coins de la France, grâce à une inclinaison de ses façades à 45°.
La douche, au milieu du salon
La Baie des Cochons, une contrée en auto-gestionPour gagner la baie, il faut marcher une quinzaine de minutes depuis la plage naturiste et dépasser la paillotte qui sépare les naturistes des libertins. Au début, on ne voit rien…ou presque. En regardant mieux, on distingue de nombreuses caresses. Une femme branle nonchalamment son compagnon ; un homme tète les seins de sa copine en scrutant les promeneurs avec attention ; un petit vieux avec un bob blanc se pignole furieusement sur sa serviette tout en matant un couple faire l’amour en cuillère. Ça se tripote partout avec plus ou moins de conviction, en lézardant paresseusement au soleil. La moyenne d’âge avoisine la quarantaine. Un groupe de trois copains nous hèle tandis que nous marchons main dans la main. Avec sa carrure, sa cambrure et ma (relative) jeunesse, nous ne passons pas inaperçus. On décide de s’installer pas trop loin d’eux, sait-on jamais, ils sont tous plutôt pas mal.
J’ai l’oeil qui divague dans tous les sens. J’observe tout avec délectation : les cockrings sur les pénis ramolos ; les pubis féminins rasés et cachés par des ventres flasques ; les Russes à la bouche siliconée qui viennent en escarpins sur le sable ; les couples de tout âge qui se caressent amoureusement ; les pet boys qui marchent en laisse en direction du coin gay. Et bien sûr, les trois copains qui me font des petits clin d’oeil.
Une architecture rêvée pour les voyeurs
Un cercle se forme près d’un couple allongé sur des paréos. Elle est blanche, il est noir, ils s’agitent en levrette près de nous. Le cercle grossit de plus en plus. D’après P. – qui est déjà venu plusieurs fois – le cercle va très vite s’auto-réguler : les habitués sont trop attachés au lieu et ne tolèrent aucun écart de conduite ou vocabulaire déplacé. La plage est une contrée en auto-gestion, une zone de non droit, l’incroyable réalisation d’un vieux rêve “d’amour libre” anarchiste.
P. me raconte comment il contrôle la foule des plagistes. D’un geste de la main il les tient à distance, choisit un nouveau partenaire de jeu ou fait s’asseoir le public. Ceux qui sont au premier rang ne veulent pas se faire dépasser et demandent alors aux autres de s’asseoir à leur tour. Il se font en quelque sorte les modérateurs de la scène et empêchent tout débordement, comme ils le feraient sur un site de cam.
C’est l’inverse d’un spectacle de magicien, tout le monde espère être appelé pour monter sur scèneLe cercle se rétrécit de plus en plus autour du couple, les branleurs jouent des coudes pour se rapprocher et se masturbent de concert. Certains tendent leur sexe vers la femme, comme s’ils espéraient qu’elle les prennent en bouche. Pour paraphraser P. : “c’est l’inverse d’un spectacle de magicien, tout le monde souhaite être appelé pour monter sur scène.” Ce ne sera pas pour cette fois. Ils s’arrêtent et s’enlacent, tandis qu’autour d’eux résonnent des applaudissement. Une coutume locale.
Je ne suis pas tellement émoustillée par les centaines de corps avachis autour de moi, mais je suis franchement exhibitionniste et la plage est le lieu idéal pour assouvir ce genre de fantasmes. Puis surtout, j’ai entièrement confiance en mon copain. Bientôt, plus d’une cinquantaine de personnes nous entourent. A la demande de P., ils ne s’approchent pas. Ils restent également muets, ce qui me convient très bien – j’avais très peur des commentaires façon Jacquie et Michel.
Bien que se donner en spectacle en pleine lumière et aux yeux de tous soit particulièrement grisant, cette foule compacte est déstabilisante et j’ai du mal à soutenir les regards, surtout après la salve d’applaudissement qui ponctue notre orgasme. Un spectateur s’approche de P. pour le féliciter. J’en profite pour quitter ses bras et rejoindre les trois mignons qui n’ont rien perdu du spectacle.
