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Il y a quelques mois, nous vous avions parlé de l’intéressant documentaire d’Angélique Bosio, The Advocate for Fagdom, traitant de ce réalisateur underground canadien au nom bizarre, Bruce LaBruce, qui fait des films porno gays avec des messages politiques dedans (pour résumer grossièrement la carrière du monsieur). Réalisateur que le site Excessif baptise « le nouveau pape du trash ». L’ancien étant cinématographiquement inactif depuis son sympathique A Dirty Shame, ce chaleureux titre revient effectivement de droit à cet allumé actif depuis les années 80, cinéaste favori de Kurt Cobain qui aura notamment filmé un mec se branler et gicler sur Mein Kampf. A lire ça, on pourrait se dire que le film dont il est question ici doit être un nouveau délire trashouille que les salles de cinéma se garderont bien de diffuser. Et bien oui. Et non.
Otto est un jeune zombie gay un peu paumé qui erre dans les rues de Berlin. Il n’a aucun souvenir de sa vie passée et il est incapable de manger de la chair humaine. Il finit par croiser la route de Medea, une réalisatrice lesbienne qui l’engage pour jouer son propre rôle dans un film politico-porno zombie. Otto est héberger par Fritz, la star du film, et une photo lui fera resurgir quelques souvenirs du temps où il était vivant…
Pour ceux qui connaissaient déjà le responsable de ce film, on peut reconnaître l’esprit barge de LaBruce rien qu’au travers du résumé du film, mais pour ceux qui ne le connaissaient pas, le visionnage de ce film se vivra comme une expérience nouvelle qu’on rejettera catégoriquement ou au bout de laquelle on ne saura même pas comment réagir.
Otto est le portrait d’un jeune type en quête d’identité, LaBruce ne donne aucune réponse à la question « Mais pourquoi les gens se transforment en zombies ? », ce qui est loin d’être un mal ; quelle meilleure métaphore pour parler de la crise d’identité, de la désorientation existentielle et de la renaissance dans un monde encore plus paumé que le personnage principal du film ? Le zombie est devenu une banalité dans le monde illustré au sein du film, les gens ne fuient pas en hurlant face aux morts-vivants, ils se moquent bêtement ou les utilisent en leur faveur, comme le personnage de Medea, réalisatrice underground clichée, bien vivante, elle, mais chez qui toute notion d’humanité demeure introuvable. Sous certains aspects avec ce film, Bruce LaBruce est bien plus proche de George A. Romero que n’importe quel Robert Kirkman ou Zack brainless Snyder ; comme d’habitude chez LaBruce, la dimension politique est bien présente, la société de consommation en prend pour son grain et un regard terriblement désespéré est jeté sur l’attitude de l’être humain. Mais ce qui demeure vraiment intéressant dans Otto est l’effet miroir avec son propre auteur. Bruce LaBruce est Otto. Bruce LaBruce est Medea.
Au travers du portrait cynique de la réalisatrice underground présentée dans ce film – qui n’est pas sans rappeler le personnage du cinéaste-terroriste Cecil B. Demented du film éponyme de John Waters -, on peut reconnaître que LaBruce ne parle d’autre que de lui-même. Comme lui, elle a l’ambition de faire un film trash avec des gays tout en apportant un message politique. Seulement, Medea est une réalisatrice complaisante, qui n’a rien à revendre à part de la colère et des images crados pour choquer du petit bourgeois. LaBruce n’est pas réputé pour rien, l’impact de son œuvre dépasse largement le stade du petit bourgeois, mais le rejet habituel d’un certain type de cinéma a le don de provoquer une certaine crise identitaire, si on tient à faire de la psychologie de comptoir. Cette crise étant mise en forme au travers du personnage d’Otto, jeune zombie d’un mélancolique proche d’un Gregg Araki et d’un romantisme que LaBruce, malgré l’aspect hautement subversif de ses films, n’aura cessé d’exprimer tout au long de sa carrière. Le réalisateur ne se répète pas pour autant. Otto est un film très petit budget, comme d’habitude avec LaBruce, mais son esthétisme, bien qu’on y reconnaisse un style propre à lui, est bien moins rentre-dedans que dans ses autres films. Il critique la complaisance du personnage de Medea et évite donc tout gros plan vulgaire sur des gros pénis veineux ou tout acte sexuel barjo. Ce n’est pas le sujet du film. Le réalisateur se remet en question, mais accepte ce qu’il est, ce qu’il ne peut changer : un artiste provocateur.
Néanmoins, Otto reste son œuvre la plus douce et sans doute la plus mélancolique ; Bruce LaBruce a fait son Hairspray, en quelque sorte. Le réalisateur canadien met en images une renaissance artistique au travers du portrait fragile d’un zombie paumé qui, à la fin, près d’un arc-en-ciel, prend la route vers une nouvelle vie (ou plutôt, une nouvelle mort). Otto; or Up with Dead People est sensible et drôle, bien que provocateur et aux antipodes de l’éternel ennemi qu’est le bon goût ; une occasion rêvée de découvrir son réalisateur ou, pour ceux qui le connaissaient et l’aimaient déjà, de l’aimer davantage.
Disponible en dvd zone 2 chez Outplay.
P.S. : Il était impossible de terminer ce billet sans ce bel extrait de la bande originale du film :