En sortant de chez eux ce matin, les habitants des Pentes de la Croix-Rousse ont dû croire qu’ils étaient mal réveillés : toutes les rues (ou presque) de leur quartier avaient changé de nom durant la nuit ! Les plaques bleues des noms de rues et de places portant des patronymes biens virils (place Morel, rue Flesselles, rue de La Tourette, rue Bodin…) cohabitent désormais avec des affiches roses collées sauvagement et rendant, elles, hommage à des femmes.
Ce n’est pas la première fois que des féministes lyonnaises mènent ce type d’opération : en 2014 déjà, elles avaient tenté d’instauré un peu plus de parité dans une toponymie encore très masculine : seulement 2% des rues françaises portent un nom de femme…
Parmi les femmes ainsi mises à l’honneur, il y a les revenantes, comme la célèbre Divine (« née Harris Glenn Milstead, actrice, chanteuse, drag-queen, modèle d’Ursula dans La Petite Sirène (Walt Disney), égérie des films de John Waters, « plus belle femme du monde« , 1945-1988« ) ou Clara Campoamor (« avocate et femme politique républicaine, activiste pour le suffrage des femmes en Espagne, 1888-1972« ), qui avaient déjà été célébrées lors de la précédente opération de collage sauvage, il y a deux ans.
Il y a aussi les personnages de fiction, comme les héroïnes de bande dessinée Mafalda et Yoko Tsuno (« ingénieure japonaise en électronique, pilote d’hélicoptère, ceinture noire d’aïkido« ) ou encore le personnage de comédie inventé par Aristophane en 411 avant Jésus-Christ, Lysistrata, qui « impulsa la grève du sexe pour faire cesser la guerre » et à qui le metteur en scène Emmanuel Daumas et le dramaturge Serge Valletti redonnent justement vie sur la scène des Nuits de Fourvière à partir de demain et jusqu’à dimanche.
Décentrer le féminismeMais les initiatrices de ce projet n’ont pas voulu limiter leur hommage aux seules femmes occidentales, comme les suffragettes (« militantes du droit de vote des femmes au Royaume-Uni à partir de 1903, aux modes d’action basés sur la provocation, en rupture avec la bienséance des autres mouvements« ) ou Marie-Louise Giraud (domestique et femme de ménage qui fut guillotinée sous l’Occupation pour avoir pratiqué des avortements).
Au contraire, elles ont choisi d’opérer un décentrage bienvenu en célébrant également les femmes en lutte sur d’autres continents que l’Europe ou l’Amérique du Nord. Alors que se tenait justement ce lundi 20 juin à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon une conférence de Hourya Bentouhami plaidant « pour un féminisme décolonial« , de nombreuses féministes d’Afrique subsaharienne ont soudainement fait leur apparition sur les murs du premier arrondissement.
Des féministes islamiques, arabes ou africainesC’est le cas de la rappeuse nigériane Zara Moussa (« pionnière du hip-hop féminin d’Afrique de l’Ouest, porte-parole des sans-voix et des droits des femmes« ) ou de la princesse légendaire Yennenga (« reine guerrière, grande cavalière en lutte contre le patriarcat, fondatrice du royaume Mossi, née entre le XIeme et le XVeme siècle en Afrique« ). D’autres femmes en lutte font également le lien entre le combat contre le sexisme et celui contre le colonialisme et l’impérialisme : elles sont honorées par la rue de la Marche des femmes de Grand-Bassam (« marche des femmes d’Abidjan pour faire libérer leurs maris indépendantistes en défiant à mains nues l’armée coloniale, 24 décembre 1949« ).
Ce projet permet également de mieux faire connaître des féministes arabes et/ou islamiques telles que l’écrivaine marocaine Fatima Mernissi (1940-2015) ou l’activiste Haneen Maikey (« directrice du mouvement queer palestinien Al Qaws – lutte pour l’émancipation sexuelle et contre l’occupation israélienne« ).
Bien d’autres femmes de tous les continents mériteraient d’être ainsi mises à l’honneur ; cette initiative a le mérite de donner un coup de projecteur à quelques-unes d’entre elles, en espérant qu’elle donnera envie de mieux connaître l’histoire et l’actualité des féminismes à travers le monde.
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