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Je peine à trouver des actrices qui m’émeuvent plus d’une fois. La preuve, celles qui m’ont le plus marqué quand j’étais adolescent sont toujours mes préférées. “Mais pourquoi n’y a-t-il pas un site capable de me suggérer de nouvelles performeuses en m’interrogeant sur mes goûts, comme ces sites de découverte musicale ?” ; cette question m’a beaucoup hanté. Et puis, cet après-midi, j’ai découvert une suggestion lancée sur 4chan par un anonyme : faire appel à Akinator, le génie du web.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Akinator est un site qui promet de deviner le personnage ou l’objet auquel vous pensez. Pour ce faire, il vous pose une série de questions auxquelles vous ne pouvez répondre que par oui, non, ne sais pas, probablement ou probablement pas. D’après le petit malin de 4chan, il est possible de ruser pour obtenir d’Akinator qu’il vous fasse une recommandation. Il suffit de répondre “Oui” quand le bon génie vous demande si votre personnage est une porn star, puis d’énoncer vos goûts au fil des questions.
J’ai testé pour vous et ça marche. Pas toujours, certes, mais bien assez. Après m’avoir proposé plusieurs de mes favorites, Akinator a enchaîné plusieurs suggestions judicieuses. Prenez le temps d’essayer, ça vous épargnera sans doute une énième redite masturbatoire.
En mars dernier, Lausanne accueillait le même week-end le festival de porn La fête du Slip et le Cabaret Bizarre, deux prétextes pour mon ami Georges de se rendre dans la librairie Humus, spécialisée dans l’érotisme. Georges est collectionneur d’art érotique et possède un savoir encyclopédique sur la chose, de Hans Bellmer à Pierre Molinier en passant par Métal Hurlant, les Humanoïdes Associées, Trevor Brown et l’Ero Guro. Sur le chemin du retour, il m’a raconté sa passion pour les belles images qui lui font chavirer le coeur, briller les mirettes et tendre le pantalon.
Peux-tu te présenter s’il-te-plait ?
Georges, aka Herdoktor Napalm, activiste des scènes dites underground depuis les années 80, passionné par les images érotiques depuis les années septante.
Comment as-tu découvert cette passion ?
Il n’y a aucun environnement familial proche qui m’a poussé à découvrir tout ça. Pour ma famille c’était de la dégénérescence, à proscrire. Je me rappelle avoir demandé à mon père ce que voulait dire « sado-masochiste » et il m’a demandé « Où avez-vous vu ce mot ? » J’ai sorti un Rock & Folk qu’on m’avait prêté au début des années septante, dans lequel il y avait une interview de Lou Reed avec un t-shirt qui dévoilait son téton et il me l’a confisqué. Pourtant c’est de sa faute si j’ai découvert les dessins érotiques, un jour il m’avait donné des pièces en me disant « Achetez-vous des livres » et j’avais pris un recueil de Pilote dans lequel il y avait une planche de Philippe Druillet avec des scènes de baise cosmiques et psychédéliques (Yragaël ou la fin des temps). Moebius, Solé, tout était là. J’avais treize ans. Ça m’a mis dans un état d’extase. Première branlette, premiers émois. Merci ladite culture populaire.
C’est par le biais des livres que tu as commencé à collectionner ?
Il y a des magazines BD qui m’ont marqués. Dans Métal Hurlant, dans le numéro 16 je crois, il y avait une BD érotico-lesbienne western très bandante. Et Gwendoline aussi, Eneg avec Madame La Bondage et Princesse Elaine et surtout Jim pour La Baronne Steel. Que d’émois. Sans oublier Le Diable de Nicollet et Prisonnière de l’armée rouge de Romain Slocombe. J’ai toujours été intéressé par les bouquins qui étaient un peu déviants et par le psychédélisme, notamment dans l’illustration. Sade ou Bataille ont permis de faire le pont entre la littérature et le dessin. Sade c’était sympa mais Bataille ça m’a vraiment conquis. C’est par leurs écrits que j’ai découvert les illustrations de certains surréalistes comme Bellmer, Trouille, Molinier et bien d’autres. Ensuite j’ai découvert les graphzines par le biais de l’illustrateur et tatoueur Denis Greux. [Graphzine : livre graphique ne revêtant pas un caractère de revue.]
