Lettre ouverte à M. Brighelli , auteur de « La société pornographique »
Cher Monsieur Brighelli
Je doute que je doive me présenter à vous puisque vous semblez déjà me connaître, du moins vous avez probablement vu quelques uns de mes films étant donné que votre livre s’appuie entre autre sur le visionnage de nombreux films X. Je viens de regarder votre intervention dans l’émission “On n’est pas couché” sur France 2, présenté par Laurent Ruquier. On m’avait avertie que vous vous étiez montré virulent quant à l’industrie du X , sujet qui vous préoccupe tant. Je m’attendais à un discours riche, argumenté, à une ouverture sur un débat qui aurait pu éveiller les consciences car il y a je le pense aussi, de vraies questions à se poser sur la sexualité aujourd’hui et le rôle du porno dans notre société. Je dois dire que j’ai été déçue. Je n’ai retrouvé dans vos propos que des attaques bien fades, un ton moralisateur accablant une réalité que vous interprétez de manière abusive, des contradictions qui s’accumulent. Si certaines critiques ont du sens, elles perdent de leur crédibilité lorsque vous évoquez vos sources. Permettez-moi (mais me le permettriez vous vraiment ? Tant pis, j’ose) de réagir à certains points que vous avez énoncés. Cet espace est le mien et je ne veux me priver du plaisir d’en jouir pour vous répondre.
DE L’INDUSTRIE DU PORNO “ une industrie du faux qui a pour but de gagner de l’argent”
C’est un fait, l’industrie du porno est …une industrie. S’il est possible pour tout à chacun d’acheter un caméscope et de se filmer dans sa vie sexuelle privée, le milieu du X est quant à lui un business régi par un marché où travaillent des milliers de personnes : sociétés de production, agences, acteurs/ices, réalisateurs/ices, photographes, avocats, maquilleurs etc . En proposant de répondre à un besoin et de l’entretenir, cette industrie tache de gagner de l’argent, bravo vous l’avez compris. Comme dans n’importe quel autre milieu professionnel une société se doit d’être rentable et si possible de générer un profit. Activité florissante ? Pas forcément. Vous qui êtes si bien renseigné devriez savoir que nous souffrons d’une crise depuis l’avènement d’internet, l’extinction du marché du DVD, et que nombre de sociétés de production disparaissent, ne pouvant faire face au piratage et à la diffusion des contenus gratuits. D’ailleurs, merci de contribuer à la promotion des sites en question puisque vous en citez trois au cours de l’émission. Grâce à vous leur trafic a sans doute augmenté et par la même occasion, la vente de montres Rolex.
Tout comme le milieu du cinéma, de la mode, du spectacle, et plus généralement du divertissement, nous vendons du rêve, du fantasme, du désir, de l’image, même si, j’en conviens, la qualité et la diversité de celle-ci restent discutables et reposent aussi sur une histoire de goût. Le terme “industrie du faux”me semble mal choisi. Jouer un rôle ce n’est pas berner notre public. Nous lui offrons une émotion, une sensation qui sont bien réelles. L’addiction dont vous parlez ne repose pas sur un mirage. S’il y aura toujours des personnes qui ne font pas la part des choses, (tout comme pour n’importe quelle fiction) j’ose penser que l’essentiel de mon public regarde mes films en ayant conscience que je ne sonnerai pas pour autant le lendemain à leur porte habillée en petite nuisette, et on peut être excité à la vue d’une pratique sexuelle “hors-norme” sans pour autant vouloir la pratiquer chez soi. Nous parlons de fantasmes. Chaque scène que je tourne est simplement un RDV que je donne implicitement aux spectateurs/ices pour un moment de plaisir, ni plus ni moins.
