La petite pilule bleue n’est pas réservée à grand-papa. Loin de là. Un nombre croissant de jeunes gens ingèrent des comprimés de Viagra (Cialis ou Levitra, les produits génériques) dans le but de gonfler leur performance ou simplement de s’éviter le risque de devoir assurer à leur partenaire que «c’est la première fois, je te jure, je ne sais pas ce qui m’arrive». Ces nouveaux emplois de produits érectiles en disent long sur le rapport qu’entretient notre société avec le sexe, le désir et la performance… et la propagande des entreprises pharmaceutiques. Sabrina Ianniello, étudiante en sciences sociales à l’Université de Fribourg, en a fait le thème de recherche de son mémoire et elle a besoin de vous.
CHIFFRES GONFLÉS
Guéguerre de chiffres: selon certaines études, un jeune sur trois serait victime de troubles érectiles. Selon d’autres, un homme sur trois risquerait de souffrir de trouble de l’érection au cours de sa vie (principalement après 60 ans). Pourquoi de telles différences? «On assiste à une forme de pathologisation des troubles de l’érection qui s’explique par une majoration des chiffres», déplore l’étudiante. Pour parler crument: une petite panne et tac, on est étiqueté, et tac, on médicalise! On assisterait à une collusion entre chercheurs, médecins et entreprises pharmaceutiques.
Il existe également des statistiques sur l’utilisation des stimulants érectiles, toujours aussi divergentes. Selon une étude, menée par le «Journal of Sexual Medicine» en 2012, 8 % des jeunes hommes d’une moyenne d’âge de 22 ans consommeraient du Viagra…! Un chiffre élevé, certes, mais bien inférieur à celui d’un urologue genevois qui prétendait, lors d’une interview dans un quotidien romand, que 20 à 30 % des jeunes gens de moins de 30 ans consommeraient des stimulants érectiles. Notons également que la grande majorité de ces cachetons bleutés et autres produits dérivés consommés par les jeunes le sont sans avis médical. Ils se les procurent sur Internet, soit illégalement! Bien que l’on sache que la prise sauvage des stimulants érectiles peut avoir comme conséquences des maux de tête violents, des vertiges, voire entraîner la mort (si mélangé à d’autres substances, comme le poppers), il y a de quoi s’inquiéter.
CULTE DE LA VIRILITÉ
Selon toute vraisemblance, la majorité des jeunes gens qui goberaient cette pilule, ne le ferait pas pour lutter contre de réels troubles de l’érection. Pourquoi le font-ils, alors? Pornographie, culte de la performance, féminisme et individualisme contemporain, seraient une ébauche de réponse. «Les jeunes gens sont influencés par les représentations pornographiques quand ils envisagent leur propre sexualité. Dans ces films, l’homme est hyperperformant, ce qui peut mener les jeunes à douter de leur capacité, ou du moins à vouloir s’y conformer», explique, Sabrina Ianniello. De fait, certains jeunes prendraient des cachets en milieu de soirée, «au cas où» ils devraient prendre part, plus tard, à des réjouissances horizontales. La société actuelle est traversée par une manie de la performance. Pour être viril, il faut bander… longtemps, être un dieu des galipettes. Il faut vouloir faire l’amour, tout le temps, jusqu’au bout, sinon on risque d’être considéré comme déviant.
Ces exigences sont sources d’angoisse pour les hommes et, pour y faire face, rien de tel que ces conduites dopantes. Enfin, une autre hypothèse pour expliquer l’abus de ces substances est… les droits des femmes liés à la montée progressive du féminisme. Pour faire court, auparavant, le plaisir de la partenaire c’était – comment dire? – accessoire. À présent, les femmes revendiquent leur droit au plaisir, avec pour menace de quitter leur partenaire si elles ne peuvent obtenir satisfaction. Un bien, ça va sans dire, mais une pression supplémentaire pour les jeunes hommes, condamnés une fois encore à la performance. Les milieux gays, quant à eux, sont également très touchés par la prise de stimulants sexuels. Selon l’étude Gay Survey (2014), les substances les plus prisées lors des rapports sexuels entre hommes seraient l’alcool (50 %), le poppers (33 %), le Viagra (21 %) et le cannabis (15 %). Comment expliquer ces chiffres? Pourquoi les stimulants érectiles sont-ils pris si fréquemment? Pour passer des hypothèses à des explications, Sabrina attend votre témoignage.
APPEL À TÉMOIN (ANONYME)
Quatre critères pour participer à l’étude: • Être consommateur de produits stimulant l’érection • Être un homme âgé de moins de 30 ans • N’avoir reçu aucun diagnostic confirmant une dysfonction érectile • Se procurer ces stimulants illégalement (Internet, deal, etc.) Si vous correspondez à ces critères, contactez Sabrina Ianniello, par mail sabrina.ianniello@unifr.ch ou par téléphone 078 696 04 20.