Druillet / Slocombe / Eneg
Tu collectionnes quoi exactement ?
Dessins, gravures, peintures, livres. Tout ce qui est support papier. Il faut que ça caresse ma rétine et mon esprit, c’est pas compliqué. Si en ouvrant un livre j’ai l’oeil accroché, je fais mon possible pour l’avoir. Quand je joue [jeux BDSM, ndlr] j’aime rentrer dans des états seconds, j’aime les sensations altérées comme si j’avais pris un produit. Les images me procurent ces mêmes sensations, quand je vois une image super forte, je m’évade.
Quelles sont tes références ?
Les érotiques du surréalisme, comme tout le travail sur la recherche de la perspective érotique de Hans Bellmer ou la peinture anarchiste de Clovis Trouille. Pierre Molinier a également une érotique similaire, où il inclut une esthétique transgenre, il se travestit, s’auto-sodomise. Dans les Japonais il y a Suehiro Maruo ou Shintaro Kago, et surtout Toshio Saeki, que j’ai découvert grâce à un bouquin qui s’appelle Japon Intime, qui avait été ramené en France par Romain Slocombe, à une période où les Japonais avaient laissé tombé l’érotisme pour faire du dessin pour enfants. Ce bouquin a permis à Saeki de retrouver sa notoriété au Japon et m’a beaucoup marqué. Ça a été ma porte d’entrée vers l’Ero Guro. [Mouvement artistique et littéraire japonais combinant érotisme et grotesque, ndlr.]
Le Japon a une place importante dans tes références.
La découverte de Trevor Brown dans les années 90 a aussi été importante. Au tout début d’Internet il avait créé un forum sur lequel on pouvait s’exprimer sur le graphisme, c’était hyper pointu. Brown avait un graphisme érotique froid proche de Bazooka. [Collectif d’artistes français associé au mouvement punk des années 1970, ndlr.]
Il s’inspire aussi beaucoup de l’art médical, du fétichisme médical. Il vit au Japon et a réussi à lui emprunter son esthétique érotique, à faire du porn qui oscille entre Bazooka et le kawaii. Il a beaucoup d’illustrations qui mettent en scène des lolitas dans la fantasmagorie SM, ce qui fait qu’il a été critiqué beaucoup et très longtemps. C’est une sorte de Balthus punk sous acide, souvent copié mais jamais égalé.
Toshio Saeki / Trevor Brown
Par son forum j’ai connu un Strasbourgeois qui lui aussi est très influencé par la culture japonaise, Antoine Bernhart. Je l’ai découvert grâce à la revue Malefact qui était une revue graphique sans limites, dans laquelle on pouvait montrer des choses à la cruauté et la sexualité hyper explicite. J’ai eu l’occasion de rencontrer le personnage lors d’une expo à Berlin chez Bon Goût, au moment où il évoluait vers un nouveau style, celui qu’il a maintenant, avec des personnages à grosse tête et petit corps. Cette rencontre a été le début d’une amitié et d’une collaboration de longue date (Bernhart et Georges font partie du collectif sex-anarchists Schnecknewurst).
De Bernhart, Agnes Giard dit qu’il « représente le Mal, le Mal à l’état pur, pour le plaisir, avec une liberté totale ». Est-ce que pour toi le dessin bénéficie d’une caution artistique qui autorise les illustrateurs à dépasser les limites des conventions sociales?
Oui, face au dessin j’ai une tolérance incroyable. Dans l’illustration tout est possible, on peut dépasser les tabous, montrer du macabre, du pervers, du sadique, il y a une sorte de réserve on se dit que ce n’est « que du dessin ». Farrel, Bernard Montorgueil ou le Marquis von Bayros, qui date pourtant du 19ème, c’est sans limite. Et puis si on remonte dans lesdits classiques de Bosch à Goya, là ça balance sec.
