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Grace a quarante-deux ans. A vingt-cinq ans, alors qu’elle est vendeuse dans un magasin de vêtements, un homme lui fait à plusieurs reprises une “proposition indécente”. Mince, brune, de grands yeux noisette, elle est d’une beauté délicate. Lui est beaucoup plus âgé, n’est pas ce qu’on appelle un homme séduisant. Conscient de ses faibles chances de pouvoir la conquérir, il préfère lui proposer directement un rendez-vous intime… rémunéré. D’abord réticente, elle reconnaît à ce moment-là se trouver en grande difficulté financière. Il se montre patient, la met en confiance. Elle accepte.
Poursuivant diverses activités professionnelles parallèles, Grace n’a depuis cette offre, jamais arrêté ses rendez-vous intimes, que ce soit par le biais d’une agence d’escort en Suisse puis de nouveaux de manière indépendante. Elle continue aujourd’hui de se prostituer “ pour l’argent toujours, mais aussi par plaisir.”
Entretien avec Grace, une femme étonnante qui a fait de sa vie sexuelle son travail, et de son travail son plaisir, même si ce plaisir a lui aussi son coût.
Comment définis-tu ton métier ?
Je ne me considère pas comme une call girl ou une escort qui est le terme à la mode en ce moment; je ne suis pas à côté de mon téléphone à attendre un coup de fil. Je ne suis pas à disposition. Je prévois mes rendez-vous à l’avance, un peu comme des rendez-vous galants. J’appelle mes clients des « amants payants » (rires) et pour moi ce n’est pas un métier. Mais ce que je fais est de la prostitution. De toutes manières, pute, call-girl ou escort c’est pareil pour moi. On est toutes des putes. (rires)
A quoi ressemblent tes clients ? Comment les rencontres-tu ?
Je côtoie surtout des hommes d’affaire. Leur couple est souvent “arrangé”, ce sont des gens riches qui se sont mariés entre eux, par raison. Leur femme est la mère de leurs enfants et ils n’osent donc pas assouvir avec elle leurs fantasmes; ça ne se fait pas. Par contre ils peuvent être en excellents termes. Ce sont pour beaucoup des hommes que j’ai rencontrés il y a longtemps et qui sont avec le temps devenus des amis. On passe de bons moments ensemble ; on va au théâtre, à des concerts, au restaurant etc…Je ne cherche pas de nouveaux clients mais certains viennent à moi. Ce sont des amis de mes amants payants (rires). Nous nous faisons confiance.
Est-ce que ce sont des hommes “normaux” ou les définirais-tu comme des pervers ?
Pervers non. Normaux oui, mais avec un vice. C’est un vice que d’appeler une prostituée. C’est comme le jeu. C’est dans ta nature. J’ai par exemple des clients qui un jour tombent amoureux d’une autre femme et qui disparaissent. Mais ils reviennent toujours. D’autres se sont mariés mais continuent de me voir ; leur mariage n’a rien changé. C’est une addiction, même s’ils sont heureux dans leur vie familiale. Il y en a même un à qui j’ai choisi une chemise pour son propre mariage ! L’addiction n’est pas que sexuelle. C’est surtout le fait de payer qui leur plaît.
Le rapport à tes clients est donc basé sur l’argent avant même d’être motivé par le sexe ?
C’est indissociable. Même s’ils peuvent m’estimer en tant que femme, je reste à leurs yeux la prostituée. Sinon ça ne les excite pas… et sinon ils prendraient une maîtresse. C’est pour ça que je parle d’ »amants payants ». Il est hors de question qu’il y ait un rapport sexuel sans argent. Les choses sont claires dès le départ. Le fait d’être payée participe aussi à mon plaisir, ça m’excite !
J’ai cru comprendre qu’une prostituée devenait facilement la confidente de ses clients , est-ce que c’est le cas pour toi ?
Oui, je connais toute leur vie, je pense mieux les connaître que leur propre femme. Ils me racontent ce qu’ils ont eu comme cadeau pour Noël, la dernière anecdote du petit, me montrent des photos. Ils parlent beaucoup de leurs enfants, moins de leur femme. Ils se livrent sur leurs soucis au travail, avec leur belle-mère etc. Certains de mes clients m’ont même passé leurs jeunes enfants au téléphone. Là, je trouve ça bizarre. Eux trouvent ça normal, je fais vraiment partie de leur univers. Je suis pour certains LA maîtresse, et pour d’autres une parmi d’autres mais je suis souvent la favorite. Et si je les croise dans la rue avec leur famille ? On ne se connaît pas. On fait la part des choses. D’ailleurs, après un rendez-vous on se quitte en se faisant la bise.
