Après Pavillon 38, Caïn et Adèle, Obscura, L’année du Rat, Régis Descott revient nous offrir un thriller psychologique : Souviens-toi de m’oublier.
Résumé
Iris et Max ont vécu autrefois 4 années d’amour fou mais aujourd’hui, seule Iris semble s’en souvenir.
Extrait choisi
Son regard retenu par celui du primate, Iris tendit soudain l’oreille : la rumeur de l’assemblée s’était éteinte, remplacée par une autre, peuplée de cris, de gloussements et de hululements s’élevant d’ordinaire au cœur des forêts primaires. Dénué d’artifice, tenant sur son seul sujet - un singe massif sur un à-plat beige uniforme -, le tableau représentait un univers en soi, une invitation à s’immerger dans un monde sans repères.
Intriguée, Iris visa l’étiquette sur le mur à côté du cadre : John, Macaca nigra. Le charme rompu par cette dénomination scientifique, aussitôt la jungle se tut au profit des conversations mondaines.
En dépit de son pelage, de son crâne en pain de sucre et sa gueule découvrant un croc grisâtre, le macaque arborait une expression humaine. Le peintre était parvenu à ce résultat étonnant : une animalité brute, tempérée par ces yeux chair d’oursin où l’attention revenait sans cesse. Il n’avait pas représenté la cage, et pourtant son entrave était perceptible. Les animaux avaient perdu leur liberté de mouvement. Leurs yeux racontaient ce deuil.
A côté, l’étiquette du gibbon à mains blanches arborait un point rouge. Les toiles partaient comme des petits pains. Par leur anthropomorphisme, elles dégageaient une séduction perceptible au premier regard.
Le second degré chez ce peintre l’amusait. Prise d’un rire solitaire, Iris fit se retourner un couple de quinquagénaires. Elle leur adressa un sourire radieux, mais conserva son hilarité pour elle.
Elle se demandait ce que Thomas en penserait, lui qui aimait le dessin et les reportages animaliers. L’exposition aurait toutes les chances de l’intéresser. En la voyant se maquiller devant le miroir de la salle de bains, il avait protesté. Alors tu m’abandonnes encore… Avant qu’il n’ait eu le temps de s’écarter, d’un mouvement vif elle lui appliquait son tub de rouge à lèvres entre les sourcils. Un point vermillon comme ceux des tableaux dans cette galerie. La fantaisie de sa mère ne l’avait pas fait rire, agacé, il s’était essuyé et avait tourné les talons.
Pour se faire pardonner, au risque de faire attendre Antoine, elle avait pris le temps de lui préparer des pâtes à la puttanesca, souvenir joyeux d’une aventure italienne dont elle avait conservé le goût. En découvrant l’assiette, Thomas l’avait gratifiée d’un baiser sur la joue.
Cela faisait trois soirs de suite qu’elle le laissait seul, mais Antoine avait insisté. On ne lui résistait pas, il savait se montrer si persuasif. Elle devait le rattraper, accorder à son fils davantage d’attention, sinon il finirait par s’éloigner ; un risque qu’elle ne prendrait pas.
Soudain, le macaque lui parut las. Elle chercha Antoine dans l’assistance. Avec sa tignasse, ses lunettes à monture d’écaille et son rire de crécelle, elle n’aurait aucun mal à le repérer. Après avoir dirigé deux ministères, il était sans poste, et considéré comme d’autant plus dangereux. Le pouvoir aimantait les hommes et les femmes, selon les médias sensibles à son aire vulnérable, et il en jouait. L’un des prix à payer pour vivre avec un tel personnage. Ça ne la dérangeait pas. Elle accordait sa confiance une fois pour toutes et Antoine ne lui avait jamais donné l’occasion de douter de lui.
A l’autre bout de la pièce, prêtant une oreille distraite à son interlocutrice, un homme trapu au regard pénétrant et à la cravate de laine fixait ses yeux sur elle. Elle aussi attirait les regards, parfois.
Et l’artiste ? Elle ignorait jusqu’à son nom, au peintre animalier qui réussissait si bien les primates. Elle s’était contentée de monter dans la voiture et de se laisser conduire sans écouter les directives qu’Antoine dictait par téléphone à l’un de ses collaborateurs, avec cette décontraction qui dès leur rencontre l’avait séduite. Le long des voies sur berge, elle avait laissé vagabonder son regard à la surface de l’eau noire et lumineuse, tandis qu’à côté d’elle Antoine continuait de tricoter son avenir avec des interlocuteurs dont elle n’essayait même plus de deviner les identités. Elle contemplait les façades de la rive gauche, la succession des ponts enjambant la Seine, les péniches, les navettes fluviales et les remous que leurs hélices produisaient, ce spectacles si vieux, si beau et si émouvant auquel, à force, elle ne prêtait plus guère attention.
La cravate de laine avait terminé sa conversation et se rapprochait. Un mandrill, lui apparut-il tandis qu’une trouée dans la foule dégageait en arrière-plan le portrait d’un de ces spécimens à la face colorée. Elle eut envie d’une cigarette.
S’immisçant entre les groupes, elle se dirigeait vers la sortie, évitant les pieds, les épaules et les coupes de champagne, lorsque la vision d’une nuque où foisonnaient des boucles rebelles l’arrêta.
Etait-il à ce point sorti de son esprit pour qu’elle n’ait pas eu au moins une pensée pour lui en se rendant dans cette galerie ?
Son regard embrassa l’ample courbe des épaules, la veste de lin kaki, les cheveux en désordre et, après deux pas supplémentaires dans sa direction, découvrit enfin ses traits : les yeux de chat vert d’eau, le nez légèrement épaté et le menton piqué d’une fossette. Ce visage qui s’était si souvent penché sur le sien. Puis elle vit ses mains. Celles d’un pianiste qui aurait travaillé dans la charpente, avec ses doigts longs et forts.
Max ! C’est toi tous ces tableaux ? Max ! La dernière fois tu étais si misérable !
Avis
Entamer la lecture de Souviens-toi de m’oublier, c’est accepter d’être déstabilisé/e, genre, c’est quoi ce roman d’aMOUrrr ???
Quand on ouvre un Descott, généralement, on découvre rapidement un meurtre. Or là, nulle trace de sang, aucun cadavre MAIS l’incompréhension et le malaise du personnage principal qui grandissent au fil des pages. Comment l’être avec qui elle a vécu un amour passionnel a-t-il pu oublier cette période ?
ATTENTION, je n’ai pas dit que ce roman était une bluette, bien au contraire.
Souviens-toi de m’oublier est TERRIBLEMENT BIEN DOSÉ : suspense/neuropsychologie/expérimentation scientifique/rapports humains.
Je n’ai pas dit non plus que personne ne mourrait. D’ailleurs, je pense qu’au-delà de l’intrigue inquiétante, le sujet omniprésent du livre est la mémoire et ses fonctions. La mémoire, ce phénomène qui continue de nous subjuguer. La mémoire qui coordonne toute notre activité mentale : intelligence et affectivité. Je retiens parce que j’ai compris mais aussi parce que j’aime.
Et le livre, dans tout cela ? Si vous aimez être surpris et avoir peur, vous devriez vous retrouver piégés jusqu’aux toutes dernières pages.
Régis Descott est décidément un des maîtres du thriller psychologique. BRAVO !
Souviens-toi de m’oublier, Régis Descott, éditions JC Lattès 19 €
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