Aujourd’hui seul le dessin a cette liberté, en photographie ou en cinématographie on ne peut plus tout montrer, sauf quelques pépites qui renouent avec l’impertinence.
Bernhart / Montorgeuil / Farrel
Toute à l’heure tu as évoqué Farrel. Pour moi Dolcett lui-même, à côté de Farrel, c’est un enfant de cœur. Farrel c’est sadique, cruel, les femmes sont présentées dans des situations SM extrêmes, violées, mutilées, elles sont humiliées, en pleurs, alors que les héroïnes de Dolcett semblent volontairement s’empaler sur des broches pour être rôties et dévorées avec le sourire.
Farrel raconte qu’il bande en faisant ses dessins, il pleure, il passe par de nombreux états. Il a l’air de vivre toutes les émotions qu’il retranscrit dans ses dessins. C’est un des seuls artistes dont j’ai entendu dire qu’il se masturbait sur ses propres oeuvres. Molinier faisait aussi ses couleurs en se branlant, il les faisait goûter à son chat et si le chat aimait bien, il les utilisait.
Molinier – Le temps de la mort
Il faisait goûter les couleurs au chat ?
Oui, il mélangeait les couleurs qu’il allait utiliser pour ses peintures à son sperme et les faisait goûter au chat.
(Décontenancée) Ok très bien.
Farrel est très mal considéré, même dans le milieu SM. Berhnart aussi. A ses expos les gens regardent leurs chaussures, partent, gueulent ou adorent sans retenue. Ce n’est que du dessin bordel ! On représente pas Mahomet ! Et il y a toujours eu des artistes pour montrer la cruauté et la perversité, t’as cas regarder les frontons d’église ! Qu’ils nous lâchent avec leurs bondieuseries, ou alors qu’ils détruisent leurs frontons. C’est vrai que si je ne suis plus vraiment choqué par quoi que ce soit je peux comprendre que certains soient perturbés. Mais c’est bien, moi aussi j’ai été perturbé, et ça m’a poussé à vouloir en voir plus !
Ça t’a poussé à en voir plus, mais est-ce que ça t’a poussé à explorer, expérimenter dans ta vie sexuelle ? Des études essaient de montrer que visionner des vidéos pornographiques a une influence sur la sexualité des gens, négative ou positive. Est-ce que le dessin a eu une influence sur la tienne ?
Oui, clairement, ça m’a aidé à découvrir le milieu SM. Et surtout rendu très tolérant face aux personnes qui expérimentent et assument une autre sexualité.
Dans son dernier documentaire, Ovidie reproche au porn d’aller toujours plus loin, de sans cesse inventer et montrer des pratiques toujours plus extrêmes, qui conduisent le spectateur à en attendre toujours plus des actrices. Est-ce que c’est pareil dans l’illustration ? Y’a-t-il eu une surenchère de l’extrême avec les années ?
Pas du tout. Si tu prends le Marquis Von Bayros ou Martin van Maële ou bien même Félicien Rops, se sont des gravures et des enluminures de la fin du 19e, qui montrent de la sorcellerie dépravée, des jeunes adolescents qui découvrent leur sexualité tous ensemble, des lesbiennes qui se godent le cul, des jeunes filles qui se masturbent devant des chiens. Montorgueil présente des femmes très sadiques et très dominantes attachant des hommes et leur transperçant le sexe avec des aiguilles dès 1930. Sade a toujours été illustré. On n’a rien inventé, à chaque siècle ses références graphiques et ses décors, mais les représentations de la sexualité hardcore ont toujours existé. Moi ça me ravit.
Marquis Von Bayros / Martin Van Maele
Penses-tu que posséder des œuvres mettant en scènes des paraphilies extrêmes révèle les fantasmes des collectionneurs, ou seulement leur intérêt pour l’esthétique et la créativité des mises en scène?
