34713 éléments (3171 non lus) dans 75 canaux
Une fillette de neuf ans a été excisée illégalement dans une clinique privée, contre sa volonté et celle de sa mère.
L’article Le premier cas d’excision en Russie en attente est apparu en premier sur Fédération GAMS.
Vous voyez les gros plans d’éjaculation dans le porno ? Eh bien, dans le gore, c’est pareil mais en rouge. Intitulé “Le corps souillé”, l’essai qu’Éric Falardeau consacre aux fluides corporels défend l’idée que sperme ou sang, peu importe : mépriser le porn ou le gore trahit la même haine du corps.
Le mot gore vient de l’expression «she was gored to death» : «elle a été encornée à mort». Par allusion à ce coup dans le ventre, qui fait jaillir les liquides, le gore désigne un cinéma de l’effusion. Il faut que ça gicle ! Dans un Mémoire de maîtrise remanié en essai, Éric Falardeau –réalisateur du film Thanatomorphose (2012), doctorant en communication et enseignant à Montréal– met en regard les recherches sur le porno (porn studies) et les travaux consacrés aux films style abattoir. Sa démarche n’est pas nouvelle. Ainsi qu’il le souligne volontiers, nombreux sont les chercheurs, hommes et femmes, à s’être intéressé-es au sujet. Tout l’intérêt de son livre –Le corps souillé–, c’est qu’il dresse un inventaire presque complet (1) de leurs recherches, organisées en chapitres incisifs, avec le désir de défendre la cause. Pour Éric Falardeau, il s’agit tout d’abord d’en finir avec l’idée que gore et porno ne méritent pas qu’on s’y intéresse. Au contraire, dit-il : ces genres dits «mineurs» réconcilient deux dimensions de l’humain (le corps et l’esprit) malheureusement dissociées dans l’Occident judéo-chrétien.
Mépriser le porno/gore c’est mépriser les affects
Prônant la réconciliation entre la chair et la pensée, l’auteur affirme que la fascination exercée par les scènes de sexe ou de torture vient de ce qu’elles génèrent en nous, physiquement, des réponses. Ce sont des images «sensationnelles», c’est-à-dire susceptibles de générer des sensations : effroi, excitation… Notre poitrine se serre, nos pupilles se dilatent devant des tripes ou des fellations. Mais il existe bien d’autres types de films capables de nous remuer, à l’instar des mélos qui font pleurer, des comédies qui font rire ou des films d’exploits qui donnent le vertige. Faut-il s’en étonner ? Chaque fois qu’ils exercent un pouvoir sur nos corps, ces films sont jugés «populaires», vulgaires. Pour l’historienne du cinéma Linda Williams, il n’y a là rien d’innocent : les élites ont en horreur des divertissements qui font perdre le contrôle. La distinction posée entre érotisme et pornographie ne tient qu’à ce système de valeur, basé sur la haine du corps. Quand les organes dominent la raison, c’est du X (c’est mal). Quand l’esprit seul est touché, c’est érotique (c’est bien).
Un cinéma «participatif» : stupeur ou tremblement ?
Dénonçant cette «posture morale», Éric Falardeau propose de réhabiliter toutes les catégories de films ayant pour «première raison d’être la provocation de réactions corporelles, tel[le]s que la comédie, l’horreur, le mélodrame, la pornographie et le suspense.» Ces films grand public que la théoricienne Carol J. Clover nomme des films de «genre corporel» sont caractérisés par l’exhibition de corps en proie à des émotions intenses (plaisir, douleur, ivresse) destinée à provoquer chez le spectateur, «par une sorte mimétisme sensoriel», l’épanchement de larmes, de rire, de cris et l’envie frénétique de jouir, fuir ou danser. Il peut paraître curieux d’affirmer que rien ne sépare une comédie musicale d’un porno ou d’un slasher, et pourtant. L’histoire n’est qu’un prétexte pour «montrer un minispectacle», explique l’auteur, qui parle aussi de «parenthèse». Dans les comédies musicales : la parenthèse est un numéro de claquettes. Dans les films de cape et d’épée : un duel. Dans les films de vampire : un baiser fatal. Dans les péplums : une grande bataille.
