Être actrice porno c’est faire de son corps un objet de désir, un outil de travail, un vecteur de plaisir. Il faut pouvoir se dénuder, s’ouvrir, s’exposer. Aux Etats-Unis se produire en spectacle constitue une carrière à part entière pour celles qui sont parvenues à se faire un nom. “Feature-dancers”, elles parcourent le pays en cumulant cinq, six, parfois huit spectacles dans la semaine. Chaque prestation sur scène (strip-tease de quinze à vingt minutes) est rémunérée ; elles vendent ensuite leurs produits dérivés (DVD, photos dédicacées), proposent des danses privées ( quelques minutes d’intimité entre l’actrice et son fan où celui-ci peut la contempler sans la toucher) et amassent des liasses de tips (pourboires).
En France, les possibilités de carrière sont désormais nulles. Pays en crise, demande en baisse depuis environ quatre ans, lassitude de la part du public et des discothèques préférant souvent consacrer leur budget à un DJ en vogue ou à la « star » de la télé-réalité de la veille ; les shows dits “stars du X” ont aujourd’hui perdu leur piquant et leur parfum de provocation. La génération YouPorn ne se déplacera pas pour voir une paire de seins nus. C’est dans un pays de censure qu’une actrice porno, alors objet de scandale, aura en revanche les meilleures chances de connaître le succès. Mais dans celui où parcourir une plage topless est chose commune et où la gratuité est un critère de sélection, on ne peut remplir les salles qu’en s’étant bâti une forte notoriété.
Voilà presque dix ans que je parcours les discothèques et les salons érotiques à travers le monde. Concentrée sur le marché américain, il m’arrive encore parfois d’accepter quelques dates en France. Parfois sans grand enthousiasme, je dois l’admettre, quand on est pourri-gâté au rêve américain, on se réadapte difficilement à la réalité française. Se produire en « show Star du X » est donc devenu pour moi une activité rare mais une soirée ne me laisse en revanche jamais indifférente. Les « pires » moments font parfois les meilleurs souvenirs et sont matière aux plus grands fou-rires. Il va de soi qu’il me fallait en parler ici, sur ce blog. Alors si vous êtes prêt à délaisser les barres de pole-dance des clubs de strip-tease new-yorkais et les limousines de Las Vegas , suivez-moi. Ce soir je vous offre un pass dans les coulisses d’une soirée d’une ville de Province. S’il y a vingt-cinq ans vous aviez aimé les Démons de Minuit, tenez-vous prêt, vous risquez d’adorer.
Vous avez été bookée (engagée pour une date) il y a environ trois mois. Votre agent a été sollicité par une discothèque du Nord-Est de la France. Vous y avez sans doute déjà travaillé mais vous n’en êtes pas sûr. « La cascade » « L’Empire » « L’Enfer » « L’Absolu », « L’Univers », « Le Macumba »… toutes les boîtes se succèdent et se ressemblent. Le contrat est signé, l’acompte versé, les affiches envoyées, les flyers imprimés, la promo sur Facebook amorcée. Vous ne pouvez vous rétracter qu’en cas de force majeure (grève de transport , catastrophe naturelle). L’établissement compte sur vous pour ameuter les foules un samedi soir du mois de novembre.
Il y a dix ans, vous auriez pu travailler du jeudi au dimanche inclus mais votre popularité était nulle. Vous étiez actrice porno, pas « Star du X »… du moins à l’époque il y avait encore une différence (aujourd’hui l’étiquette Star du X n’est qu’une accroche marketing). Afin de vous démarquer du statut de strip-teaseuse, vous avez dû renoncer à toute activité en discothèque le temps de vous faire un nom dans l’industrie du X et de vous faire suffisamment connaître du grand public, du moins chez les jeunes adultes. Aujourd’hui, les discothèques parviennent à peine à créer l’évènement un samedi qui est pourtant le jour le plus fréquenté de la semaine. L’entrée sera payante et c’est déjà ça. Votre contrat stipule que vous serez rémunérée pour une prestation sexy de vingt minutes (show strip-tease nu intégral) suivi d’une séance de dédicaces (environ une heure), soit au maximum une heure vingt de travail. Argent rapide? Indéniablement. Argent facile ? A vous d’en juger. Les choses sont toujours plus simples pour les personnes qui savent s’en amuser. C’est ce que je tâche de faire.