Sur ce coup-là, je te répondrais qu’Eros et Thanatos ont toujours été liés, moi ça m’emmerde profondément que l’on analyse toujours tout. En plus ça donne du crédit aux censeurs, après faut pas s’étonner que l’on veuille censurer Stu Mead, parce que le FN le diabolise lors d’une expo à Marseille. Je viens d’une décennie où les maîtres-mots étaient free speech et fuck the censors.
Stu Mead
Est-ce qu’aujourd’hui ça t’arrive encore de bander quand tu vois une image ou est-ce que tu as uniquement un rapport intellectuel avec elle ?
Là maintenant à cinquante cinq balais c’est plutôt devenu intellectuel, mais quand j’étais plus jeune je me tapais des branlettes c’est sûr. Avec l’avènement de la pornographie sur le net, il y a une proximité, une immédiateté sans pareille. Si j’ai envie de me pignoler, je sais que je vais vite trouver sur le net de quoi m’inspirer, mais je dois reconnaître que c’est souvent le nez dans les bouquins ou en regardant des images que l’envie de pignolage arrive. C’est surtout la quintessence du trait et des couleurs qui me chavire l’esprit.
L’envie naît du support papier et ensuite tu te rabats sur des vidéos ?
Oui, mais certains bouquins me font autant d’effet. J’ai l’impression que maintenant qu’hormis du gonzo il n’y a plus rien, plus de scénario incroyable. L’érotisme un peu lent des années septante me manque. Tu sais, une image dessinée porte souvent plus de romantisme et de développement artistique qu’une vidéo porn. Et puis le porn, à part quelques exceptions, c’est devenu un vulgaire business de gens puants et sans références, tout ce que j’exècre.
Justement, en parlant d’Internet, as-tu l’impression que le net t’as apporté une nouvelle abondance d’oeuvres à collectionner ?
Mes dépenses sur le net ne représentent que 5% de mes achats. La seule chose qui a changé c’est les forums pour correspondre avec les artistes et la possibilité d’acheter en direct sur le site web des éditeurs. Actuellement tout est visible sur le net, alors qu’à l’époque c’était beaucoup plus discret et ça n’intéressait que les initiés, sous cape. Avant le net, c’était une vraie chasse au bouquin. Tu regardais dans des graphzines pour trouver un nom et tu te rendais en librairie, chez Regard Moderne [Une librairie parisienne, ndlr] par exemple, en espérant le trouver, tu demandais, miracle ils l’avaient. Ou pas. Mais je préfère toujours rencontrer l’artiste et acheter en direct, j’aime entretenir des correspondances avec eux. Tu sais c’est pas facile pour un mec comme moi, qui n’a pas fait d’études, de se lancer dans une relation épistolaire. J’ai du mal à écrire une lettre, à poser convenablement mes sentiments. Je ne suis pas un grand lettré dans mes écrits mais je trouve qu’il faut donner le ton. J’ai pas le style de Mandiargues ou de Robbe-Grillet mais je veux vraiment retranscrire ce que leurs oeuvres me font ressentir.
Quelles ont été tes dernières trouvailles ?
Un livre allemand Clitoria avec des belles femmes rondes, pas sveltes du tout, dont le clitoris est toujours très proéminent. Récemment j’ai eu un gros coup de cœur pour Ludovic Levasseur, qui présente des créatures mi-femmes mi-animaux, des chimères couvertes d’écailles, à la langue démesurée. Levasseur possède une esthétique surréaliste qui mélange l’Eros et le Thanatos et qui me plaît beaucoup.
Ludovic Levasseur
Tu veux ajouter quelques mots sur ce que tu as trouvé chez Humus ?
