Imaginez une Gay Pride à Paris réunissant 20 millions de personnes. Ou alors un des défilés de la fierté homo de Suisse rassemblant 2,7 millions de participants enthousiastes. L’image est à la mesure de ce qu’ont la chance de vivre les Islandais. Leur Pride, qui se déroule chaque année début août à Reykjavik, draine au bas mot 30 % de la population du pays. Sans aucun doute une rareté mondiale!
Dans ce petit Etat de 330’000 habitants (moins que le canton de Genève), plus de 100’000 personnes viennent en effet célébrer la fierté LGBTIQ. Homos, hétéros, cousins-cousines, papis-mamis, s’y retrouvent en famille dans une sorte de communion nationale. Ce qui en fait, proportionnellement, la plus grande Pride du monde, ou en tout cas, la plus populaire. Et ce n’est pas n’importe quelle fête: les festivités, qui conjuguent comme il se doit événements festifs, ateliers et stands d’infos, durent six jours. La capitale se drape des couleurs arc-en-ciel, une rue est même entièrement peinte aux tons de la fierté homo pour l’occasion.
«Ce n’est pas seulement une Pride qui réunit la communauté LGBTIQ. Les Islandais sont fiers de cet événement car il dit beaucoup de leur ouverture d’esprit, il est comme une vitrine sur le monde»
Ces célébrations commencent à attirer les touristes étrangers, les Américains notamment, qui apprécieraient leur côté singulier et non commercial. «Ce n’est pas seulement une Pride qui réunit la communauté LGBTIQ. Les Islandais sont fiers de cet événement car il dit beaucoup de leur ouverture d’esprit, il est comme une vitrine sur le monde», explique Hannes Palsson. Ce militant homo a monté avec une bande de potes l’agence de voyages Pink Iceland, laquelle propose toute une série d’activités conçues pour la clientèle LGBTIQ, à la hauteur de l’imagination très développée des Islandais pour attirer les touristes et se relier au monde. Cela va d’un pink tour de Reykjavik qui vous compte l’histoire de la mobilisation homo à des activités conçues sur mesure. On peut même se marier dans des lieux improbables, au cœur d’une grotte de glace ou au sommet d’un volcan, une tendance en pleine croissance. Adieu cérémonies fleuries sous les Tropiques!
La Pride, elle, ne manque pas d’être valorisée dans les brochures de l’Office du tourisme islandais. En 2010, Jon Gnarr, acteur et humoriste devenu maire de Reykjavik, conséquence directe de la crise financière de 2008, n’avait pas hésité à défiler en tête de parade en drag queen. Vous verriez le maire de Sion, Fribourg, Lausanne ou Genève en talons hauts et robe à paillettes?
Historique
A l’instar de ses voisins nordiques, l’Islande est l’un des pays les plus tolérants envers les minorités sexuelles. Les homos peuvent se marier depuis 2010, ils peuvent adopter des enfants, ont accès à la procréation médicalement assistée et la loi punit toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle. L’Eglise nationale d’Islande, l’an dernier, s’est engagée à célébrer des mariages «dans toute leur diversité». Et l’organisation nationale queer Samtökin 78 ne manque pas d’idées pour faire encore avancer encore la cause. Elle travaille actuellement à la mise en place de programmes éducatifs queer dans certaines écoles du pays.
«L’Islande a aussi une particularité: c’est un village, où tout le monde se connaît.»
L’Islande est le premier pays à avoir décriminalisé l’homosexualité, en 1940. Les militants les moins jeunes se souviennent toutefois du temps où, dans la vie quotidienne, les homos n’étaient pas toujours acceptés. Dans les années 80, leur présence était bannie des radios et chaînes de télévision, certains bars ou boîtes de nuit leur refusaient ouvertement l’entrée dans leur établissement. Les années qui ont suivi sa création, en 1978 comme son nom l’indique, l’organisation Samtökin 78 a dû déménager à maintes reprises faute de trouver un propriétaire d’accord d’abriter ses activités. Comment expliquer alors un changement de mentalité aussi rapide? «Il y a plusieurs facteurs, poursuit Hannes Palsson. Les années sida ont bien sûr joué, comme partout dans le monde, mais l’Islande a aussi une particularité: c’est un village, où tout le monde se connaît. Alors forcément chaque famille a un gay ou une lesbienne parmi les siens, ce qui a grandement facilité la tolérance. En outre, la religion ne joue pas un rôle de poids dans notre pays, ce qui fait que les lois ont pu évoluer très rapidement, sans grande opposition. Il faut aussi relever que des personnalités homo du monde culturel ou des affaires, appréciées dans l’opinion publique, qui ont fait leur coming out, ont aussi joué un rôle important pour cette évolution.»
Les plus heureux du monde
L’Islande est d’ailleurs le seul pays d’Europe à avoir eu une première ministre homosexuelle, et qui ne s’en est pas cachée. L’an dernier, une étude conduite par l’Université de Mainz en Allemagne pour le compte du site PlanetRomeo, est arrivée à la conclusion que la communauté gay islandaise (masculine) était la plus heureuse du monde. On peut penser ce que l’on veut de ce type d’enquête, mais l’indice de «bonheur gay» a été élaboré de manière rigoureuse sur la base de trois critères: le baromètre de tolérance dans l’opinion publique, soit le ressenti des hommes gays de la perception sociale de l’homosexualité; le comportement de la société, évalué à partir des expériences vécues par les gays; et enfin le sentiment de satisfaction personnelle dans sa vie, mesuré notamment à partir de critères comme le fait de s’accepter en tant que gay. L’Islande devance ainsi les autres pays nordiques dans ce classement.
A se demander donc si durant leur Pride si populaire, les Islandais ont encore quelque chose à revendiquer. «Disons que nous célébrons surtout nos victoires, commente Hannes Palsson. Et il faut tout de même dire que les Islandais ont encore des progrès à faire, notamment en matière de tolérance à l’égard des personnes intersexes et transgenres».
» Pride de Reykjavik: du 2 au 7 août 2016