Il est courant de croire que «la première fois», le pénis passe à travers une membrane qu’il déchire… d’où le sang. S’il n’y a pas de sang, c’est que la femme n’était pas vierge ? Faux. Dans “Une rose épineuse”, l’historienne Pauline Mortas remonte aux origines du mythe, pas si lointain.
Agée d’à peine 23 ans, la chercheuse Pauline Mortas, de l’Ecole Normale Supérieure, publie un livre foisonnant sur la défloration au XIXe siècle – Une rose épineuse (aux Presses Universitaires de Rennes) –, l’occasion d’apprendre la définition véritable du mot «stupre» («viol d’une vierge») et les 13 noms des membranes médicalement incorrectes («godronnée», «carénée», «charnue», «scléreuse», «vasculaire», etc). Sa recherche, surtout, apporte un éclairage saisissant sur «l’invention de l’hymen». Car l’hymen n’est rien d’autre, explique l’historienne, qu’une formidable mystification. Les médecins anatomistes créent de toutes pièces cet organe, en s’appuyant sur les mesures chiffrées du corps féminin qu’ils dissèquent et transforment en pièce à conviction.
L’hymen existe-t-il ?
Jusqu’au XVIIIe siècle environ, la majorité des savants nient l’existence de l’hymen, contre l’avis des sage-femmes (1). «Joubert, Du Laurens ou Ambroise Paré considèrent l’existence de l’hymen comme une “pure rêverie”, une “fiction poétique”, voire un amas de “niaiseries”». Au XIXe siècle, brusquement, les savants la reconnaissent. Mieux, ils s’en adjugent la découverte. «Comment expliquer ce revirement catégorique ?» demande Pauline Mortas. Elle avance deux explications : technique et idéologique. Tout d’abord «l’invention de nouveaux outils médicaux aboutit à une anatomie plus précise et détaillée», c’est-à-dire que les médecins s’aperçoivent qu’il existe, chez de nombreuses femmes, un tissu vestigial qui forme comme un léger «repli» de la muqueuse vaginale… ou serait-ce de la muqueuse vulvaire ? En étudiant la manière dont «les savants, par leur langage, objectivent le corps et tracent des lignes de démarcations entre ses différentes parties», Pauline Mortas met au jour l’aspect artificiel de ce discours médical qui prétend apporter la vérité.
Oui, mais pas en tant que «paroi» étanche…
La vérité, c’est que le tissu résiduel situé à l’entrée du vagin prend selon les femmes des formes si totalement différentes qu’il est presque impossible d’en parler comme d’une «paroi», ni même d’une «cloison» ou d’une «pellicule». Chez certaines femmes, il n’existe pas. Chez d’autres, il prend l’aspect de filaments disjoints, d’une échancrure flasque, d’un bout de chewing gum qui pend, d’une languette molle ou d’un ourlet spongieux. Parfois le pli est double. Parfois c’est un diaphragme élastique qui se dilate sans jamais se déchirer, même lors de l’accouchement. Plus on vieillit, plus il se distend et se disloque. Il arrive d’ailleurs bien souvent qu’à la faveur de jeux sportifs ou de masturbations (à l’aide d’objets), les jeunes filles le réduisent en lambeaux sans même s’en apercevoir. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément anatomique spécifique mais d’une sorte de frange ayant fortement tendance à s’effilocher, les savants du XIXe siècle l’isolent arbitrairement du corps et l’érigent en organe à part entière.