Que de la bonne dope pour mes yeux et c’est surtout un libraire passionné qui distribue et surtout édite de beaux ouvrages comme je les aime. Aujourd’hui à force d’en voir j’intellectualise plus, j’ai plus de recul. C’est difficile de garder une sorte de juvénilité naïve face aux œuvres, de toujours les regarder comme si c’était la première fois. Mais je dois reconnaître que ça arrive encore souvent. Les années septantes furent un vivier incroyable qui m’a ouvert des portes, que je continue d’enfoncer, musicalement aussi, mais c’est une autre histoire…
Illustration en une : Pierre Molinier
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Connaissez-vous les radis blancs (daikon) japonais ? Dans une oeuvre mêlant Réalité Virtuelle et folklore légumier, l’artiste Etsuko Ichihara a créé une oeuvre surnommée «Interface de harcèlement sexuel», invitant hommes et femmes à faire jouir les navets.
Les daikon sont d’énormes navets à la chair juteuse blanche ou rose, longs de 20 à 35 cm. Leur nom signifie littéralement «grande [dai] racine [kon]». Le mot «racine» – homophone du verbe «dormir» (kon), qui signifie aussi «faire l’amour» – fait de ce légume un symbole sexuel si fort qu’il est courant de voir des radis sculptés en érection lors des jibeta matsuri, les «fêtes de la fertilité» durant lesquelles des phallus sont portés en procession (1). Le daikon est un légume suggestif, par ailleurs très apprécié de ceux-celles qui veulent faire des régimes car il est riche en vitamines C mais pauvre en calories. Son nom rappelle le mot dankon («racine mâle») qui signifie «grosse verge» dans la poésie ancienne.
Le légume en transe comme instrument de musique électronique
Lorsque l’artiste contemporaine Etsuko Ichihara décide de faire une oeuvre d’art érotique, son choix se porte naturellement sur le daikon comme support tactile. Au début, il s’agissait pour elle de reproduire une paire de cuisses graciles afin que les gens les caressent. Mais comment faire pour que cette oeuvre soit accessible au plus grand nombre ? Etsuko décide de remplacer les sculptures de jambes nues (trop explicites) par des radis, qu’elle relie à des capteurs de mouvement. Chaque fois que vous touchez les légumes, ils poussent des cris. «C’est une oeuvre très absurde : il y a quatre radis blanc alignés qui gémissent de plaisir quand les gens les caressent. Je me suis inspirée du thérémine car je trouvais que ça sonnait comme un gémissement de femme». Le thérémine – un des plus anciens instruments de musique électronique– date de 1919 : il est inventé par le Russe Lev Sergueïevitch Termen («Léon Theremin») qui fait une démonstration si convaincante devant Lénine que celui-ci décide d’en prendre des leçons. Le Thérémine capte les mouvements à distance. On entend ce son bizarre, évocateur de fantômes et d’envies, dans La Maison du docteur Edwardes (Hitchcock). Adaptant l’idée du Thérémine aux légumes, Etsuko invente donc les radis qui chantent d’amour. Mais ce n’est pas tout.
The system substitute reality for delusion / 妄想と現実を代替するシステム SRxSI from Etsuko Ichihara on Vimeo.
Réalité de substitution mixée avec radis hyper-sensible
L’idée lui vient de relier ces radis vocaliseurs à un système de jeu en Réalité Virtuelle (VR). «J’ai découvert l’existence d’oeuvre interactives. Cela m’a beaucoup plus, j’ai voulu essayer moi aussi. A cette époque, j’étais particulièrement intéressée par la culture du sexe au Japon. Je suis allée dans des musées du sexe. C’est à partir de là que j’ai créé des projets absurdes comme “Interface de harcèlement sexuel [Sekuhara Interface]». Le nom complet du projet est SRxSI, l’acronyme de «Substitute Reality x Sekuhara Interface». Il se «joue» à l’aide d’un casque de VR permettant de faire l’expérience d’une rencontre érotique avec quelqu’un qui n’est pas là. Ce que le joueur voit, en 3D, est une personne séduisante, mais absente. Une jeune fille à la jupe courte s’approche en souriant, presque à toucher le spectateur, le frôle, le regarde, invite à la caresse. Il n’y a qu’à tendre la main pour avoir l’impression de frôler sa cuisse nue. En réalité, le joueur touche un radis. Mais son cerveau, désorienté, ne parvient pas forcément à faire coller la perception visuelle avec la perception tactile. L’image hyper-réaliste d’une jeune fille se superpose à la sensation déroutante d’un contact inadéquat. C’est d’autant plus perturbant quand le radis gémit langoureusement sous l’impulsion de la main qui l’effleure.
