Est-il possible qu’une femme soit physiquement excitée sans s’en
apercevoir ? A la vue de films érotiques qui les font abondamment
mouiller, la majorité des femmes prétendent que ces films les laissent
«de glace». Mépris du corps ? Déni du désir ?
Si on demande aux femmes quels scénarios les excitent,
elles ont tendance à minorer. Faudrait pas avoir l’air trop «salope».
Officiellement, donc, les femmes –pour leur majorité– n’aiment pas
l’idée de se retrouver au lit avec trois hommes, ni de se faire payer
par un bel inconnu pour le rejoindre dans une chambre d’hôtel, ni les
plans hardcore, ni la sodomie, etc.
Fatiguée d’entendre toujours le même discours, la chercheuse américaine Meredith Chivers invente un appareil à mesurer l’excitation et découvre que les femmes sont excitées… même
lorsqu’elles affirment le contraire. Ces femmes mentent-elles ? «Non»,
répond Meredith Chivers, qui part du principe que ses cobayes sont de
bonne foi lorsqu’elles passent le test. Dans ce cas, comment expliquer
un tel aveuglement ? S’agit-il d’un refus inconscient de ses propres
émois, conditionné par l’éducation ? Ou d’une plus grande «capacité» de
faire la part des choses entre les manifestations physiologiques et
l’excitation mentale ? Plusieurs hypothèses sont possibles.
Excitée sans le savoir
La
première hypothèse repose sur l’idée d’une disparité fonctionnelle entre
le pénis et le vagin. En d’autres termes : il est cliniquement possible
que la femme soit excitée sans le savoir. Dans Le Secret des femmes*, Elisa Brune et Yves Ferroul l’expliquent ainsi : «Un
clitoris peut être gorgé de sang et gonflé en érection sans que sa
propriétaire en soit le moins du monde au courant. Situation impossible
pour un pénis dont l’aspect crie son état sur tous les toits. Raison,
sans doute, pour laquelle excitation mentale et excitation physiologique
sont plus étroitement liées chez l’homme que chez la femme. Raison
aussi pour laquelle la probabilité de masturbation spontanée est plus
grande chez les garçons que chez les filles. Une érection visible, d’un
côté, va induire un comportement de curiosité et de renforcement de
l’excitation, alors qu’une érection invisible, de l’autre côté, va
laisser le champ ouvert à une multitude de ressentis différents :
excitation, ou gêne, ou malaise, ou incompréhension, ou saute d’humeur,
ou inconscience pure et simple. Est-ce pour cela que 54 % des hommes
disent penser au sexe au moins une fois par jour, contre seulement 19 %
des femmes ?»
«On peut donc être
excitée, poursuivent-elles, sans le savoir, et ce même lorsqu’on baigne dans une ambiance
sexuelle. Lorsqu’on soumet des hommes et des femmes à des stimuli
pornographiques, les réponses physiologiques sont équivalentes en
rapidité et en intensité (mesurée par l’augmentation du débit sanguin
dans les organes génitaux qui lui-même induit la lubrification chez la
femme). À cette différence près que les femmes déclarent souvent ne
ressentir aucune excitation (là où les hommes sont parfaitement
conscients de ce qui se passe).» Pour Elisa Brune et Yves Ferroul, il est physiologiquement possible pour une femme
de rester sourde aux appels lancés depuis sa culotte. Mais cette
surdité est-elle une bonne chose ? Culturellement, les femmes sont
éduquées à nier leurs désirs. Si elles se bouchent les oreilles,
refusant d’entendre ce que le corps leur dit, faut-il se contenter de
dire «C’est comme ça ?». Ou faut-il inciter les filles à se fier plus à
leurs sensations physiques qu’à la morale répressive ambiante?