T’es-tu déjà sentie en danger ?
Non jamais, et je ne me suis jamais faite agresser. A mes débuts, j’ai une fois fait l’erreur de ne pas demander l’argent d’abord. J’ai ensuite eu du mal à me faire payer. J’ai dû faire semblant d’appeler un maquereau imaginaire alors que j’appelais simplement un ami. Le client a eu peur et il m’a payée. Mais je n’ai jamais été confrontée à une situation dangereuse.
Ton meilleur souvenir ?
J’ai un client très riche avec qui j’ai développé de vrais liens d’amitié. On s’entend tellement bien qu’il a voulu en savoir plus sur moi et il a eu envie de rencontrer ma famille à qui je l’ai présenté comme un ami. Ils ne sont pas au courant de mes activités en tant que prostituée. Le courant est tellement bien passé qu’il a insisté pour offrir le voyage de noces de ma cousine dont je suis très proche. Ce fut vraiment une belle surprise. Il est très généreux.
Quels fantasmes ou pratiques sexuelles hors du commun t’a-t-on déjà demandé de réaliser ?
Payer permet aux hommes de se déshiniber. On peut les appeler des pervers, pour moi ils aiment juste des pratiques bizarres. J’ai connu un homme tout à fait normal dans sa vie de tous les jours mais qui dans sa sexualité avait besoin d’une bouteille pour se masturber. Il ne pouvait jouir que comme ça! J’en connais un autre très bien, très beau. Lui adore que je lui écrase les testicules et que je lui croque le sexe (rires), ça lui fait mal mais c’est ça qui le fait jouir ! On parle de gens normaux mais leur sexualité est un peu déviée. Je suis aussi tombée sur des personnes très âgées. Dans ce cas elles prennent du viagra.
Des extrêmes?
J’ai pu aller très loin, jusqu’à sodomiser un homme, lui déféquer dessus. Ce n’est pas mon truc mais s’il prend son pied comme ça où est le problème ? Moi aussi je peux à ce moment-là ressentir du plaisir (cérébral) puisque c’est comme ça qu’il jouit. De manière générale mes amants payants veulent être dominés. En général ce sont des hommes de pouvoir. Je leur donne des fessées, leur propose des dominations légères. Il m’est aussi arrivé d’être payée sans même avoir de rapport sexuel. Le client est trop impressionné pour bander. Du coup il passe un moment avec moi et rentre chez lui se masturber en fantasmant sur moi.
L’excitation et le plaisir de ton partenaire semblent être ton moteur. Mais y-a-t-il des choses qui puissent vraiment ne pas t’exciter et te faire renoncer à un rapport ?
Les seules choses qui puissent me choquer sont les gens qui ont besoin de drogue ou d’alcool pour partir dans leur délire ou obtenir une érection. Mais honnêtement la plupart veulent vraiment me donner du plaisir, en prendre avec moi. C’est un échange. De temps en temps il m’arrive de ressentir que le client veut vraiment rentabiliser. Quand je sens que ça passe avant le plaisir et l’échange, ça ne m’intéresse pas et je ne le revois pas. J’ai besoin de passer un bon moment pour bien le vivre.
T’es-tu posé des limites ? Y-a-t-il des choses que tu refuses catégoriquement ?
Oui, la violence. Je n’aime pas les fessées, les claques ou qu’on me crache dessus. Je prends mon pied dans la douceur. Je n’accepte pas d’être dégradée, c’est aussi pour ça que j’ai plus de soumis que de dominateurs. En terme d’hygiène les rapports sont systématiquement protégés. Préservatif obligatoire. Pas d’éjaculation buccale ou sur mon sexe, mais plus souvent sur leur ventre. En général ils jouissent comme dans les films porno, en se masturbant.
Acceptes-tu de te faire insulter dans le cadre du jeu sexuel ?
Bizarrement ils ne m’insultent pas. Je n’aime pas ça. Par contre je peux les insulter. Aucun ne m’a jamais traitée de pute. Par contre eux me payent pour que je les traite de pute ! (rires)
Qu’en est-il des émotions, des sentiments ? Es-tu tombée amoureuse ? Un client t’a-t-il proposé une vraie relation en privé ?