Ils me confient que comme les autres hommes seuls ils se font refouler des boîtes, des bars et même des restaurants “réservés aux couples”…mais qu’ils ont beaucoup de succès avec les femmes. Des trois jours passés sur place je n’ai pas vu un seul groupe de femmes seules, mais il parait que des groupes de copines d’âge mûr viennent y passer du bon temps.
Durant ce jeu les sauveteurs sont venus vérifier que P. n’était pas en train de me noyer après m’avoir attachée. Oups.
Alors que nous discutons, un homme s’assoit à nos côtés pour me féliciter : “Ce sont les jeunes filles comme toi qui continuent à faire vivre la légende du Cap !”. Il nous raconte que dans les années 80-90, avant Internet et les réseaux sociaux, il y avait bien plus de jolies jeunes filles sur la plage. Aujourd’hui, les jeunes couples préfèrent anticiper leur séjour au Cap et se retrouvent via les sites libertins. La rencontre se fait alors non plus sur la plage mais dans les après-midi “mousse” des boîtes en plein air ou dans les nombreux saunas. Ses propos font écho à ceux de Michel et Denise, les sympathiques patrons du seul club SM du camp : les jeunes couples sont formatés par les sites libertins et possèdent une approche très graduelle de la chose : côte-à-côtisme, mélangisme, puis échangisme. Ils sont habitués aux clubs où les hommes seuls sont interdits et ont peur des écarts de conduite de ces derniers.
Je viens de me livrer sans pudeur et avec beaucoup de plaisir aux regards de 150 personnes, mais le monologue qu’il déclame me met très mal à l’aise. Ses mots sont flatteurs mais terriblement crus, on dirait qu’il commente une vidéo Pornhub. Il détaille longuement mon corps, la forme et la carnation de mon vagin, me demande ce que j’ai ressenti dans telle ou telle position. Avant que je puisse trouver la bonne répartie, les trois potes s’esclaffent, lui demandant s’il est envoyé par BFM !
Si tout à l’heure l’ambiance était bon enfant, que ce soit avec le couple mixte ou avec mon mec, j’entends très vite des commentaires racistes fuser autour de nous lorsque je commence à jouer avec mes nouveaux copains, noirs. “Elle en veut, trois noirs pour elle seule, elle va se faire défoncer” – “Eh ben, il a pas une si grosse bite que ça, pour un noir !” Je ne m’explique pas ce changement brutal de comportement. Est-ce parce qu’aux yeux des voyeurs le gang bang avec des hommes noirs est une transgression, un tabou social ? Est-ce dû à l’effet de surprise devant la matérialisation d’un fantasme porno qu’ils n’avaient jamais vu en vrai ?
D’un coup je me sens l’actrice d’un mauvais film de boules. Le manque de respect atteint son comble lorsqu’on découvre qu’un des astiquateurs vient de gicler sur l’une de leurs serviettes. Écoeurés, on arrête tout. Je les embrasse, désolée.
Le spectacle est aussi dans le publicCet premier après-midi me laisse un peu échaudée. Mais en continuant mon investigation des divers clubs échangistes, saunas, et BDSM, je finis par comprendre pourquoi P. trouve ce supermarché de la baise si érotique.
Le très beau club le Clair Obscur, seul club SM du Cap, à la programmation très éclectique
Le spectacle n’est pas que sur la scène, il est aussi dans le public. L., habitué rencontré sur place me raconte ses “journées ponctuées de longues marches dans les dunes et son plaisir à se branler de-ci de-là, la bite au vent, caressé par des rayons du soleil, dans un anonymat délicieux”. Ou comment il aime “mater les voyeuses qui s’immiscent dans les rangs des spectateurs masculins pour voir ce qui se déroule dans l’arène.” Son jeu préféré est de les repérer, de s’en approcher et de se caresser discrètement de façon à ce qu’elles s’en rendent compte et que leurs yeux délaissent le spectacle pour se poser sur sa queue. “Voir quelqu’un qui se caresse en regardant la voyeuse d’à côté, qui elle même mate la scène, mais m’observe aussi à la dérobée, ça peut bien plus m’exciter !” me confie également P. – galvanisé par cette mise en abîme du voyeurisme.