Votre spectacle a habituellement lieu à deux ou deux heures trente du matin. Il faut attendre que le public quitte les bars où il préfère s’enivrer pour sa première partie de soirée. Passées trois heures, on prend en revanche le risque d’avoir une audience un peu trop alcoolisée et par conséquent plus difficile à maîtriser. Il serait regrettable de se prendre un verre de whisky-coca en plein visage. Vous prévoyez d’être sur place une heure à l’avance mais le patron de l’établissement tient à dîner avec vous. Vous n’êtes, contractuellement, tenue de rien mais vous avez conscience que travailler c’est aussi soigner les rapports humains et la susceptibilité de ses employeurs. C’est ce qu’on appelle faire du relationnel. Vous tâchez donc de faire preuve de convivialité même si votre emploi du temps vous le permet de moins en moins. Si vous travaillez de nuit, vous travaillez aussi de jour. Rendez-vous, interviews, shootings photos, tournages… vous êtes votre propre boss : vous travaillez quand vous le voulez, quand vous le pouvez, c’est à dire… tout le temps. Votre journée a débuté à sept heures du matin mais ça, c’est votre problème. Il a réservé une table dans son restaurant habituel, on y est tranquille, on y est vu, on y mange bien. Alors vous parvenez à jongler entre les embouteillages et les horaires de train et à vingt-et-une heure vous êtes à la gare. Votre boulot commence maintenant.
Votre garde du corps vous accompagne. Il est votre nounou, votre doudou, votre meilleur ami. Sans lui, vous savez pertinemment qu’il serait impossible de partir. Votre sécurité, votre bonne humeur et votre performance sont entre ses mains. On vous reçoit à la gare, bises amicales, en route pour le restaurant. Comme prévu, un comité d’accueil (il n’est pas rare qu’une grande tablée vous y attende : DJ, personnel de la boîte, amis des amis… fans, curieux, habitués…) vous attend, avec ses mêmes regards, ses mêmes questions, ses mêmes plaisanteries. Comme toujours, vous vous présentez avec les mêmes réponses. Dans le milieu de la nuit on se veut à la fois branché, à la pointe des nouveaux médias, des nouvelles technologies et on aime également cultiver une image populaire, celle d’un terroir à l’accent franchouillard et à l’humour un peu gras. On se revendique décontracté, bien dans sa peau, loin de l’arrogance parisienne.
On se complaît dans l’idée que la capitale est devenue bien triste mais on se trouve néanmoins un passé commun avec Jean Roch. On se raconte ses potins, ressasse sa nostalgie « Avant c’était mieux… aujourd’hui les temps sont durs », déplore la baisse de fréquentation malgré les entrées gratuites. On évoque le dernier procès à la suite d’une bagarre à l’entrée du club, l’investissement sur un nouveau laser, une boule à facettes, la soirée Chippendales, la soirée Mousse, le retour de Casimir, le contrôle des flics au virage à cent mètres, Kevin, le beau gosse du coin qui veut devenir hardeur, Sabrina la barmaid allumeuse qui aime les filles…. Il est vingt-trois heures. Ce petit monde doit partir travailler. Vous venez une fois de plus de piétiner allègrement les interdits de votre régime. Admettez que vous êtes en général bien reçue ; vous repartez du restaurant repue en échangeant un regard complice avec votre pote bodyguard. Vous n’avez tous les deux qu’une envie. Dormir.
Dans trois heures et quarante-cinq minutes, vous serez probablement sous cette fameuse boule à facettes à vous trémousser nue sous des centaines de paires d’yeux…
Katsuni
A suivre : prochain épisode, j’enlève le haut !
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