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Adelaide Herculine Barbin (1838 – 1868) orpheline, est déclarée fille à sa naissance. Elle devient institutrice dans un pensionnat et lesbienne. Ce n’est qu’au hasard d’un examen médical qu’on découvre l’erreur d’assignation de son sexe: Herculine est un homme.
« Ai-je été coupable, criminel, parce qu’une erreur grossière m’avait assigné dans le monde une place qui n’aurait pas dû être la mienne ? »
En 1860, elle change d’état civil et devient Abel Barbin. Cette décision administrative tient compte de la « prédominance évidente du sexe masculin » d’Abel d’un point de vue physiologique. Mais son existence ne sera faite que de désespoir.
«C’en était donc fait. L’état civil m’appelait à faire partie désormais de cette moitié appelé sexe fort. Moi, élevé jusqu’à l’âge de vingt et un ans dans les maisons religieuses, au milieu de compagnes timides, j’allais comme Achille laisser loin derrière moi tout un passé délicieux et entrer dans la lice, armé de ma seule faiblesse et de ma profonde inexpérience des hommes et des choses ! »
« Ce qui s’était passé ne fut pas pour moi une révélation, mais un tourment de plus dans ma vie ».
En février 1868, on retrouve son cadavre dans une mansarde; il s’est suicidé avec un réchaud à charbon. Il a pris soin de laisser sur sa table, une lettre adressée à sa mère ainsi qu’un manuscrit intitulé « Mes souvenirs », où il raconte son existence malheureuse, les combats et les souffrances d’une vie pleine de contradictions et de solitude.
Ce manuscrit sera rendu public pour la première fois par le docteur Ambroise Tardieu, médecin légiste, dans son ouvrage « Question médico-légale de l’identité dans ses rapports avec les vices de conformation des organes sexuels » (Paris, 1874).
« Le fait extraordinaire qui me reste à rapporter fournit en effet l’exemple le plus cruel et le plus douloureux des conséquences fatales que peut entraîner une erreur commise dès la naissance dans la constitution de l’état civil.
On va voir, la victime d’une semblable erreur, après vingt ans passés sous les habits d’un sexe qui n’est pas le sien, aux prises avec une passion qui s’ignore elle-même, avertie enfin par l’explosion de ses sens, puis rendue à son véritable sexe en même temps qu’au sentiment réel de son infirmité physique, prenant la vie en dégoût et y mettant fin par le suicide.
Ce pauvre malheureux, élevé dans un couvent et dans des pensionnats de jeunes filles jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, admis aux examens et pourvu du diplôme d’institutrice, vit à la suite des circonstances les plus dramatiques et les plus émouvantes son état civil réformé par un jugement du tribunal de La Rochelle, et ne put supporter l’existence misérable que son nouveau sexe incomplet lui imposa.
Certes, dans ce cas, les apparences du sexe féminin ont été poussées bien loin, et cependant la science et la justice furent contraintes de reconnaître l’erreur et de rendre ce jeune homme à son sexe véritable. Je n’hésite pas à publier presque en entier les mémoires d’Herculine Barbin, ne voulant pas laisser perdre le double et précieux enseignement qu’il renferme, d’une part au point de vue de l’influence qu’exerce sur les facultés affectives et sur les dispositions morales la malformation des organes sexuels, d’une autre part au point de vue de la gravité des conséquences individuelles et sociales que peut avoir une constatation erronée du sexe de l’enfant qui vient de naître.»
Ce document sera réédité et analysé par Michel Foucault en 1978 aux éditions Gallimard.
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Toute sa vie, Herculine sera attiré par les femmes.
«J’étais généralement aimée de mes maîtresses et de mes compagnes, et cette affection, je la leur rendais bien. J’étais née pour aimer. Je me liais bientôt d’une étroite amitié avec une charmante jeune fille nommée Thécla, plus âgée que moi d’une année. Certes, rien n’était plus opposé extérieurement que notre physique. Mon amie était aussi fraîche, aussi gracieuse que je l’étais peu. On ne nous appela que les inséparables, et, en effet, nous ne nous perdions pas de vue d’un seul instant. L’été on faisait l’étude dans le jardin, nous y étions l’une près de l’autre, les deux mains enlacées pendant que l’autre tenait le livre. De temps à autre le regard de notre maîtresse s’attachait sur moi au moment où je me penchais vers elle pour l’embrasser, tantôt sur le front, et, le croirait-on de ma part, tantôt sur les lèvres. Cela se répétait vingt fois dans une heure.»
« Je priai un soir mon amie de partager mon lit. Elle accepta avec plaisir. Dire le bonheur que je ressentis de sa présence à ses côtés, serait chose impossible ! J’étais folle de joie ! Nous causâmes longuement avant de nous endormir, moi les deux bras passés autour de sa taille, elle, reposant, le visage près du mien ! Mon dieu ! Ai-je été coupable ? Et dois-je donc ici m’accuser d’un crime ? Non, non ! Cette faute ne fut pas la mienne, mais celle d’une fatalité sans exemple, à laquelle je ne pouvais résister !!! Sara m’appartenait désormais ! Elle était à moi !! Ce qui dans l’ordre naturel des choses, devait nous séparer dans ce monde, nous avait unis !! Qu’on se fasse, s’il est possible, une idée de notre situation à tous deux ! »
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En 1860, Armand Trousseau demande au photographe Félix Nadar, de prendre 9 clichés médicaux pour documenter l’hermaphrodisme.
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