DE LA RESPONSABILITE DES FILMS X “Le film pornographique devient un objet criminel”
Voilà une accusation qui n’est pas sans me rappeler la scandaleuse “industrie du viol” de Frédéric Joignot dans son très médiocre “Gang Bang”. J’espère d’ailleurs que votre livre se montre plus enrichissant que cet étalage de déviances énumérées sans aucune analyse pertinente. (Je ferai le geste de l’acheter plutôt que de le voler dans les rayons. Je n’ai pas de problème à payer ce que je souhaite consommer.) Frédéric Joignot s’était évertué à dénoncer la noirceur des coulisses tournages porno en mélangeant à la fois des témoignages de hardeuses (bizarrement toutes choisies pour leur discours négatif mais pourquoi pas) avec des faits divers concernant des jeunes femmes abusées hors de la sphère du X professionnel. Si l’on commence à inclure dans le porno toutes les histoires de manipulation sexuelle entre hommes et femmes, adultes/ enfants etc , qu’attendons nous pour jeter en prison tous les représentants de cette industrie délinquante ? (je précise que j’avais rencontré M. Joignot qui m’avait avoué ne s’être jamais rendu sur aucun tournage X. Certes on peut se faire un avis sur un sujet sans aller sur le terrain mais ce “détail” m’avait fait sourire.)
Les films X responsables de créer des complexes chez des jeunes ados de douze ans ? Depuis quand un film porno qui est destiné aux plus de dix-huit ans et dont la vocation est de mettre en image des jeux et fantasmes d’adultes doit être considéré comme référence pour un public qu’il ne vise pas ? Un film d’horreur classé plus de dix-huit ans doit-il être condamné pour perturber les nuits d’un enfant de dix ans ? Faut-il définir un “sexuellement correct”? En suivant ce raisonnement doit-on interdire les top models aux mensurations de rêve dans les spots publicitaires, interdire les belles voitures, les marques de luxe à cause des complexes qu’ils peuvent générer ? Le divertissement doit-il devenir pédagogique ? NON. Le problème concerne la facilité d’accès aux contenus porno, pas la nature de ceux-ci. Et oui, plus un sexe est long, plus la scène est techniquement facile à filmer, plus le spectateur y trouve du plaisir.
Ce qui paraît disproportionné est spectaculaire, ce qui est excitant n’est pas forcément esthétique et ce qui est charnel est sexuel. Si le porno véritablement amateur existe et a aussi son succès, le porno professionnel vend parce qu’il expose une vision exagérée d’une forme de sexualité souvent débridée, hors-norme où l’appétit sexuel est démesuré. Il est souvent grossier parce qu’il aime caricaturer. Et oui, je regrette qu’il ne soit pas plus subtil mais comme vous le citez « Nous avons le cinéma que nous méritons » et il vous faudra peut-être chercher dans les productions de films érotiques japonais ou coréens pour trouver une forme de fraîcheur et de poésie que nous n’avons pas dans le porno occidental.
DE LA CONDITION DE LA FEMME : “aucun orgasme féminin” – Les pratiques sexuelles
On en arrive à la partie hilarante de votre discours. Je cite : “ Des associations féministes ont calculé que le temps moyen de fellation dans un film est extraordinairement important par rapport à ce qui se fait ordinairement dans une relation amoureuse parce qu’en fait il s’agit de bâillonner les femmes, de tous les côtés à la fois (selon elles)”. Vous rendez-vous compte du ridicule de vos sources ? Parlez-moi de chiffres sérieux. Mais s’il vous plaît ne me donnez pas en appui à votre réflexion des “études” aussi absurdes. Sur quoi sont-elles fondées ? Devons-nous comprendre que les membres de cette association féministe a gentiment pris le temps de regarder des films X pour chronométrer chaque fellation ? Quels types de films X ? “Extraordinairement longs” ? Par rapport à quoi ? Leur propre vie sexuelle ? Quel est pour vous le temps politiquement correct d’une fellation ? Une fellation est-elle moins acceptable si elle se fait à genoux ? Avec ou sans les mains ?