Il m’est déjà arrivé de me dire “Tiens, lui, je l’épouserais bien” car j’ai vraiment rencontré des hommes très bien… et célibataires. Mais ce n’est jamais allé plus loin. J’ai déjà eu des clients qui voulaient vraiment sortir avec moi. Dans ce cas je rentre dans leur jeu car je sais que ça fait partie de leur excitation. Ces hommes-là sont souvent mariés avec des enfants ; j’ai bien conscience qu’ils ne quitteront jamais leur femme. Il peut donc y avoir des sentiments oui. On s’échange des mots d’amour, on se fait des câlins ; certains sont jaloux, possessifs, ne veulent pas penser au fait que je vois d’autres hommes. Ils pensent que c’est de l’amour mais je pense qu’ils se trompent.
Peut-on savoir ce que coûte un “rendez-vous galant” avec toi ?
En moyenne sept-cents euros. Il m’arrive que par générosité certains me donnent le double, le triple. En fait, je pourrais gagner plus avec certains, me faire gâter mais je ne veux pas les dépouiller. Je ne veux pas qu’ils se sentent volés. Contrairement à la plupart de mes collègues, je ne suis pas payée à l’heure. Je reste donc volontiers deux heures et je peux faire des exceptions pour les personnes qui ont du mal à jouir, passer plus de temps avec elles. Je n’ai pas la montre en main. C’est aussi pour cela que les hommes m’apprécient. Ils n’ont pas le sentiment de voir une prostituée qui compte chaque minute mais de passer un bon moment avec une maîtresse qu’ils remercient en la payant.
Quelle est ta position par rapport à la nouvelle loi sur la prostitution en France ?
Cette loi est dangereuse, il y a plusieurs formes de prostitution, on ne peut pas tout réguler avec une seule loi ! Moi je choisis mes clients et je pense qu’ils ne se feront jamais prendre. Les clients de prostituées de rue sont eux des clients pulsionnels qui ont des vrais besoins ; ce sont des passes, c’est complètement différent.
Serais-tu pour la réouverture des maisons closes ?
Non, elles ne sont pas forcément la solution. Les maisons closes pourraient aussi courir le risque d’être tenues par des proxénètes, il y aurait aussi une exploitation. Je suis surtout pour une structure qui aide les filles.
A quoi ressemble la vie sexuelle et sentimentale de Grace en privé ?
Je n’ai pas de vie amoureuse, ça facilite les choses. J’ai des collègues qui ont un petit-ami, oui, mais c’est catastrophique. Elles tombent sur des mecs qui les exploitent, les insultent. Je ne connais pas de pute heureuse en amour. C’est un choix à faire. Tu dois choisir entre ta vie professionnelle et ta vie privée. Moi j’ai choisi. Je n’ai pas envie de souffrir ni de faire souffrir.
Tu ne songes pas un jour à fonder une famille ? Tu ne souhaites pas te stabiliser dans une relation ?
« Il ne faut jamais dire jamais » mais ce n’est pas mon objectif que de vivre une histoire d’amour ou de fonder une famille. La dernière fois que j’ai eu envie d’avoir un bébé je devais avoir seize ans. (rires) Je n’ai pas l’instinct maternel même si j’aime beaucoup les enfants et que je joue régulièrement les babysitters avec mes neveux. Peut-être aussi que je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui m’en ait donné l’envie ? Certaines filles ont vécu des histoires à la Pretty woman. Tant mieux pour elles.
Et sexuellement? As-tu des flirts, des aventures?
Ma vie sexuelle ? C’est mon travail. J’ai très peu de rapports sexuels dans ma vie privée, je n’en ai pas envie. J’ai déjà de l’affection, des câlins. C’est quand même un échange. Il m’arrive quand même de craquer de temps en temps. Mais je suis très difficile, il faut qu’il soit différent.
- Merci pour ta franchise et ta spontanéité Grace. J’imagine que certains propos en choqueront beaucoup puisque je l’ai moi-même été ! Le désir et le plaisir prennent décidément des formes parfois bien inattendues. »
Et vous chers lectrices et lecteurs : que pensez-vous de la prostitution? Devrait-elle être totalement tolérée? contrôlée? Et si certaines prostituées, comme Grace, étaient des femmes libres ayant tout simplement décidé d’aller au bout de leur choix, aussi marginal et radical celui-ci puisse paraître?
Ces questions touchent aussi l’actrice porno et toute travailleuse du sexe en général et nous renvoient à nos valeurs et à notre héritage culturel.
Une femme renonçant à son statut de mère et épouse doit-elle pour autant être rejetée par la société ? Une femme choisissant de disposer de son corps, d’en tirer du plaisir et de l’argent doit-elle être moralement condamnée ? Doit-on considérée que sa dignité d’être humain est atteinte alors qu’il s’agit de son choix ?
Katsuni
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