J’approche les jolis plagistes, dont un vendeur de beignet insoudoyable, à qui nous proposons d’acheter tout son stock s’il vient jouer avec nous. Deux jours de suite le même scénario se répète : je repère un mec seul, mignon. Je lui souris franchement, lui fait des signes de la main pour qu’il installe sa serviette à côté des nôtres. Pas de réponse. Quand mon copain s’absente, je l’invite à nouveau. Il regarde derrière son épaule, et se pointe lui-même du doigt, pour vérifier que je m’adresse bien à lui. Puis enfin, il arrive. Le premier est décevant, je suis pas certaine qu’il ait bien compris qu’il s’agit d’un jeu partagé avec mon amoureux. Très vite, nous lui faussons compagnie.
Le second, par contre, est ravissant. Un corps doré, musclé comme une statue grecque. Il s’intègre tout de suite à la dynamique du jeu. Un grand cercle se crée très vite autour de nous. Au milieu de la foule se trouve un couple gay d’un certain âge – nous l’avions regardé jouer avec beaucoup de tendresse plus tôt dans l’après midi. Mon chéri est encore plus gourmand que moi, il leur fait signe d’approcher…et engloutit l’un d’entre eux. Je me demande comment la foule et mon bel éphèbe vont réagir à ce foursome-bisexuel-intergénérationnel qui vient de spontanément se créer. Je crains de subir à nouveau des commentaires emplis de haine, mais à ma grande surprise, personne ne dit rien. Le public est enchanté. Nous aussi. Pourtant le Cap d’Agde n’est pas un modèle de mixité sexuelle, et si hétéros et gays cohabitent, ils évoluent surtout dans des lieux séparés. Aucun club ne revendique d’étiquette queer.
Prêt pour le QAKC
Du Point P au Point GDans le QAKC, seul club gay du Cap, qui a la particularité de bien vouloir accueillir tous les genres et les sexualités, y compris dans les backrooms, nous faisons la décilieuse rencontre de V. Alors que P. fait une nouvelle fois preuve de ses talents de gorge profonde, je me glisse près d’eux pour les observer, une main dans la culotte. Je reste à distance et mate tout le spectacle avec de grands yeux. Mais bientôt, V. m’invite à les rejoindre. Avec moi, ses gestes sont très doux, pas maladroits mais peu assurés, alors qu’avec P., il est bien plus entreprenant.
Nous apprendrons plus tard que V. est gay, marié, et n’avait jamais touché avant aujourd’hui une fille de sa vie. Il vient régulièrement au Cap et me raconte que la première fois où il était venu, il y a une dizaine d’années, la fréquentation gay était très marginale. A l’époque, il avait assisté à des scènes homophobes assez violentes. D’après lui, depuis 4-5 ans les rapports gay/hétéros se sont adoucis. Si les gays représentent encore une minorité, ils sont bien mieux acceptés, et en plus grand nombre. Il explique ce changement par deux raisons. Premièrement, les lieux de drague gay de la régions disparaissent. La plage mythique de l’Espiguette – aux alentours de Nîmes – est délaissée, car la nouvelle mairie d’extrême droite fait tout pour chasser la communauté homosexuelle en envoyant la police municipale à cheval dans les dunes. De même, le Grand Travers, vers Montpellier, a été fermé et réaménagé en parking, les gays se sont alors rabattus sur le Cap d’Agde. Deuxièmement, depuis les manifs d’opposition au Mariage pour Tous, une certaine solidarité se serait créée.