– L’orgasme féminin : “Je n’ai jamais vu aucun film porno où il s’agit de voir un orgasme féminin , aucun, ou alors simulé. (…) Le plaisir féminin passe derrière.” Je vous invite à me recontacter afin que je vous transmette une longue liste de titres de films où j’ai joui avec beaucoup de sincérité. Je ne le ferai pas ici, je ne suis pas là pour faire la promotion de contenu porno mais pour partager des idées . Peut-être les regarderez-vous sans y déceler l’orgasme mais je vous informe que contrairement à l’orgasme masculin, la jouissance féminine n’est pas si explicite. Quant à l’orgasme simulé je suis dans l’obligation de vous rappeler, ne vous en déplaise, que nous parlons de films X . Nous parlons d’actes sexuels réels certes, mais dans une fiction (et je doute que cela ait été différent dans le porno des années 70) . Ce n’est donc pas le plaisir réel des acteurs qui importe mais le plaisir potentiel que nous pouvons apporter à notre public. Être acteur porno est un métier avant que d’être une partie de jambes en l’air. Mais il est vrai que certaines actrices sont moins convaincantes que d’autres .
“Le plaisir masculin est forcément extérieur parce qu’il faut qu’il se voit.” En effet. S’il existe des films avec éjaculations internes, nous préférons toujours les éjaculations externes. Le spectateur masculin s’identifie , il a besoin de voir. Est-ce déplorable ? Je ne pense pas. Un film X est un objet masturbatoire, un stimuli. On veut voir, entendre à défaut de toucher et sentir. Plus l’éjaculation est visible et abondante et plus le spectateur/ ice a de chance d’être excité(e), c’est un fait. Vous pouvez faire l’essai de réaliser vous-même une scène porno. S’il manque l’éjaculation de l’acteur à vos films ou qu’elle n’est pas assez visible je doute que vous fassiez carrière. Ou bien je vous conseille les films dits « érotiques » ou softs.
DES CONDITIONS DE TRAVAIL : Elles ne sont pas toujours idéales même lorsqu’on travaille pour une grande société de production. Le témoignage de la regrettée Karen Lancaume que vous citez est bien triste. Le manque de courtoisie et de respect se trouve dans toutes les professions, dans toutes les classes sociales. Il y en a donc aussi sur certains tournages X. En revanche, dire que toutes les actrices porno connaissent ce genre d’expérience est tomber dans une généralité très lointaine de la réalité. Je rappelle que j’effectue moi aussi ma petite démarche ethnologique au sein du porno mais contrairement à vous je n’ai pas juste regardé quelques films X sur internet, je les pratique en tant qu’actrice et réalisatrice depuis maintenant douze ans en parcourant les plateaux de tournage de Budapest à Los Angeles en passant par Paris, Berlin, Prague, Rome.. en rencontrant et en écoutant des centaines de personnes évoluant dans cette industrie Je pense avoir une certaine légitimité à parler de ce milieu que je n’hésite pas à critiquer car il est loin d’être parfait, mais je le défends volontiers lorsqu’on le condamne pour de mauvaises raisons.
Enfin, vous dénoncez le système qui consiste à payer les “filles à la performance”, qu’elles sont interchangeables, dites moi dans ce cas comment elles devraient être rémunérées. A l’heure? Au film? En quoi le fait qu’elles soient payées en fonction de leur prestation est quelques chose de condamnable? » Interchangeables » ? Comme on le dit, personne n’est irremplaçable mais certaines actrices parviennent à se faire un nom qu’elles érigent en marque et mènent une carrière où elles exploitent elles-mêmes leur image, touchent des royalties sur des produits dérivés. Votre mépris pour les femmes de ma profession est-il à ce point élevé pour que vous leur ôtiez la possibilité de penser par elles-mêmes? Taper “pornostar” et “suicide”dans Google. Voilà une drôle de recherche. Avez-vous essayé suicide et travail ? Suicide et enseignants, agriculteurs, employés d’Orange ? Alcoolémie, dépression, drogue, harcèlement sexuel au travail ? L’industrie du porno est le seul milieu professionnel à connaître des parcours tragiques, vraiment ?