Des robots de deuil qui servent à «invoquer» les défunts
L’oeuvre se veut troublante. Son titre même joue de façon étonnante avec l’idée du harcèlement ici vécu comme une expérience positive. L’expression sekuhara (abréviation de sekushuaru harasumento, pour sexual harassment) émerge dans les médias japonais vers la fin des années 1980 et la majorité des Japonais l’identifient comme un comportement répréhensible. Pour Etsuko, non sans humour, il y a une forme de harcèlement dans le fait de faire jouir une femme… à moins qu’il ne s’agisse d’une illusion ? Celle qui jouit n’est en effet nulle part ailleurs que dans la tête du joueur. Il croit procurer du plaisir alors qu’il caresse un radis. C’est ce comportement pour le moins ridicule que l’artiste met en scène, nous renvoyant subrepticement à l’idée que tout dans ce monde relève de la simulation. Etsuko Ichihara ne s’est d’ailleurs pas contentée de créer des oeuvres érotiques.
Elle a aussi mis au point des robots de deuil, programmés sur le modèle des clones post-mortem : ils enregistrent la voix, les tournures de phrase, les tics langagiers, les idiosyncrasies d’une personne. Elle les nomme Digital Shaman. Les défunts parlent par leur intermédiaire, mais pour un laps de temps limité… Personne n’est éternel.
Digital Shaman Project / デジタルシャーマン・プロジェクト from Etsuko Ichihara on Vimeo.
Lorsqu’elle meurt, une croyance veut en effet que l’âme d’une personne reste autour de ses proches pendant 49 jours. Pendant 49 jours, les robots de deuil reproduisent la présence du défunt dont ils portent le masque (fait à partir d’un scan en 3D), parlent avec les proches et leur font des adieux. Lorsque le compte à rebours atteint zéro, le robot s’éteint. Sa tête s’incline, son masque tombe. Encore une illusion… comme tout ce qui nous maintient en vie.
Mes sims sont plus belles que vos réalités
«La société moderne a tendance à cacher des choses qui ne lui plaisent pas, dit Etsuko. Que ce soit la mort ou le sexe.» Ces choses, Etsuko Ichihara les montre, tout en montrant qu’il s’agit de leurres. Pour accentuer la portée de son message, elle s’habille volontiers en miko (desservante de sanctuaire shintô), dans une tenue blanche et rouge –blanche comme la mort, rouge comme la vie– qui l’apparente aux personnes chargées de servir d’intermédiaire entre les mondes. Ses oeuvres posent une question : quel monde est le vrai ? Celui qu’on ne voit pas ou celui qu’on croit voir ?
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PETIT DOCUMENTAIRE SUR ETSUKO ICHIHARA (11 mn)
NOTE 1 : On le trouve aussi parfois dessiné sur les plaquettes votives des sanctuaires dédiés à l’amour sous la forme de deux radis croisés en X, symbolisant l’union. Certains radis aux formes bizarres sont d’ailleurs considérés comme des offrandes privilégiées pour les dieux : c’est le cas des daikon à deux bulbes (futamata daikon, littéralement «radis à deux cuisses»), un symbole érotique très présent dans le folklore. Au Japon, plusieurs musées dédiés aux choses qui procurent du bonheur (les hihokan, «musées du sexe») conservent ainsi précieusement – tels des foetus en bocaux – ces radis qui se ramifient en deux jambes croisées ou écartées, fortement évocateurs d’une silhouette humaine…