Sur la piste de danse du QAKC tout le monde se mélange mais dans les backrooms. A l’exception d’une domina qui tient son petdog en laisse, je suis la seule fille. Ca irrite deux jeunots, qui s’énervent et m’insultent pour m’inciter à partir. Heureusement, le videur s’impose et me donne raison. Le lendemain, je décide de venir équipée. Je me harnache de mon gode-ceinture…pour le plus grand bonheur de P. Ce soir, on ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir de bite. Pourtant, à ma grande surprise, je me retrouve vite entourée de gays curieux qui me proposent de les dépuceler sur les banquettes en skaï. La scène est surréelle, entre orgie initiatique et atelier de découverte du Point G (“c’est comme le point P mais dans un vagin.”).
Tout est possible, donc tout peut devenir érotiquePour V., le Cap n’aurait aucun intérêt à devenir Queer : “ Le Cap a été créé par un père de famille. Son objectif était de se faire du blé, pas d’œuvrer à une libération sexuelle ou de questionner les identités. C’est un lieu très commercial. Si la « bonne morale » n’a pas eu le dessus sur ce lieu et qu’aujourd’hui il existe tel qu’il est, c’est uniquement parce qu’on ne veut pas casser la poule aux œufs d’or. La culture queer ne trouve pas sa place dans ce type d’économie. Elle est trop éloignée d’un intérêt marchand. Voire même, elle le dénonce.”
Le Cap et sa plage restent malgré tout bien moins “normés” que j’aurais pu le croire, que cela soit en terme d’hétéro-normativité ou de la diversité des pratiques sexuelles – ou des couples. Ces cinq jours on été pour nous un véritable marathon du sexe, tant le territoire à explorer est riche et propice à la réalisation de tous les fantasmes et de tous les jeux, qu’ils soient SM, candaulistes, exhibitionnistes, voyeuristes voire ostréiphiles.
Dans ce Disneyland du sexe où tout est excessif, exubérant et de plus en plus outrancier à mesure que la nuit tombe, se dégage une liberté peu commune et rafraîchissante. Tout jeu ou sexualité y semble possible. Et puisque tout est possible, tout peut devenir érotique… surtout si comme moi vous y venez en aussi bonne compagnie. En tous cas, nous on y retourne cet été. Avec toi ?
Être un homme, c'est savoir depuis l’enfance qu’il est possible de payer une femme pour avoir un rapport sexuel. Cela veut aussi dire avoir été racolé au moins une fois dans sa vie. D'ailleurs, la prostitution est partout autour de nous, jusque dans notre langage. “Putain”, “bordel” et “pute” sont des mots que nous prononçons sans y penser parfois plusieurs dizaines de fois par jour…
Quel rôle joue la prostitution dans la construction de la virilité ? Pourquoi certains hommes deviennent-ils des “prostitueurs” réguliers, c'est à dire des hommes qui paient des prostituées ? Au contraire, qu’est-ce qui pousse un homme à refuser la prostitution ?
Écrivaine et militante féministe depuis 1971, Florence Montreynaud s’est engagée au MLF et au Planning Familial dès les années 70 et a fondé le mouvement Les Chiennes de Garde. Elle a longuement étudié les hommes qui paient des prostitués - les “prostitueurs" - avant de fonder et de fédérer Zéromacho, un réseau international d’hommes engagés contre la prostitution.
RECOMMANDATION DE L’INVITÉ
Florence Montreynaud recommande “L’attrape-coeurs” de J-D Salinger (1951) et de vous engager dans le réseau Zéromacho, en signant le manifeste “Des hommes disent “NON” à la prostitution”.
CRÉDITS
Les couilles sur la table est un podcast de Victoire Tuaillon, produit par Binge Audio. Production : Joël Ronez. Rédaction en chef : David Carzon. Réalisation : Quentin Bresson. Chargée d’édition et production : Camille Regache. Direction générale : Gabrielle Boeri-Charles. Direction artistique : Julien Cernobori. Éditrice : Albane Fily. Générique : Théo Boulenger.
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