DE LA VOCATION DU FILM PORNO : reproduire le réel ?
“On a des statistiques, ces films sont achetés et sont regardés en moyenne six minutes le temps que le monsieur qui le regarde fasse sa petite affaire…Non, on ne voit jamais la fin d’un film porno.” Doit-on comprendre que vous reprochez aux films X d’être trop efficaces ? Doit-on se plaindre du fait qu’un film porno soit trop excitant au point de mener le spectateur (et que dire de la spectatrice?) a jouir seulement au bout de six minutes ? Vous m’avez fait sourire et je vous en remercie. A Laurent Ruquier qui vous tend une jolie perche vous rétorquez :“Non, on ne voit jamais la fin d’un film porno”. Alors Monsieur Brighelli ? Avez-vous tenu plus ou moins de six minutes ?
“L’acte amoureux prend du temps…c’est tout un boulot,…à qui il faut parfois apporter des fleurs , l’emmener au restaurant.” Vous confondez ici la séduction et l’acte sexuel. Les films porno ne se positionnent pas en leçons de séduction et ne se rangent pas aux côtés des comédies romantiques. Que vous soyez nostalgiques de la fraîcheur des porno des années 70 je le comprends totalement. Je les regrette moi aussi et encore une fois je reste très critique sur le porno actuel que je peux trouver visuellement excitant mais rarement intéressant sur sa dimension fantasmagorique. Mais là n’est pas la question. On regarde un film porno pour y trouver une image excitante qui nous sert de stimulant sexuel caricaturé ou idéalisé, pas pour revivre notre quotidien. Le porno gratuit en ligne est un grand fast-food du sexe. On ne consomme que ce qui pourra apaiser notre pulsion immédiate. Parallèlement il n’est pas exclu de trouver des films porno plus élaborés, avec dialogues, scénarii, mises en scènes originales. Les parodies font partie des plus grands succès actuels et nous trouvons un vrai retour aux romances porno axées sur les rapports à deux, sans pénétration toujours évidentes, sans pratiques brutales.
– ”A partir du moment on aime les femmes réelles on est parfaitement immunisé contre les femmes factices…On est naturellement immunisé.” C’est très joliment dit mais c’est surtout très fleur bleue. Être amoureux et épanoui nous empêcherait donc de fantasmer sur d’autres personnes ? Je ne le pense pas. Je pense qu’il est dans la nature humaine de désirer ce qu’elle n’a pas. Vivre sans porno en couple ou célibataire c’est heureusement possible. Mais regarder un film X ne trahit pas nécessairement une névrose ou une frustration. La masturbation est un acte sain où l’on se connecte avec soi-même. Utiliser des images pornographiques pour se stimuler n’a rien de négatif. Nous avons tous droit à une sexualité personnelle. Vous oubliez d’autre part que nombre de femmes et de couples regardent des films X et que ces derniers tentent de s’adapter à cette nouvelle demande.
PARLE-T-ON TOUJOURS LA BOUCHE PLEINE?
Vous utilisez le porno comme illustration des tares du libéralisme et proposez un regard critique sur notre société actuelle. C’est à mon sens une démarche intéressante. Le porno est un prisme au travers duquel nous pouvons analyser une société. Lire ses fantasmes c’est lire ses tabous, s’attacher à une facette de sa culture. J’émets cependant une réserve vis à vis de l’orientation de votre réflexion. Vous dites : “ J’ai regardé ça comme j’aurais regardé dieu sait quelle tribu de martiens débarquée soudainement”. Avez-vous réellement perçu les femmes derrière les actrices ? Les personnes derrière leur jeu ? Je n’appartiens pas à une tribu de martiens M. Brighelli. Je suis une femme de ce monde, d’aujourd’hui, et je jouis de ma bouche, du plaisir qu’elle a d’engloutir et de dire, autant qu’il me plaît.