Plus il y a de «parenthèses», plus on jouit
«Les scènes de mises à mort pour le gore et celles d’actes sexuels pour la pornographie constituent des types de «parenthèses», c’est-à-dire qu’elles interrompent le déroulement du récit pour présenter plus en détail une action a priori non primordiale à la compréhension de l’histoire.» Bien qu’il s’agisse de scènes parfaitement inutiles sur le plan narratif (on pourrait en faire l’élipse que ça ne changerait rien à la compréhension de l’histoire), ce sont elles que les spectateurs attendent et dont ils goûtent le côté répétitif, ultra-codifié, autant que les infinies variations, parce qu’elles agissent comme des boutons : elles déclenchent toujours la même réaction physique. Sursaut de peur, jet d’adrénaline, flash d’euphorie, hyperthermie… Tout l’enjeu de ces films, c’est d’activer en nous, sur commande, les effets d’affects divers (stress, faim de sexe ou soif de pleurer), sans qu’on puisse leur résister. Plus le film nous capture, plus il nous ébranle, plus nous sommes ravi-es et subjugué-es.
«Très très gros plan» sur une femme qui gémit
Dans son essai, Éric Falardeau note cependant que le gore et le porno se distinguent des autres (sous-)genres de films à «effets corporels», en ce qu’ils font bien plus que mouvoir les corps. Dans le gore et le porno, «la participation affective du spectateur à la monstration est encore exacerbée par l’usage du très très gros plan». De façon significative, ce gros plan montre en alternance le détail cru d’une anatomie (organes génitaux ou intestins sanglants) et l’expression d’un visage ravagé (par la jouissance ou par l’horreur). Comme par hasard, le bouquet final d’un porno (l’éjaculation faciale) est appelé en jargon money shot, le «plan cash», ou meat shot, le «plan viande». «Dans le gore, le sang gicle à l’écran et libère son spectateur de sa position, de son enchaînement à l’image et à son plaisir, la pornographie fait gicler le sperme pour signifier la fin d’un “numéro”», conclut Éric Falardeau qui associe le geyser final à une forme de triomphe. Lorsqu’à l’écran des liquides jaillissent –traversant la barrière des conventions sociales qui veulent que les liquides ne sortent pas du corps–, le spectateur (homme ou femme) synchronise ses réactions corporelles avec celles qu’il voit exprimées par l’image, traverse la barrière qui le sépare de la fiction et ne fait plus qu’un, enfin, ne fait plus qu’un avec lui-même, corps et pensée enfin réconciliés.
.
A LIRE : Le corps souillé : gore, pornographie et fluides corporel, d'Éric Falardeau, éditions L’Instant même, 2020.
NOTE (1) Aucune trace de Marc Godin, l’auteur du tout premier livre d’art consacré au gore.
POUR EN SAVOIR PLUS : «L’école du vice et de la soumission» ; «Cadavre exquis de la débauche» ; «Faites un don d’organes… sexuels»
Vous voyez les gros plans d’éjaculation dans le porno ? Eh bien, dans le gore, c’est pareil mais en rouge. Intitulé “Le corps souillé”, l’essai qu’Éric Falardeau consacre aux fluides corporels défend l’idée que sperme ou sang, peu importe : mépriser le porn ou le gore trahit la même haine du corps.
Le mot gore vient de l’expression «she was gored to death» : «elle a été encornée à mort». Par allusion à ce coup dans le ventre, qui fait jaillir les liquides, le gore désigne un cinéma de l’effusion. Il faut que ça gicle ! Dans un Mémoire de maîtrise remanié en essai, Éric Falardeau –réalisateur du film Thanatomorphose (2012), doctorant en communication et enseignant à Montréal– met en regard les recherches sur le porno (porn studies) et les travaux consacrés aux films style abattoir. Sa démarche n’est pas nouvelle. Ainsi qu’il le souligne volontiers, nombreux sont les chercheurs, hommes et femmes, à s’être intéressé-es au sujet. Tout l’intérêt de son livre –Le corps souillé–, c’est qu’il dresse un inventaire presque complet (1) de leurs recherches, organisées en chapitres incisifs, avec le désir de défendre la cause. Pour Éric Falardeau, il s’agit tout d’abord d’en finir avec l’idée que gore et porno ne méritent pas qu’on s’y intéresse. Au contraire, dit-il : ces genres dits «mineurs» réconcilient deux dimensions de l’humain (le corps et l’esprit) malheureusement dissociées dans l’Occident judéo-chrétien.
Mépriser le porno/gore c’est mépriser les affects
Prônant la réconciliation entre la chair et la pensée, l’auteur affirme que la fascination exercée par les scènes de sexe ou de torture vient de ce qu’elles génèrent en nous, physiquement, des réponses. Ce sont des images «sensationnelles», c’est-à-dire susceptibles de générer des sensations : effroi, excitation… Notre poitrine se serre, nos pupilles se dilatent devant des tripes ou des fellations. Mais il existe bien d’autres types de films capables de nous remuer, à l’instar des mélos qui font pleurer, des comédies qui font rire ou des films d’exploits qui donnent le vertige. Faut-il s’en étonner ? Chaque fois qu’ils exercent un pouvoir sur nos corps, ces films sont jugés «populaires», vulgaires. Pour l’historienne du cinéma Linda Williams, il n’y a là rien d’innocent : les élites ont en horreur des divertissements qui font perdre le contrôle. La distinction posée entre érotisme et pornographie ne tient qu’à ce système de valeur, basé sur la haine du corps. Quand les organes dominent la raison, c’est du X (c’est mal). Quand l’esprit seul est touché, c’est érotique (c’est bien).
