Marque de prêt à porter d’origine danoise, Forrest & Bob se distingue par des campagnes de pub osées. On a du mal à voir le rapport entre ces vidéos érotiques et la marque de mode (qui ne vend pas encore de lingerie). Mais qu’importe !
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Marque de prêt à porter d’origine danoise, Forrest & Bob se distingue par des campagnes de pub osées. On a du mal à voir le rapport entre ces vidéos érotiques et la marque de mode (qui ne vend pas encore de lingerie). Mais qu’importe !
Ceux qui ont encore un souvenir ému du joyeusement paillard et débridé de Paprika du pape de l’érotisme Tinto Brass risquent d’être fort désorienté par le nouveau film de Bertrand Bonello. Dans la majorité des films d’auteurs français traitant explicitement de la sexualité, la chair est triste, désespérément triste. Cet aspect mortifère n’est pas totalement absent du nouvel opus de l’auteur du Pornographe mais un glissement vers un fantastique cérébral transcende un sujet « à thèse » pour nous emmener dans un trip poétique et sensuel, d’une élégance singulière. Et Bonello, contre toute attente, flirte avec les plus grands cinéastes contemporains, Lynch et Cronenberg en tête.
Pourtant, passé une exposition qui tient d’un dispositif abstrait un peu désincarné, L’apollonide finit par envoûter et captiver, et l’on se dit, au bout d’une heure que l’on tient un film rare et précieux, qui risque de vous hanter longtemps.
Cette immersion dans un monde clos, secret et voluptueusement pervers titille dans un premier temps l’œil du cinéphile avec une accumulation de références littéraires, picturales et cinématographiques, qui loin d’être purement gratuites, ouvrent le film vers des horizons passionnants. Les yeux sans visage côtoie L’homme qui rit d’Hugo tandis qu’une irruption brutale de violence fait basculer le film chez Dario Argento. Lyrique et hypnotique, cette description des maison closes à l’aube du XXème siècle est en quelque sorte la version parisienne du très beau (et très chiant aussi) Les fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-Hsien.
Ce qui frappe dans le film de Bonello n’est pas cette vision « vaguement puritaine » du sexe mais la multitude d’entrées qu’offre son film, beaucoup plus complexe et profond qu’il n’en a l’air. Il s’apparente au début à un exercice de style somptueux. Le montage, d’une fluidité incroyable, glisse sur les corps (souvent nus) des demoiselles de petites vertus, la photographie tout en clair-obscur est splendide, le décor, loin de sombrer dans la reconstitution pompière, évoque le meilleur du fantastique transalpin. Et lorsque Night in white satin des Moody blues accompagne ces images, l’envoûtement est total.
Mais derrière son formalisme impressionnant, L’Apollonide décrit avec minutie le quotidien des prostitués de maison close, leurs angoisses quotidiennes, leurs espoirs qui se vident chaque jour. En apparence, elles semblent s’accommoder d’un climat doux et légèrement étouffant. Elles vivent dans une sorte de prison dorée où coule du champagne, où des hommes fringants leurs promettent de racheter leurs dettes. Mais tout ça n’est qu’un leurre. Pas dupe, elles acceptent leur condition sans sourciller, simulant des orgasmes que nous ne voyons jamais à l’écran (hormis en split screen).
Il émane du film une tristesse, une mélancolie propre aux grands films malades. Bonello filme l’intimité de ces filles avec une grâce absolue. Sans adopter le style frontal du documentaire, l’auteur de Tiresia reste néanmoins lucide et objectif, il reste près de ces jeunes filles aux regards tristes sans forcer le côté misérabiliste. Il laisse le spectateur choisir sa position. Et n’hésite pas à brouiller les pistes passant du chaud au froid, d’une sensualité à fleur de peau (les filles qui se caressent par affection) à une froideur clinique déconcertante (la visite médicale). L’apollonide n’est ni une apologie des maisons closes, ni une critique radicale de leur fonctionnement. Le film est plus subtil que cela à l’image de cette étrange « partie fine» où le « monstre » est exhibé dans une soirée mondaine. Ce monstre est une jeune fille défigurée qui ressemble étrangement au joker de Batman. En apparence objet de dégoût et attraction de foire, elle semble au contraire prendre plaisir et tirer parti de la situation, ce qui confère au film une dimension ambiguë supplémentaire, indiquant alors que ces filles ne sont pas uniquement les pantins d’hommes lubriques. Au contraire, dans des mises en scènes où les hommes sont le plus souvent manipulés comme des enfants, elles restent maîtres de la situation et ne se laissent que rarement dominés.
Mais cette maîtrise est aussi illusoire car elles ne sont pas à l’abri d’un détraqué (la juive défigurée), d’une maladie (la syphilis) d’une idéologie rance (le livre où l’on compare le cerveau d’une prostituée à celui d’un criminel) ou de l’usure du temps (les espoirs déçus de Clotilde). En filigrane, loin d’une nostalgie surannée, Bonello évoque une situation de crise qui fait écho à notre époque contemporaine. La patronne (formidable Noémie Llovski) sait que la fermeture de son établissement, pour des raisons purement économiques, est inévitable et que l’avenir pour toutes les filles est précaire. Le film se clôt par des images granuleuses de la prostitution contemporaine. Pas de jugement moraliste, ni de couplet sur le bon vieux temps, mais un constat terrible qui laisse un goût amer dans la bouche.
Assurément l’un des plus beaux films français vus depuis longtemps, porté par un casting féminin exceptionnel, mêlant comédiennes professionnelles et débutantes. Mention spéciale à Céline Salette et Adele Haenel.
(FRA-2011) de Bertrand Bonello avec Céline Salette, Noémie Llovski, Xavier Beauvois, Adele Haernel, Jasmine Trinca, Jacques Nolot, Hafsia Herzi