Un bon vagin est un vagin à perforer
De façon tout aussi arbitraire, ils en dressent des typologies distinguant le normal du pathologique. Certains hymens sont jugés conformes, d’autres pas. L’absence d’hymen, par exemple, relève de la difformité. En vertu de quels critères ? «Lorsque le discours scientifique s’en saisit – et en particulier au XIXe siècle, où les théories médicales se basent sur la multiplication des observations et des statistiques –, le fréquent devient le normal», note Pauline Mortas qui dénonce la confusion entre la moyenne et la normalité d’une part, le rare et l’anomalie d’autre part. Gare aux femmes qui sortent du lot. Les voilà estampillées handicapées, même si la forme de leur hymen ne présente en soi aucun risque pour la santé et ne gêne ni les rapports sexuels, ni la grossesse. De façon très révélatrice, parmi les hymens classés «anormaux» certains savants classent ceux qui peuvent laisser croire à des déchirures ou des viols : ce sont les hymens dits frangés ou infundibuliformes, dont l’aspect par trop douteux ne correspond pas à l’hymen idéal des médecins : celui qui indique clairement si une femme est vierge. Car c’est bien de cela qu’il est question lorsque les savants inventent l’hymen : ils inventent l’idée selon laquelle un bout de chair servirait de «preuve» tangible de la virginité.
L’hymen : un certificat de virginité ?
Tout au long du XIXe siècle, les débats scientifiques font rage bien sûr, déplaçant – au fil de chaque nouvelle recherche – la ligne de partage entre l’hymen normal et l’anormal. Mais le critère de normalité reste toujours du côté de l’«honnête» : le bon hymen, c’est celui qui se laissera facilement déchiffrer comme «intact» puis facilement déchirer lors de la nuit de noces. Par opposition, l’hymen anormal c’est celui qui résistera, qui sera trop élastique et trop mou pour rompre ou, pire, celui qui présentera, avant l’heure, l’aspect d’un hymen déchiré… Pour les médecins, l’hymen est l’enjeu d’une expertise cruciale : il s’agit d’en faire le signe aisément déchiffrable de la pureté féminine. Tout en reconnaissant que cette soi-disant «membrane» n’est jamais qu’une petite saillie du vagin, les médecins anatomistes «continuent de donner un nom à cette partie du vagin», explique Pauline Mortas, parce qu’il importe d’en faire le signe matériel, physiologique et si possible indiscutable de la virginité. Le problème, ainsi que les savants l’avouent eux-mêmes, c’est que leurs théories ne tiennent pas face aux cas particuliers.
Les apparences sont trompeuses
Le signes de la défloration ne sont pas si fiables et les médecins, tout en affirmant que l’hymen est «le signe physique de la virginité», sont les premiers à mettre un bémol : il ne faut pas confondre premier coït et défloration, disent-ils, en invoquant le cas de la jeune fille adepte d’équitation (une fleur est vite perdue à cheval), de l’épouse «née sans hymen» ou de celle dont la membrane, trop flexible, s’ajuste sur mesure aux pénétrations… «La présence de l’hymen ne prouve ni la pureté, ni même absolument la virginité de la personne qui la possède ; pas plus que son absence ne prouve absolument le désordre de sa conduite», déclare Fauconney en 1903. Il n’empêche. Les médecins ont beau mettre en garde le grand public, ils n’en contribuent pas moins à diffuser l’idée que l’hymen distingue la femme «pure» de la dépravée. Leurs mises en garde ne trahissent guère, au fond, que «l’inquiétude masculine […] devant l’impossibilité avérée de lire dans le corps féminin son histoire sexuelle, et donc de contrôler la sexualité féminine» souligne Pauline Mortas, invitant ses lecteurs-ices à se demander pourquoi nous accordons, encore de nos jours, tant d’importance au dépucelage.
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A LIRE : Une rose épineuse.La défloration au XIXe siècle en France, de Pauline Mortas. Préface de Dominique Kalifa. Publié aux Presses Universitaires de Rennes, collection Mnémosyne, 2017.
PLUS D’INFORMATIONS SUR L’HYMEN : «Première fois : va-t-il me trouer ou me perdre ?», «La virginité : une question d’hymen ?», «Pourquoi les filles tiennent à leur viriginité ?», «Vierge : un sale rêve de pureté», «Le destin de la femme est-il celui du sang ?», «Des hymens unisexes de rechange».