Un cinéma «participatif» : stupeur ou tremblement ?
Dénonçant cette «posture morale», Éric Falardeau propose de réhabiliter toutes les catégories de films ayant pour «première raison d’être la provocation de réactions corporelles, tel[le]s que la comédie, l’horreur, le mélodrame, la pornographie et le suspense.» Ces films grand public que la théoricienne Carol J. Clover nomme des films de «genre corporel» sont caractérisés par l’exhibition de corps en proie à des émotions intenses (plaisir, douleur, ivresse) destinée à provoquer chez le spectateur, «par une sorte mimétisme sensoriel», l’épanchement de larmes, de rire, de cris et l’envie frénétique de jouir, fuir ou danser. Il peut paraître curieux d’affirmer que rien ne sépare une comédie musicale d’un porno ou d’un slasher, et pourtant. L’histoire n’est qu’un prétexte pour «montrer un minispectacle», explique l’auteur, qui parle aussi de «parenthèse». Dans les comédies musicales : la parenthèse est un numéro de claquettes. Dans les films de cape et d’épée : un duel. Dans les films de vampire : un baiser fatal. Dans les péplums : une grande bataille.
Plus il y a de «parenthèses», plus on jouit
«Les scènes de mises à mort pour le gore et celles d’actes sexuels pour la pornographie constituent des types de «parenthèses», c’est-à-dire qu’elles interrompent le déroulement du récit pour présenter plus en détail une action a priori non primordiale à la compréhension de l’histoire.» Bien qu’il s’agisse de scènes parfaitement inutiles sur le plan narratif (on pourrait en faire l’élipse que ça ne changerait rien à la compréhension de l’histoire), ce sont elles que les spectateurs attendent et dont ils goûtent le côté répétitif, ultra-codifié, autant que les infinies variations, parce qu’elles agissent comme des boutons : elles déclenchent toujours la même réaction physique. Sursaut de peur, jet d’adrénaline, flash d’euphorie, hyperthermie… Tout l’enjeu de ces films, c’est d’activer en nous, sur commande, les effets d’affects divers (stress, faim de sexe ou soif de pleurer), sans qu’on puisse leur résister. Plus le film nous capture, plus il nous ébranle, plus nous sommes ravi-es et subjugué-es.
«Très très gros plan» sur une femme qui gémit
Dans son essai, Éric Falardeau note cependant que le gore et le porno se distinguent des autres (sous-)genres de films à «effets corporels», en ce qu’ils font bien plus que mouvoir les corps. Dans le gore et le porno, «la participation affective du spectateur à la monstration est encore exacerbée par l’usage du très très gros plan». De façon significative, ce gros plan montre en alternance le détail cru d’une anatomie (organes génitaux ou intestins sanglants) et l’expression d’un visage ravagé (par la jouissance ou par l’horreur). Comme par hasard, le bouquet final d’un porno (l’éjaculation faciale) est appelé en jargon money shot, le «plan cash», ou meat shot, le «plan viande». «Dans le gore, le sang gicle à l’écran et libère son spectateur de sa position, de son enchaînement à l’image et à son plaisir, la pornographie fait gicler le sperme pour signifier la fin d’un “numéro”», conclut Éric Falardeau qui associe le geyser final à une forme de triomphe. Lorsqu’à l’écran des liquides jaillissent –traversant la barrière des conventions sociales qui veulent que les liquides ne sortent pas du corps–, le spectateur (homme ou femme) synchronise ses réactions corporelles avec celles qu’il voit exprimées par l’image, traverse la barrière qui le sépare de la fiction et ne fait plus qu’un, enfin, ne fait plus qu’un avec lui-même, corps et pensée enfin réconciliés.
.
A LIRE : Le corps souillé : gore, pornographie et fluides corporel, d'Éric Falardeau, éditions L’Instant même, 2020.
NOTE (1) Aucune trace de Marc Godin, l’auteur du tout premier livre d’art consacré au gore.
POUR EN SAVOIR PLUS : «L’école du vice et de la soumission» ; «Cadavre exquis de la débauche» ; «Faites un don d’organes… sexuels»