M.I.A vient à Paléo. Ah ça, le sol de la fameuse pleine de l’Asse à Nyon risque bien de trembler très fort sous les pieds des festivaliers le premier soir de cette 39e édition. La chanteuse d’origine sri-lankaise n’a pas l’habitude de faire les choses à moitié et ça marche, puisque ses fans en redemandent. Elle l’a prouvé à plusieurs reprises, elle n’a pas froid aux yeux. A coups de clips choc, elle aime provoquer des secousses sismiques et balancer des coups de pied là où ça fait mal. Rafraîchissons- nous la mémoire : la violente chasse aux roux par des militaires filmée par Romain Gavras dans la vidéo de Born Free en 2010, c’était elle. La recette avait alors porté ses fruits, les médias internationaux s’étaient alors emparé du sujet.
Pendant ce temps-là, M.I.A se frottait les mains, elle entrait dans la cour des reines de la controverse. Deux ans plus tard, elle remettait ça avec son complice derrière la caméra pour le clip de Bad Girls, qui la met en scène avec des Marocains hipsters et rebelles dans les rues de Ouarzazate. Et hop un nouveau tollé dans les médias, qui n’ont pas tous apprécié l’aspect clinquant du petit film. Sujet touchy s’il en est, on ne plaisante pas avec les codes de l’islam sous nos latitudes. Vraiment pas ? M.I.A, elle, a décidé que oui. Parfait timing, le clip sortait juste deux jours avant la participation de la star au show de la mi-temps du Super Bowl le 5 février 2012 pour le comeback de Madonna. Elle jouait les pom-pom girls avec Nicki Minaj quand tout-à-coup, son doigt a fourché. Et un doigt d’honneur face à la caméra lors de la prestation. Onde de choc dans le monde entier. Même la Madone, elle-même ancienne papesse de la provoc n’a pas supporté. Elle qui jetait sa petite culotte à la tête de Jacques Chirac lors de son premier concert parisien en 1987. Offusquée par le geste de sa cadette, la souveraine de la pop prouvait au passage que d’une petite culotte à un doigt d’honneur, le monde s’est terriblement aseptisé en quelques décennies. L’incident a valu à M.I.A une amende de 1,5 million de dollars de la part de la National Football League…
On l’a compris, l’artiste a des couilles et elle aime les exhiber dans son œuvre. A la sortie de son quatrième album studio Matangi en octobre 2013, elle observait : «Je ne suis jamais décidée sur mes opinions, c’est toujours un point d’interrogation. Je laisse beaucoup d’espace ouvert, et les gens se sentent insécurisés par ça». Elle est comme ça M.I.A, irrésolue à faire des compromis, une sorte de terroriste du world hip hop militant. Du haut de ses 39 ans et sous ses airs d’éternelle sale gamine révoltée contre l’hypocrisie ambiante, elle est de la trempe des trendsetters. Il est donc tout à fait normal qu’elle fasse des émules parmi des artistes qui décident de montrer une image différente de la culture arabe.
Muse musicale
C’est à New York, plus exactement à la Taymour Grahne Gallery, que le photographe d’origine marocaine basé à Londres Hassan Hajjaj a décidé de dévoiler sa série Kesh Angels fin janvier. Toutes de babouches, djellabas et voiles vêtues, ses modèles – ses amies vivant à Marrakech – prennent la pose en adoptant des attitudes de bad girls sur des motos ou des scooters. Avec un tel sujet, à la fois pop, glamour, intelligent et politiquement incorrect, la galerie savait qu’elle avait de quoi faire parler d’elle bien au-delà des Etats-Unis. Et ça n’a pas manqué. La presse internationale s’est aussitôt emballée, séduite par la capacité du photographe à bousculer certaines idées reçues par rapport à la condition des femmes dans les pays arabes. Sans provocation, il a décidé de rendre hommage à une certaine couche de la jeunesse de son pays d’origine, celle qui revendique la modernité au détriment des traditions, mais sans pour autant se positionner en porte-à-faux avec la religion et les croyances de leurs aînés.
Quelques années auparavant, la photographe iranienne Shadafarin Ghadirian créait la controverse avec sa série baptisée Like Everyday, qu’elle exposait pour la première fois à la galerie Saatchi en 2000. Dans son travail, l’artiste née à Téhéran en 1974 remettait en question les idées reçues sur le rôle de la femme dans l’islam. Largement incompris à l’époque par le public occidental qui n’y voyait qu’une provocation très premier degré et une façon de «choséifier» la femme, son travail n’a pas plu à tout le monde. En réalité il questionnait – avec beaucoup d’humour – le rôle attribué aux femmes au Moyen-Orient. Ses portraits montraient des femmes voilées aux visages camouflés par des ustensiles ménagers, comme un gant de nettoyage jaune, une râpe à fromage ou un fer à repasser. Dix ans après sa première exposition, ses portraits étaient disséminés sous forme d’affiches à Vevey pendant le festival Images.
Aussi dans la rue
Le street-art n’est pas en reste. Au début des années 2010, deux artistes graffiti ayant basé leur création sur le voile musulman ont beaucoup fait parler d’eux. Il s’agit de l’artiste italien BR1 et Princess Hijab, un pseudo derrière lequel se cache un artiste parisien. Le premier a choisi de placarder les murs de sa ville, Turin, de posters représentant des femmes portant un hijab, un niqab ou une burqa dans des situations de la vie quotidienne. Considérant que les musulmanes sont des femmes comme les autres, il s’est donné pour mission de démontrer à ses compatriotes italiens que sous leurs voiles, elles ont les mêmes préoccupations que toutes les femmes du monde. Quant à Princess Hijab, sa démarche artistique va plus loin puisqu’elle tend à questionner sur l’utilisation du corps féminin dans la publicité pour dépasser les limites culturelles et communautaires imposées par la société. Pour y parvenir, Princess Hijab voile les femmes apparaissant sur des affiches publicitaires. Selon son manifeste rédigé en 2006, elle tend à affirmer une intégrité physique et mentale dans un monde surchargé par le terrorisme visuel capitaliste. Elle utilise le Hijab en dehors de sa connotation religieuse comme un outil visant à mettre en évidence l’homme, la femme et la représentation du corps dans l’espace publique.
Ce travail fait évidemment écho à la collection Between du créateur chypriote Hussein Chalayan en 1998. Avec cette collection, il a souhaité susciter la réflexion sur l’identité, notamment sur la condition des femmes musulmanes. Sans ironie par rapport à la religion, il a simplement voulu démontrer à quel point les codes religieux ont le pouvoir de dépersonnifier l’être humain. Lors du défilé, six mannequins rentraient en scène les unes après les autres, sandales aux pieds. Le première était entièrement nue avec le visage caché par un masque, suivie de la seconde à moitié nue et ainsi de suite jusqu’à la dernière entièrement recouverte d’une longue burqa.