Désolante psychologie évolutionniste
La
question est difficile car il se peut fort que les sécrétions vaginales
n’aient POUR DE VRAI rien à voir avec l’excitation mentale. «On
a déjà constaté des vagins lubrifiés lors de viols, ce qui ne veut pas
dire pour autant qu’il y avait consentement ou plaisir, raconte Elisa Brune. La paroi vaginale répond du tac au tac lorsqu’on a besoin d’elle, quel que soit le scénario.»
Le problème avec cette hypothèse-là, c’est qu’elle est récupérée par
des adeptes de la psychologie évolutionniste et détournée à leur
profit : ils affirment que la «vasocongestion réflexe» du vagin (le fait
que les femmes se mettent à mouiller dès qu’elles sont confrontées à
des corps nus ou des situations sexuelles) «pourrait
être le résultat d’une adaptation évolutive rendant la femelle apte au
coït plus rapidement, c’est à-dire indistinctement à la moindre alerte,
ce qui la protègerait des blessures en cas de sollicitation brutale.» Idée rancie, sous-tendue par une idéologie scientiste qui ramène systématiquement le désir à sa seule dimension biologique.
Il
est toujours désolant de constater que les résultats de recherche qui
devraient nous amener à poser de vraies questions sur ce que nous sommes
(ou ce que nous voulons) sont mises au profit d’un discours –rabâché ad nauseam– réduisant la sexualité à n’être qu’un instinct primal, puis qu’un
programme génétique, hérité du Pléistocène. C’est le même discours que
celui qui consiste à dire : la pornographie est une drogue, puisqu’elle
réduit notre self-control ; les hommes sont naturellement des violeurs
polygames attirés par le rapport taille-hanche de 0,7 ; les femmes sont
naturellement des harpies frigides, possessives et monogames… Il est
désolant de constater que ce discours, désespérant car rempli de mépris
envers la complexité humaine, reste la réponse à tout lorsque nous
sommes confrontés à des données étranges. Pourquoi les femmes
s’excitent-elles sur les bonobos qui copulent et pas les hommes ?
Ouvrir de nouvelles pistes
Dans un article datant du 21 mars 2014, le chercheur Martin Baker (1) avance : «Lorsque
Meredith a fait cette curieuse découverte, elle avait bien conscience
que ça ne collait pas avec la doxa. La doxa veut que les mâles humains
soient excités par le fait de multiplier leurs partenaires et que les
femelles humaines, au contraire, ne soient excitées que par la tendresse
et l’amour. Le problème que soulève la contradiction entre ce qui les
excite physiquement et ce qu’elles prétendent devrait pourtant nous
encourager à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur la sexualité.»
Après quoi, Martin Baker propose son analyse : «Nos
corps réagissent à certaines images et, ce faisant, nos corps nous
encouragent à définir ce qu’est le sexe et la sexualité suivant des
critères physiologiques… Nous sommes des créatures remplies de désir
pour le sexe, mais également remplies d’attirance pour le désir
lui-même. Quand nous grandissons, nous devenons conscient de la
possibilité du sexe. Nous apprenons à identifier les réponses
physiologiques de nos corps aux possibilités sexuelles. Nous apprenons
également à nous définir en fonction de ces réponses : il y a des choses
qui nous excitent et d’autres pas. Cela fonde notre identité (sexuelle,
mais pas que). Nous apprenons à comprendre qui nous sommes en comparant
ce qui nous excite avec ce qui excite les autres et à voir le monde
comme un champ ouvert d’interdits ou de possibilités. Ainsi se construit
notre univers fantasmatique, à la croisée du corps, du moi et des
normes culturelles. Les trois sont nécessaires et il serait intéressant
de réfléchir sur la sexualité entendue comme le résultat d’une
interaction entre ces trois univers».
* Le secret des femmes, d’Elisa Brune et Yves Ferroul, Odile Jacob.
«Que veulent les femmes», de Daniel Bergner, éd. Hugo&cie (collection Hugo doc).
(1) «The «problem«of sexuel fantasies», publié dans la revue Porn Studies.