Née en 1980, Emilie de Turckheim s’est déjà inspirée de son expérience de visiteur à la prison de Fresnes pour Les pendus (2008).
Extrait choisi
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Elle a grandi. Elle vit dans une ville qui ressemble à l’ancienne, mêmes ronds-points, mêmes primevères en jardinières de béton, même sentiment géographique de vivre dans une plaine, sans accident. Elle saigne chaque mois et peut regarder, prudemment, sa propriété noire, son triangle de poils. Elle ne se confesse plus. L’idée a perdu tout son délice. Bien qu’elle regrette les pénitences et les espoirs de pénitence. Elle fréquente un lycée sans chapelle et ne porte plus de blouse. Quant à Marie, l’enviée, elle a été renvoyée de l’Institut, surprise, le jour du vaccin contre l’hépatite B, dans les bras de l’infirmier.
Marie et l’héroïne sont dans le même lycée. Elles parlent et s’asseyent sur des chaises qui se touchent. Marie sera comédienne. Sur la fiche d’orientation, dans la case profession envisagée, elle écrit comédienne. L’héroïne sera sainte. Sur la fiche d’orientation, dans la case profession envisagée, elle écrit secrétaire.
Elle rend visite à sa mère. Le matin prend toujours fin dans le parfum du chou, même quand pas un chou n’est servi. La mère prend ses repas dans la chambre avec vue sur le parc. Depuis sa fenêtre, elle reconnaît les pensionnaires dans les allées. C’est Ophélie celle-là. Regarde-la déboutonner son gilet pour échauffer l’étable. Pauvre petite, perdre la tête à son âge. Et Juliette, trouble et verte à force de regarder l’étang. Juliette est un personnage secondaire que nous croiserons sept fois au cours du roman et dont les tours ne sont pas nettement marqués, au sens propre, car elle est floue. En blouson noir, c’est le fils de Juliette, un grand échalas de fils, au chômage depuis trois ans. Il vient demander de l’argent à sa mère au lieu de chercher de l’ouvrage. Avec le chapeau, le père Roméo. Le genre d’homme qui ne supporte pas de perdre aux dominos. Comment s’est passée ta semaine, maman. Il ne s’est rien passé. Il pourrait y avoir des morts mais il n’y en a de morts. Ne commence pas à me poser des questions et n’oublie jamais que je t’ai lu des contes quand tu étais petite, tous les soirs, même épuisée par mes soucis, je ne t’ai jamais refusé une histoire, alors raconte. Maman, c’est l’histoire de sainte Hélysabel. Elle vivait au siècle des dragons et se promenait de village en village, frappant aux portes et sortant juste de l’enfance. Dites-moi comment vous servir, disait Hélysabel. La joie de vous avoir aidé sera mon traitement. Une mauvaise femme refusait de lui ouvrir et la maudissait en langue basse. A travers la porte fermée, Hélysabel la bénissait, devinant son nom et chantait sur les chemins. Plus loin, une mère demandait du persil et de l’ail pour soigner la fièvre de son dernier-né. Hélysabel se pressait de trouver ail et persil, le nourrisson guérissait dans la nuit. Ailleurs, un vieil homme voulait un fils pour perpétuer son nom et lui succéder dans le commerce du vin. Hélysabel entrait dans la maison, s’étendait sur la paillasse, laissait le vieillard venir dans son ventre, grossissait, accouchait et lui donnait un fils robuste, que le vieux prénommait Bienfait. Mais voilà qu’un matin, au cœur d’une clairière, un monstre malade, mi-homme mi-dragon, trop affaibli pour courir le monde, réclama le seul remède qui lui sauverait la vie. Quel est ce remède, demanda Hélysabel. Mille soucis cueillis au sommet de mille montagnes, répondit le monstre. Hélysabel passa le restant de ses jours à gravir les monts enneigés et roides des continents. Elle avait plus de cent quinze ans quand elle retrouva l’homme-dragon au cœur de la clairière. Il respirait à peine. Seuls ses yeux n’étaient pas entrés dans le royaume des morts ; et c’est ainsi qu’il put voir Hélysabel lui prodiguer les soins. Quand Hélysabel eut finit d’appliquer le mélange de pétales de soucis et de boue sur le torse du monstre glacial, celui-ci se dressa sur ses pattes arrière et par la gueule ouverte cracha une longue flamme. D’Hélysabel, il ne resta rien.
Elle embrasse sa mère, dit qu’elle apportera la prochaine fois une galette des rois. La mère dit qu’on la vole. Chaque semaine, il manque de l’argent. Parfois, on me prend cent, parfois on me prend mille. Je crois que c’est la femme de ménage, la grise, avec un accent. Elle dit à sa mère que personne ne la vole. Tout le monde veut son bien. La mère dit qu’elle espère qu’elle aura la fève.
Mon avis
Il est certain qu’Emilie de Turckheim maîtrise la langue française et adore jouer avec les mots mais à trop jouer, parfois, l’on se perd.
Je n’ai pas retrouvé dans ce roman, la fraîcheur et le culot présents dans Héloïse est chauve.
Beaucoup de longueurs nuisent à cette histoire où se côtoient le burlesque et une tristesse collante. Dommage ! L’idée de cette fille qui rêve d’être sainte était intéressante.
Une sainte, Emilie de Turckheim, éditions Héloïse d’Ormesson 18 €
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